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Ce jour-là donc, il était venu à elle débordant de joie et d’espoir.

Comme d’habitude, elle était assise sur un pouf de velours bleu brodé d’or, vêtue des voiles noirs qu’elle refusait de quitter, inactive, immobile même, ses jolies mains abandonnées sur ses genoux et son regard fixé dans le vague. À son entrée, elle n’avait même pas tourné la tête. Il alla s’asseoir en face d’elle pour se trouver au moins dans son champ de vision. Alors elle ferma les yeux…

— Salima ! commença-t-il aussi doucement qu’il put. Cela ne peut pas continuer. Que tu le veuilles ou non, tu es ma fiancée ; tu seras ma femme…, la seule, et nous pourrons faire de grandes choses ensemble. C’est de cela surtout que je suis venu te parler… J’ai réussi à assembler les morceaux du papyrus que tu as trouvé dans la tombe de Sebeknefrou avec ceux de ton grand-père…

Les paupières se relevèrent et elle darda sur lui un regard glacial :

— Mon grand-père que tu as assassiné ! Et tu as le front de m’en parler ?

— Ce n’est pas moi ! Un ordre mal compris ou une vengeance privée peut-être. Je te jure que je ne le voulais pas ! Il faut me croire. J’ai essayé de savoir qui…

Pour seule réponse, elle haussa les épaules mais ses yeux clairs n’exprimèrent plus que le mépris. Il serra les poings et poursuivit :

— Il ne manque plus qu’un fragment… sans intérêt particulier, je pense. Quoi qu’il en soit, grâce à un détail, je vais connaître le lieu où repose la Reine Inconnue ! Et nous allons pouvoir la découvrir ensemble. Dès que tu seras devenue princesse Assouari…

— Je ne le deviendrai jamais !

— Il le faudra bien pourtant, pour que la cérémonie propitiatoire prenne toute sa valeur ?

— Quelle cérémonie ?

— Nous allons devoir transférer le corps d’Ibrahim Bey et les restes de ses pères. Nous le ferons avec le respect qui leur est dû. Et tu seras à mes côtés pour t’en assurer…

Brusquement Salima rougit sous la poussée d’une colère que, en dépit de son empire sur elle-même, il lui était difficile de surmonter :

— Tu veux commettre un tel sacrilège et tu prétends m’y associer ? Tu es fou, je crois…

— Non. Je suis logique. Le tombeau ne peut-être que dessous, creusé dans le rocher sans doute… Peut-être à une grande profondeur, mais il est bien là !

— Ce n’est pas ce que dit la légende : Celle dont on ne sait pas le nom a fait s’écrouler la montagne sur la crypte où elle s’était enfermée… Tu te trompes !

— Non. Tu oublies que plusieurs milliers d’années se sont écoulées. Il en faut moins pour changer la morphologie de la terre et je suis sûr…

— Et d’où tires-tu cette certitude ? fit-elle, méprisante. Tu n’es pas archéologue, à ma connaissance !

— Je sais mieux que ces gens à la science incertaine. Ils ne savent qu’exhumer nos ancêtres morts pour les exposer, dépouillés de leur enveloppe bénie, dans les vitrines de leurs musées. Et tu n’appelles pas cela un sacrilège ? Nous, les enfants de cette terre, devrions les chasser à coups de pierres ! Et c’est ce que je ferai quand j’aurai débarrassé l’Égypte de ces sauterelles humaines, de ce roi fantoche à la botte de l’Angleterre. En possession des secrets de l’antique Atlantide, j’aurai le pouvoir… et le droit car je suis le prince d’Éléphantine, et tu le sais !

Pour la seconde fois, elle lui dit qu’il était fou mais une lassitude se glissait dans sa voix et il le perçut :

— Crois-moi ! J’ai tout en main : le plan, la clef que j’ai fait reprendre au cœur de Londres. Et que voici ! prouva-t-il en la tirant d’une poche intérieure, et le maléfice ne m’atteindra pas parce que, bientôt à présent, j’aurai l’Anneau qui me rendra invincible !

— Tu ne sais pas où il est !

— Ici même, à Assouan ! J’en ai la certitude et c’est celui qui a ouvert la tombe de Sebeknefrou qui me l’apportera sur un plateau. À genoux, si je le veux ! Et toi, je te ferai reine !

Il s’était levé et marchait avec agitation à travers la pièce. Salima hocha la tête. Pour la troisième fois elle dit : « Tu es fou… », retomba dans son silence et son immobilité. Alors il prit feu, se pencha sur elle et la secoua en la saisissant aux épaules :

— Si tu t’obstines à te refuser, tu porteras le poids de ma vengeance. Ce n’est pas une cérémonie propitiatoire qui délogera Ibrahim Bey mais un paquet de bâtons de dynamite. Quant à toi, après avoir assouvi sur toi ce désir qui m’obsède, je te tuerai ! Ensuite je serai enfin libre !

— Tue-moi donc tout de suite ! Tu nous rendras service à tous les deux !

— Non. Je veux que tu savoures ta mort ! Et puis j’ai encore besoin de toi !

Depuis, il n’avait plus entendu le son de sa voix qu’à une seule occasion. C’était quand il lui avait mis le plan sous les yeux. Elle avait à peine regardé le document en disant qu’elle était incapable de lire les hiéroglyphes. Et lui qui n’y connaissait rien… ! Alors, il s’était mis à la haïr autant qu’il la désirait. Il avait vu clairement le chemin qu’il lui fallait prendre. Vouloir l’associer à son triomphe n’avait pas de sens. Comment n’avait-il pas compris qu’elle n’était qu’une sorcière et qu’elle lui avait jeté un sort ? Ce sort, il fallait qu’il s’en délivre ! Elle devait mourir mais avant il s’assouvirait longuement de son maléfice en la possédant. Puis il la traînerait au lieu du rendez-vous et, l’Anneau enfin en sa possession, il lui ferait sauter la tête afin que son sang abreuve cette terre dont elle repoussait la souveraineté.

Pour un homme de sa force, c’était facile. Il avait déjà exécuté ainsi plusieurs serviteurs infidèles et son joli cou était si mince !

Laissant Adalbert chez Lassalle où, selon lui, il serait mieux protégé qu’à l’hôtel contre les imprévisibles lubies de Keitoun, Aldo n’eut aucun mal à rejoindre Tante Amélie et Plan-Crépin. Celle-ci, l’ayant vu se précipiter dans un taxi, s’était établie sur la terrasse pour attendre son retour et être certaine qu’il ne lui échapperait pas. Mme de Sommières l’y avait rejointe. En quelques mots il les eut mises au courant puis ajouta :

— Puisque vous avez déjà rencontré la princesse Shakiar, je me demandais si vous ne pourriez pas y retourner, Tante Amélie ? Je sais qu’elle vous a assuré ignorer où Assouari retient Salima, mais elle pourrait peut-être faire un effort ? C’est sa fille, que diable ! Et elle est en danger de mort !

— Vous en êtes vraiment si sûr ? émit Marie-Angéline avec un rien d’acidité. Un homme amoureux ne sacrifie pas celle qu’il aime si aisément ! J’y verrais plutôt un excellent appât pour cet imb… pour Adalbert ?

— J’y ai pensé, figurez-vous ! lâcha Aldo à qui le mot ébauché n’avait pas échappé, même s’il n’avait pas été mené à son terme. Mais encore une fois, nous n’avons plus la latitude de négliger la moindre piste. Shakiar a pu avoir du nouveau depuis votre rencontre ?

— De toute façon, on ne risque rien d’essayer ! Mais je ne peux pas surgir chez elle sans crier gare. Je vais lui écrire un mot que Plan-Crépin se fera un plaisir de lui porter. D’ailleurs, la princesse avait suggéré qu’elle serve d’intermédiaire pour d’éventuelles communications.

— Il est certain qu’elle est moins spectaculaire que vous ! sourit Aldo.

Elle l’était même encore moins quand elle alla prendre le bac une demi-heure après. Les canotiers porteurs de marguerites, de cerises ou autres végétaux étaient remplacés par une banale écharpe sombre enveloppant la tête et les épaules. Elle passait ainsi inaperçue au milieu des passagers. Mais quand elle revint environ une heure plus tard, la déception était écrite en toutes lettres sur sa figure : elle n’avait trouvé que le majordome. Son Altesse était partie la veille pour Le Caire sans préciser la date de son retour.

— Et voilà ! conclut Aldo, acerbe. Décidément, ma première impression était la bonne : beaucoup de surface et le vide en dessous !

— Ne sois pas trop sévère ! plaida Tante Amélie. Je te jure qu’à l’issue de notre entrevue elle était réellement désespérée ! Elle est peut-être allée chercher un secours qu’elle ne peut trouver ici entre un gouverneur amorphe et un policier véreux… si ce n’est pourri ?