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«Disséminés dans les cabarets du voisinage, ils ne tardaient pas à mettre la main sur un individu exactement semblable à celui qu'on leur avait signalé. Les témoins, avec qui il fut confronté, crurent en effet le reconnaître, mais non sans faire quelques réserves. Il marqua au reste une extrême surprise, se défendit énergiquement du crime dont on le soupçonnait, et se montra parfaitement rassuré sur les suites de l'affaire. Toutes ses réponses furent précises, catégoriques. Il s'appelait Bannes, il était marié, il travaillait chez un corroyeur, demeurait rue des Noyers. Une descente eut lieu dans son domicile. Tout y respirait l'aisance. On n'y trouva de suspect qu'une somme de quatre cents et quelques francs cachée sous le linge d'un tiroir. La femme, d'abord émue de ces perquisitions, répondit toutefois sans balancer que cet argent représentait leurs économies. Bannes fit une réponse identique. En même temps que des agents, répandus dans les environs, prenaient des renseignements sur les deux époux, le patron de Bannes était questionné, et l'on apprenait, d'une part, que ceux-ci vivaient dans l'abondance, qu'ils ne se refusaient rien, payaient tout comptant; de l'autre, que Bannes travaillait tout au plus quatre jours par semaine et gagnait au maximum quatre fr. par jour. Il était donc au moins surprenant qu'il eût réalisé d'aussi grosses économies. Après cela, on ne pouvait pas non plus augurer de son passé par le présent, et conclure, de ce qu'il travaillait peu aujourd'hui, qu'il n'eût pas jadis travaillé beaucoup. D'ailleurs, le témoignage des témoins, relatif à l'identité du personnage était plus que jamais indécis. Finalement, Bannes prouva un alibi et fut relâché…»

Max, dont les regards ne discontinuaient pas d'aller de Clément à Rosalie, les voyait actuellement suivre, avec une tension d'esprit excessive, ces détails de cour d'assises, qui produisaient, notamment sur Rosalie, des impressions poignantes qu'elle essayait vainement de dominer. L'inquiétude, la douleur, l'épouvante, devenaient à chaque instant plus visibles sur son visage.

«Il arrive fréquemment en justice, ajouta M. Durosoir, qu'un homme est renvoyé d'une accusation sans que pour cela il soit absolument innocenté à nos yeux. Attendu que Bannes ne m'avait nullement satisfait sur l'origine de sa petite fortune, j'étais bien décidé à ne pas le perdre tout de suite de vue. J'usai d'un procédé bien simple. Pendant plusieurs mois, sans qu'il s'en doutât, je fis tenir un journal exact, quotidien, de l'emploi de ses journées, de ses heures de travail et de ses dépenses. Quand, vérification faite de son actif et de son passif, il fut raisonnable de croire à l'épuisement de ses ressources, je tombai chez lui à l'improviste.

«J'eus quelque peine à cacher mon étonnement à la découverte, dans le même meuble, dans le même tiroir, à la même place, d'une somme plus élevée que la première de deux ou trois pièces d'or. Les époux, cette fois encore, me répondirent: Ce sont nos économies. Mais séance tenante, mon procès-verbal à la main, je les fis pâlir tous les deux avec mes calculs: «Bannes avait travaillé tant d'heures, touché tant et dépensé beaucoup plus qu'il n'avait gagné; donc, rigoureusement, à moins que deux et deux ne fissent plus quatre, non-seulement ils ne devaient pas avoir d'économies, mais il fallait encore forcément qu'ils eussent des dettes.» La femme ne sut que répondre, tandis que son mari, plus ingénieux, prétendit bientôt être rentré dans des fonds prêtés. À qui? À un camarade. Son nom? Il en inventa un. Où est-il? En voyage. C'était dérisoire. Cependant, je savais aussi que dans le temps qu'on l'avait surveillé, mon homme n'avait non plus commis aucun méfait. Partant de là, ou la logique n'était plus la logique, ou, sans chercher plus loin, Bannes, dans la chambre même où je me trouvais, devait avoir quelque part une mine d'argent plus ou moins inépuisable.

«Je donnai l'ordre de mettre les tiroirs sens dessus dessous, de fouiller les matelas, de déplacer tous les meubles, et j'eus l'indicible satisfaction de constater que mes prévisions étaient justes. Dans un panneau de la boiserie, masquée en cet endroit par une lourde commode, avait été grossièrement pratiquée une petite cachette au fond de laquelle gisait une somme de neuf mille francs à peu près, partie en or, partie en billets de banque.»

Clément avait les apparences d'une figure en cire ou encore d'une statue peinte; Rosalie devenait livide et paraissait lutter contre un malaise mortel: on voyait, de temps à autre, Mme Thillard se pencher vers elle avec inquiétude et s'informer de son état.

«Arrêtés tous deux et mis séparément au secret, reprit le magistrat à la suite d'une nouvelle halte, le mari et la femme se renfermèrent longtemps dans un silence absolu. La femme, toutefois, n'était pas de bronze comme son mari; dans la solitude, sa fermeté fléchit peu à peu. Deux mois n'étaient pas écoulés, qu'elle tombait sérieusement malade. Sur ma recommandation, on lui prodigua les soins, et l'aumônier de la prison la visita souvent. Le remords, qui entamait enfin l'endurcissement de cette malheureuse, occasionnait en elle des luttes terribles. Dans la prostration du désespoir, elle suffoquait parfois de sanglots et emplissait sa cellule de plaintes déchirantes. À voir ses traits décomposés, ses yeux caves, son amaigrissement, je commençais à craindre qu'elle n'emportât son secret dans la tombe, quand, un jour où j'y pensais le moins, m'ayant fait appeler, elle me révéla, avec des flots de larmes et les marques d'un profond repentir, ce que, certes, je ne m'attendais guère à savoir…»

Pendant que d'un côté Rosalie oscillait convulsivement comme si des serpents lui eussent rongé les entrailles; de l'autre, une agitation, comparable à un feu souterrain, se manifestait à cette heure chez Clément et paraissait sur le point de le faire éclater. Près de conclure, M. Durosoir ajoutait à l'effet de son dénoûment par un accent plus ferme et quelques gestes pathétiques. Il dit:

«Vous présumez sans doute, comme moi-même je l'avais cru jusqu'à ce jour, que Bannes avait trempé dans le crime de la rue Saint-Jacques. Là est l'erreur! Il n'avait rien de commun avec l'assassin de la vieille femme…

«Souvenez-vous, cependant, du vieillard dont la mort avait été mise sur le compte d'un suicide. C'était un avare. L'histoire en est fort commune. Sa mendicité ostensible avait pour double but de défendre un petit trésor et de l'accroître. Bannes et sa femme étaient ses voisins. Un léger bruit métallique qui plusieurs fois, la nuit, avait retenti chez Lequesne et attiré leur attention, avait éveillé en eux une convoitise indomptable. Le crime semblait à ce point aisé, qu'ils cédèrent à la tentation. La femme, étant parvenue à apprivoiser l'avare jusqu'à lui faire accepter de temps en temps un bouillon ou un verre de tisane, lui servit un soir, en dissolution dans un liquide quelconque, un narcotique puissant. Le mari et la femme profitèrent du sommeil léthargique de Lequesne pour pénétrer chez lui, enlever le trésor qu'il cachait dans un coin de son matelas, boucher toutes les issues et allumer deux fourneaux. Ils étaient ensuite sortis, avaient tourné deux fois la clef dans la serrure et avaient glissé cette clef sous la porte. Vous prévoyez le reste.

«Mais que dire du hasard? Est-ce trop que d'y joindre l'épithète providentiel? Deux années avaient passé sur ce crime; il n'y avait pas apparence qu'on dût jamais le découvrir. Dans le nombre des criminels, on en conviendra, Bannes, plus raisonnablement que pas un, pouvait se flatter de l'impunité. Eh bien, non. Il fallait que, par l'enchaînement des circonstances les plus singulières, il fût arrêté pour un crime qu'il n'avait pas commis, et convaincu d'un assassinat qui semblait devoir échapper toujours à la justice des hommes!…