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Car il sentait bien que, désormais, il lui serait impossible d’arriver à temps pour sauver son père.

L’auto devait être loin déjà… Il n’existait pas de train pour Paris avant six heures du matin.

Un seul moyen lui restait… Tout avouer à Roger.

Mais n’était-ce pas se condamner lui-même?

Après tout, cela ne valait-il pas mieux que de devenir, même inconsciemment, un assassin, un parricide!

Et Moralès allait sans doute se décider à implorer le secours et la pitié du frère de Judex, lorsqu’un gémissement suivi d’un cri sourd, atroce, lui fit relever la tête.

Favraut, assis sur son séant, le regardait de ses yeux hagards et hallucinés.

À la vue de ce spectre vivant, l’amant de Diana eut un frisson d’épouvante…

Le banquier fit alors entendre un ricanement sinistre.

Puis… farouche… effrayant…, il sauta en bas de son lit; et, les bras en avant, les mains agitées par un mouvement nerveux, ses forces décuplées par le délire qui l’agitait, il s’avança vers Moralès qui, pâle de terreur, s’était levé… cherchant à gagner la porte.

– Je veux en tuer un, râlait le fou. Je veux en tuer un!… C’est bon de tuer… oui, c’est bon… c’est bon!…

Pour échapper à l’horrible étreinte, Robert Kerjean s’élança dans le couloir et s’enfuit dans les souterrains pleins d’ombre.

Favraut eut un instant d’hésitation… Dans la hantise de son idée de meurtre, allait-il s’élancer à la poursuite de sa victime?

Le banquier fit quelques pas pour gagner à son tour le couloir…

Mais presque aussitôt, il s’arrêta, chancelant… étourdi…

Son visage changea d’expression… exprimant le reflet d’une sorte de joie lointaine, enfantine… et, tombant sur la chaise que venait de quitter Moralès, il se mit à chantonner une sorte de mélopée traînarde… tandis que ses bras faisaient le geste de bercer un enfant.

L’image radieuse de son petit-fils venait-elle de surgir tout à coup au regard du dément?…

Sans doute… car… bientôt… à la chanson sans paroles succéda un nom:

– Jeannot!

Et deux larmes, suivies de nombreuses autres, coulèrent sur les joues ravagées du prisonnier… qui, calmé et douloureux, demeura là, esquissant faiblement son même geste protecteur et caressant d’aïeul attendri.

Pour la première fois, l’ange du remords venait de le frôler de son aile.

*
* *

Les trois bandits, c’est-à-dire Crémard, le docteur et le Coltineur, étaient arrivés à Paris avec leur prisonnier.

Diana et Amaury attendaient avec impatience le résultat de l’expédition.

Crémard était tout de suite monté leur dire:

– Ça y est! Le typard est en bas… on va vous le monter en douce.

– Et Moralès? interrogea la Monti.

– Il est resté au château.

– Ah! par exemple! Pourvu qu’il n’ait pas encore fait quelque sottise!

– Qu’importe! observait M. de la Rochefontaine tandis que Crémard s’éloignait. Nous tenons le banquier… c’est l’essentiel… Le reste est peu.

– Et me regarde…, acheva l’aventurière tandis que sa prunelle s’éclairait d’une lueur de meurtre.

Et elle ajouta:

– Il faudra à tout prix que je me débarrasse de ce Moralès… Il devient par trop insupportable.

Et comme Amaury de la Rochefontaine avait un signe de tête approbatif, elle observa:

– Laissons-le tranquille pour l’instant. Et préparons-nous à recevoir de notre mieux le brave banquier qui va être à la fois bien heureux et très surpris de nous devoir sa liberté!

Le docteur et le Coltineur apportaient leur homme toujours étroitement ligoté… qu’ils déposèrent au milieu du salon dans une vaste et confortable bergère.

– Je lui ai donné la dose massive…, expliquait le médecin. Cela valait mieux! De cette façon il n’a pas bronché… et il nous a laissés bien tranquilles pendant la route.

Tout en parlant, le praticien desserrait les liens et dégageait la tête du soi-disant Favraut… lorsqu’un cri de colère se fit entendre:

– Ce n’est pas lui! s’exclamait Diana en dévisageant l’ancien meunier des Sablons qui, sous l’action du puissant soporifique que lui avait administré le docteur, demeurait plongé dans une torpeur absolue.

Et en proie à une rage folle, l’aventurière hurla:

– Cet homme, je le reconnais! C’est Pierre Kerjean… C’est le père de Moralès!

– Nous avons été trahis! reprit Amaury, non moins furieux que sa terrible associée.

– Trahis!… Par qui? ripostait la Monti. Voyons… ce n’est certainement pas Moralès qui nous aurait livré son père à la place de Favraut. Quant à Judex, même pour nous jouer un mauvais tour, il n’irait pas s’exposer à perdre un si dévoué serviteur… car il sait très bien que quand je tiens ma proie, je ne la lâche jamais! Il y a là certainement un quiproquo, que je renonce à m’expliquer. Est-ce que la fatalité s’acharnerait contre nous? Eh bien, quoi qu’il en soit… je ne me tiens pas pour battue. Je continue la lutte!

Et, désignant Kerjean d’un geste plein de menace, elle s’écria:

– Pour commencer, il va falloir faire disparaître cet homme. Si, demain, on trouvait dans la Seine son cadavre débarrassé de ses liens, tout le monde croirait à un accident ou à un suicide.

– Diana! voulut interrompre Amaury.

– Vous! silence! imposa la Monti… On est avec moi ou contre moi. Il n’y a pas de milieu… et je ne connais pas les demi-mesures. Choisissez!

Dominé par l’aventurière, M. de la Rochefontaine courba la tête.

Le gentilhomme décavé acceptait de se faire complice de ces bandits.

Pierre Kerjean était irrémédiablement condamné.