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– Parce que je la connais.

– Vous êtes client? C’est drôle, je ne vous reconnais pas.

– Pas étonnant. Je suis venu ici l’autre jour, par hasard, pour la première fois de ma vie. J’ai dû me servir moi-même. Et par-dessus le marché, votre nièce a oublié de me faire payer…»

Sylvain souriait. La vieille femme, elle, éclata de rire. Et elle passa la tête à l’intérieur de l’auberge, elle cria:

«Pascaline! Ton client!

– Nous nous sommes bien amusés avec cette histoire, monsieur, dit-elle en revenant auprès de Sylvain. Elle disait toujours que vous alliez revenir. Pour la fâcher, tout le monde s’amusait à lui dire le contraire.»

Un pas vif résonna. Pascaline accourait. Elle reconnut Sylvain, elle eut un cri joyeux:

«Ah! je savais bien que vous reviendriez…»

Derrière elle, Jim accourait aussi, rageur, grondant, minuscule et furieux. Il paraissait plein d’une colère débordante. Ce lui serait sûrement un soulagement de pouvoir enfin mordre quelqu’un. Il se rua vers Sylvain, aveuglément.

«Eh bien, Jim, dit Sylvain d’un ton de reproche, on n’est plus amis, maintenant?»

Jim s’arrêta net. Doucement, Sylvain prenait du sucre dans sa poche, l’offrait à la petite bête. Et Jim se souvint, accepta le sucre, le croqua, et, agitant amicalement son embryon de queue, vint gratter de ses pattes de devant les genoux de Sylvain.

«Tu vois! s’exclama Pascaline.

– C’est incroyable, dit la tante. – Mais…»

Elle réfléchissait.

«… Je me demande comment vous avez su tout de suite que j’étais la tante de Pascaline. Vous me dites que vous n’êtes jamais venu…

– Pas difficile. Mademoiselle m’avait dit qu’elle avait une vieille tante qui aimait bien parler.

– Oh!» s’exclama Pascaline, un peu confuse.

Et tout le monde rit encore, de bon cœur. C’était une étrange maison. Nulle part Sylvain ne s’était senti le cœur aussi léger que là. Il lui semblait que ce coin ne fît pas partie du monde, que ce fût comme un îlot de fraîcheur et de poésie, isolé du reste de la terre, et où on ne dût tout naturellement penser qu’à des choses heureuses et saines. Le jeune homme s’y sentait plus gai, plus léger, il avait un peu l’impression de n’être plus le Sylvain de tous les jours, mais le Sylvain que, tout petit, il pensait devenir, avant que la vie lui eût à grandes bourrades enseigné sa dure loi.

«Vous venez donc souvent par ici? continuait la tante.

– Très souvent. Je fais du commerce, voyez-vous. Et ça me repose, de me promener un peu dans la campagne. Mais je n’ai jamais rencontré un coin aussi singulier que celui-ci.

– Le dimanche, il y a plus de monde.

– Pour moi, ça n’est pas un avantage. Je l’aime mieux comme cela.

– Ma tante se plaint toujours de ce qu’on y est trop tranquille, intervint Pascaline. Tu vois, ma tante, que j’ai raison de préférer la semaine.

– Ah! monsieur, dit la vieille femme, si vous aimez la paix, vous allez être l’ami de Pascaline. Elle dit que les clients sont tous ennuyeux…

– Au moins, elle ne flatte pas les gens.

– Ah! pardon, mais il faut vous dire que vous ne comptez pas encore parmi mes clients.

– Tant mieux.

– C’est vrai, reprit Pascaline, ils ne viennent ici que pour déballer leur attirail, amorcer, appâter, que sais-je. Pour leurs maudits poissons, ils oublient tout le monde.

– J’ai bien de la chance de n’être pas pêcheur.

– Oui. Il y a beau temps que je vous aurais laissé avec vos lignes et vos hameçons. Mais vous, au moins, vous savez de quoi parler, on ne s’ennuie pas, avec vous. Eux ont peur de remuer les lèvres. Il paraît que ça fait peur au poisson.

– Pour vous, ça doit être terrible?

– Oui», dit naïvement Pascaline.

Mais du bout du jardin, une voix appela:

«Henriette, Henriette…

– Ça y est, dit la tante. Voilà qu’il s’est encore une fois perdu.»

Elle s’élança, avec une vivacité qu’on ne lui eût plus soupçonnée, vers le jardin.

«Qui est-ce qui s’est encore perdu? demanda Sylvain, surpris.

– Mon oncle. Il est très vieux, vous savez. De temps en temps, il ne s’y retrouve plus. Ses yeux sont usés, et il n’entend plus clair.»

Sylvain caressait Jim, qui se pelotonnait sur ses genoux. Il le prit doucement par le milieu du corps, l’assit sur la chaise en face de lui, lui releva les pattes de devant. Jim se laissa crouler. Sylvain recommença avec patience, faisant alterner équitablement les morceaux de sucre et les petites tapes. Au bout de cinq minutes, Jim paraissait avoir compris vaguement ce qu’on avait voulu lui inculquer, et, avec une indiscutable bonne volonté, s’efforçait de se tenir tant bien que mal sur le derrière.

«Assez pour aujourd’hui, dit alors Sylvain. Il ne faut pas le dégoûter du travail.

– Moi, je n’aurais jamais la patience! s’exclama Pascaline.

– Il en apprendra bien d’autres, si vous le voulez»

La tante revenait. À son bras s’appuyait un grand vieillard, près de qui elle paraissait toute petite. Cela n’empêchait pas la tante de le semoncer avec vigueur, agitant la main violemment pour renforcer l’énergie de son discours. Le vieil homme, sans s’émouvoir, continuait à marcher, avec l’air de quelqu’un qui a l’habitude de ces choses. Bien que voûté, il était encore aussi haut que Sylvain. Il avait dû posséder une vigueur peu commune, à en juger par sa carrure et la massivité de ses membres. Sa tête très grosse semblait encore alourdie par une épaisse chevelure blanche, et une barbe inculte qui foisonnait sur ses joues. Sylvain, qui ne l’avait qu’entrevu dans le jardin, l’admira. Il avait un nez fort et droit, une grande bouche charnue, vermeille encore malgré l’âge, et des yeux bleu clair, au regard éteint. Il donnait une impression de sagesse, de gravité biblique. Tout près de Sylvain seulement il parut le voir.

«Bonjour, bonjour», dit-il.

Et il passa, il se laissa entraîner par sa femme, qui continuait à gesticuler, et lui dire qu’il était pire qu’un enfant, qu’on ne pouvait plus le laisser seul sans qu’il fît des bêtises, qu’elle passait sa vie à courir derrière lui, qu’elle en perdait la tête…

«Oui, femme. Oui, femme», se contentait de dire le vieillard, avec la sérénité d’un vieux philosophe.

Et ils disparurent dans l’auberge.

«N’est-ce pas qu’il est magnifique? demanda Pascaline.