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Un évocateur, dont le nom est perdu, se réunit à Tiffauges, dans une chambre, avec Gilles et de Sillé.

Sur le sol, il trace un grand cercle et commande à ses deux compagnons d'entrer dedans.

Sillé refuse; poigné par une terreur qu'il ne s'explique pas, il se met à frémir de tous ses membres, se réfugie près de la croisée qu'il ouvre, murmure tout bas des exorcismes.

Gilles plus hardi se tient au milieu du cercle; mais, aux premières conjurations, il frissonne à son tour et veut faire le signe de la croix. Le sorcier lui ordonne de ne pas bouger. A un moment, il se sent saisi à la nuque; il s'effare, vacille, supplie Notre-dame la Vierge de le sauver.

L'évocateur, furieux, le jette hors du cercle; il s'élance par la porte, de Sillé, par la fenêtre; ils se retrouvent en bas, restent béants, car des hurlements se dressent dans la chambre où le magicien opère. " un bruit d'épées tombant à coups durs et pressés sur une couette " se fait entendre, puis des gémissements, des cris de détresse, l'appel d'un homme qu'on assassine.

Epouvantés, ils demeurent aux écoutes, puis quand le vacarme cesse, ils se hasardent, poussent la porte, trouvent le sorcier étendu sur le parquet, roué de coups, le front fracassé, dans des flots de sang.

Ils l'emportent; Gilles, plein de pitié, le couche dans son propre lit, l'embrasse, le panse, le fait confesser, de peur qu'il ne trépasse. Il reste quelques jours entre la vie et la mort, finit par se rétablir et il se sauve.

Gilles désespérait d'obtenir du diable la recette du souverain magistère, quand Eustache Blanchet lui annonce son retour d'Italie; il amène le maître de la magie florentine, l'irrésistible évocateur des démons et des larves, François Prélati.

Celui-là stupéfia Gilles. Il avait à peine vingt-trois ans et il était l'un des hommes les plus spirituels, les plus érudits, les plus raffinés du temps. Qu'avait-il fait avant de venir s'installer à Tiffauges et d'y commencer, avec le Maréchal, la plus épouvantable série de forfaits qui se puisse voir? Son interrogatoire dans le procès criminel de Gilles ne nous fournit pas des renseignements bien détaillés sur son compte. Il était né dans le diocèse de Lucques, à Pistoie, avait été ordonné prêtre par l'Evêque D'Arezzo.

Quelque temps après son entrée dans le sacerdoce, il était devenu l'élève d'un thaumaturge de Florence, Jean De Fontenelle, et il avait souscrit un pacte avec un démon nommé Barron.

A partir de ce moment, cet abbé insinuant et disert, docte et charmant, avait dû se livrer aux plus abominables des sacrilèges et pratiquer le rituel meurtrier de la magie noire.

Toujours est-il que Gilles s'éprend de cet homme; les fourneaux éteints se rallument; cette pierre des sages que Prélati a vue, flexible, cassante, rouge, sentant le sel marin calciné, ils la cherchent, à eux deux furieusement, en invoquant l'Enfer.

Les incantations demeurent vaines. Gilles, désolé, les redouble; mais elles finissent par tourner mal; un jour Prélati manque d'y laisser ses os.

Une après-midi, Eustache Blanchet aperçoit, dans une galerie du château, le Maréchal tout en larmes; des plaintes de supplicié s'entendent à travers la porte d'une chambre où Prélati évoque le diable.

– le démon est là qui bat mon pauvre François; je t'en supplie, entre, s'écrie Gilles; mais Blanchet effrayé refuse. Alors Gilles se décide, malgré sa peur; il va forcer la porte quand elle s'ouvre et Prélati trébuche, sanglant, dans ses bras. Il put, soutenu par ses deux amis, gagner la chambre du Maréchal où on le coucha; mais les coups qu'il avait reçus furent si violents qu'il délira; la fièvre s'accrut. Gilles, désespéré, s'installa près de lui, le soigna, le fit confesser, pleura de bonheur, lorsqu'il ne fut plus en danger de mort.

Ce fait qui se renouvelle du sorcier inconnu et de Prélati, dangereusement blessés, en une chambre vide, dans des circonstances identiques, c'est tout de même étonnant, se disait Durtal.

Et les documents qui relatent ces faits sont authentiques; ce sont les pièces mêmes du procès de Gilles; d'autre part, les aveux des accusés, les dépositions des témoins concordent; et il est impossible d'admettre que Gilles, que Prélati, aient menti, car en confessant ces évocations sataniques, ils se condamnaient, eux-mêmes, à être brûlés vifs.

S'ils avaient encore déclaré que le Malin leur était apparu, qu'ils avaient été visités par des succubes; s'ils avaient affirmé avoir entendu des voix, senti des odeurs, touché même un corps, l'on pourrait admettre des hallucinations semblables à celles de certains sujets de Bicêtre; mais, ici, il ne peut y avoir détraquement des sens, visions morbides, car les blessures, la marque des coups, le fait matériel, visible et tangible, est là.

On peut se figurer combien le mystique qu'était Gilles De Rais dut croire à la réalité du diable, après avoir assisté à de pareilles scènes!

Malgré ses échecs, il ne pouvait donc douter-et Prélati, à moitié assommé, devait douter moins encore-que s'il plaisait à Satan, ils trouveraient enfin cette poudre qui les comblerait de richesses et les rendrait même presque immortels, car à cette époque, la pierre philosophale passait non seulement pour transmuer les métaux vils, tels que l'étain, le plomb, le cuivre, en des métaux nobles comme l'argent et l'or, mais encore pour guérir toutes les maladies et prolonger, sans infirmités, la vie jusqu'aux limites jadis assignées aux patriarches.

Quelle singulière science! Ruminait Durtal, en relevant la trappe de sa cheminée et en se chauffant les pieds; malgré les railleries de ce temps qui, en fait de découvertes, n'exhume que des choses déjà perdues, la philosophie hermétique n'est pas absolument vaine.

Sous le nom d'isométrie, le maître de la chimie contemporaine, Dumas, reconnaît les théories des alchimistes exactes et Berthelot déclare " que nul ne peut affirmer que la fabrication des corps réputés simples soit impossible à priori ".

Puis il y a eu des actes contrôlés, des faits certains. En sus de Nicolas Flamel qui semble bien, en effet, avoir réussi le grand oeuvre, au dix-septième siècle, le chimiste Van Helmont reçoit d'un inconnu un quart de grain de pierre philosophale et, avec ce grain, il transforme huit onces de mercure en or.

A la même époque, Helvétius qui combat le dogme des spagiriques reçoit également d'un autre inconnu une poudre de projection avec laquelle il convertit un lingot de plomb en or. Helvétius n'était pas précisément un jobard et Spinosa qui vérifia l'expérience et en attesta l'absolue véracité n'était cependant, lui non plus, ni un gobe-mouche, ni un béjaune!

Que penser enfin de cet homme mystérieux, de cet Alexandre Sethon qui, sous le nom du cosmopolite, parcourt l'Europe, opérant devant les princes, en public, transformant tous les métaux en or? Emprisonné par Christian Ii, électeur de Saxe, cet alchimiste dont le mépris des richesses était avéré, car jamais il ne gardait l'or qu'il créait et il vivait comme un pauvre, en priant Dieu, cet alchimiste supporta, tel qu'un saint, le martyre; il se laissa battre de verges, percer avec des pointes, refusa de livrer un secret, qu'il prétendait, ainsi que Nicolas Flamel, tenir du Seigneur même!

Et dire qu'à l'heure actuelle, ces recherches se continuent! Seulement, la plupart des hermétiques renient les vertus médicales et divines de la fameuse pierre. Ils pensent simplement que le grand magistère est un ferment qui, jeté dans les métaux en fusion, produit une transformation moléculaire semblable à celles que les matières organiques subissent lorsque, à l'aide d'une levure, elles fermentent.

Des Hermies, qui connaît ce monde-là, soutient que plus de quarante fourneaux alchimiques sont à présent allumés en France et que dans le Hanovre, dans la Bavière, les adeptes sont plus nombreux encore.

Ont-ils retrouvé l'incomparable secret des anciens âges? -c'est, malgré certaines affirmations, peu probable, puisque personne ne fabrique par artifice ce métal dont les origines sont si bizarres, si douteuses qu'en un procès qui eut lieu, au mois de novembre 1886, à Paris, entre des bailleurs de fonds et M. Popp, le constructeur des horloges pneumatiques de la ville, des chimistes de l'école des mines, des ingénieurs, déclarèrent à l'audience que l'on pouvait extraire l'or des pierres meulières; si bien que les murs qui nous abritent seraient placers et que des pépites se cacheraient dans les mansardes!