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– Que veux-tu dire? tressaillit Moralès.

– Je te le répète… ta tranquillité, la mienne… je ne veux pas dire notre amour… puisque tu sembles t’être détaché de moi…

– Diana! protesta Robert en un cri de détresse.

– Notre amour… soit…, triompha l’aventurière, dépend désormais de ta volonté.

– Explique-toi.

– Promets-moi de m’écouter avec calme, et de me répondre avec franchise.

– Parle!

– Tu sais où est Favraut!

– Mais…

– Tu le sais!… Si… Nous le délivrerons… c’est la fortune pour nous deux.

– Diana!

– Laisse-moi finir! Devenus riches… nous partirons loin… très loin… pour mener une vie heureuse… la vie rêvée… N’avais-je pas raison de te dire que désormais notre avenir, notre bonheur dépendaient uniquement de toi?

Moralès, les sourcils froncés, l’œil inquiet, le front barré d’un pli, répondait:

– Ce que tu me demandes là… est impossible…

– Impossible… et pourquoi?

– Parce que j’ai promis.

– Promis quoi?… Promis à qui?

– À mon père… de ne jamais révéler à qui que ce soit au monde l’endroit où Judex retient Favraut prisonnier.

Diana eut un tressaillement d’allégresse.

Maintenant qu’elle était entièrement fixée, elle n’avait plus qu’à manœuvrer en conséquence, et elle s’y connaissait.

– Ton père, fit-elle aussitôt… je ne voudrais pas te dire du mal de lui… Mais enfin, permets-moi de trouver un peu excessif et singulièrement étrange… ton profond respect et ta subite tendresse pour un homme loin duquel tu as si longtemps vécu… et qui, pour te prouver son affection, n’a pas trouvé d’autre moyen que de se faire condamner à vingt ans de travaux forcés.

– Je t’en prie, ne raille pas le sentiment qui m’a fait redevenir un honnête homme!

– Je ne raille pas… je constate… et c’est dommage! Si j’exigeais de toi une chose périlleuse ou malhonnête… je comprendrais… Mais, somme toute, manquer de parole à un père pareil, et cela pour délivrer un malheureux que l’on séquestre arbitrairement, ce n’est pas une action assez répugnante pour qu’en t’y refusant tu nous sacrifies tous les deux.

Les yeux baissés, de plus en plus indécis, prêt à faillir, Moralès demeura silencieux. Tout en se levant, l’aventurière fit d’un ton dégagé:

– Tu ne veux pas!… C’est bon, n’en parlons plus… Je connais quelqu’un qui se chargera de la besogne.

– Qui donc?… sursauta le fils du vieux Kerjean.

– Amaury de la Rochefontaine.

À ce nom, Moralès eut un sursaut de colère.

– Lui! fit-il.

– Pourquoi pas?

– Je ne veux pas!

– De quel droit m’imposerais-tu désormais ta volonté… puisque nous ne sommes plus rien l’un à l’autre?

– Plus rien!… éclata Robert en saisissant à son tour la main de sa maîtresse. Plus rien!… mais tu ne vois donc pas que je souffre toutes les douleurs?

– Quand tu pourrais être si heureux!

– Diana!

– Où est Favraut?

– Il est… il est…

Mais Moralès s’arrêta…

Une crainte terrible venait de l’empoigner.

– Et Jacqueline? reprit-il d’une voix blanche.

– Jacqueline? fit la Monti en haussant les épaules…

– Elle sait bien des choses… elle en sait même tellement que tu voulais la supprimer.

– Et après?

– Alors… j’ai peur…

– De quoi?

– J’ai peur que tu ne veuilles encore…

– Ne dis donc pas de bêtises!…

Avec un sang-froid extraordinaire, une présence d’esprit incomparable, l’aventurière posa:

– J’ai trouvé un intermédiaire qui se chargera de traiter toutes ces questions, sans que nous ayons besoin de nous y mêler ostensiblement.

– Cocantin, sans doute?

– Non… il est trop bête.

– Alors… qui?

– L’homme qui était là tout à l’heure.

– La Rochefontaine?

– Oui… La Rochefontaine, que tu as si stupidement pris pour mon amant, et qui n’est, en réalité, pour nous, qu’un associé d’autant plus précieux que je le tiens, et que je le mets au défi de me glisser dans les mains… Allons… Mora, sois raisonnable… ce que je te demande est peu de chose; et cependant, de ton refus ou de ton acceptation dépend toute notre existence. Aide-moi à délivrer Favraut… Tu le peux! Cela même t’est facile, très facile… et je suis à toi pour toujours. Réponds-moi, Moralès… Pourquoi tes yeux fuient-ils les miens?… Pourquoi ta bouche se dérobe-t-elle à mes baisers?… Tu préfères donc t’expatrier… t’en aller dans un pays meurtrier… chercher une mort cruelle autant qu’inutile? Mais à peine aurais-tu signé cet engagement que tu le regretterais amèrement… Car tu m’as dans le sang… C’est bien fini, tu ne pourras pas m’oublier, pas plus que je ne t’oublierai moi-même… Mora… mon ami… tu veux donc à tout prix deux malheureux?… Non, non, cela ne sera pas. Nous nous aimons trop, nous avons été trop l’un à l’autre pour ne pas nous rapprocher aujourd’hui en une étreinte qui ne nous permettra plus de nous séparer!

La terrible ensorceleuse, qui n’avait jamais été plus enveloppante, ni plus belle, se suspendait au cou de son amant… cherchant ses lèvres… Et ce fut le baiser ardent… auquel rien ne résiste… baiser de volupté, de traîtrise et de mort…

La gueuse avait reconquis le dévoyé.

Maintenant, Moralès était bien à elle, prêt de nouveau à toutes les lâchetés, à toutes les trahisons, à toutes les infamies.

Toutes ses bonnes résolutions avaient fondu sous les caresses de Diana, comme la neige au soleil.

Et d’une voix rauque, étranglée… secouée par le frisson du crime, le parjure articula:

– Donne-moi trois hommes sûrs et une auto rapide… et je jure que Favraut sera ici cette nuit!