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Jacqueline qui avait toutes les peines du monde à garder un ton sévère, continuait, s’adressant à son fils qui baissait le front, ne montrant plus à sa maman que la jolie masse blonde de ses cheveux bouclés:

– Monsieur Jeannot, vous avez mérité une punition sérieuse… Pour cette fois, je veux bien vous pardonner; car je vois bien que vous n’avez pas réfléchi aux conséquences de votre incartade… Mais sachez que, si vous vous avisiez de renouveler une pareille escapade, au lieu de vous laisser à Loisy, je me verrais obligée de vous mettre pensionnaire dans un collège de province où je ne vous verrais plus que trois fois par an aux vacances… Vous m’avez bien comprise?

– Oui, maman.

– Vous ne recommencerez plus? jamais plus?

– Jamais, jamais, jamais!

Et l’enfant essuyait du revers de son petit tablier les pleurs de repentir qui commençaient à couler sur ses joues, lorsque Jacqueline eut une exclamation de surprise.

Elle venait seulement d’apercevoir, dans un coin de la pièce où Mme Chapuis l’avait rangée, la cage vide… et dont la petite porte aux barreaux d’osier était restée encore entrouverte.

Jeannot releva la tête… et, surprenant le regard de sa mère, il s’exclama tout d’un trait:

– Maman, maman, c’est moi qui ai lâché les pigeons!

– Comment, c’est toi?

Et craignant sans doute d’être grondé encore, le bambin commençait, tout décontenancé, craignant de nouveaux reproches presque honteux:

– Oui, maman, tu m’avais dit souvent qu’il ne fallait pas…

Il ne put continuer.

Jacqueline l’avait pris dans ses bras, et, folle de bonheur, éperdue de reconnaissance, elle clama, les yeux ruisselant des larmes les plus nobles et les plus douces:

– Ne te défends pas, ne t’excuse pas, mon enfant bien-aimé; car c’est toi qui as sauvé ta maman!

*
* *

Le lendemain, Jacqueline, décidée plus que jamais à reprendre son existence de labeur et d’abnégation maternelle, reconduisait à la gare Saint-Lazare son fils que Marianne Bontemps, prévenue par un télégramme, était venue chercher.

À peine la voiture s’était-elle arrêtée dans la cour du Havre que la portière s’ouvrait et qu’un petit bonhomme à l’accoutrement bizarre, à la figure franche et malicieuse, apparaissait sur le marchepied, lançant un joyeux:

– Salut… m’sieur et dames.

Cette interpellation inattendue arracha un geste de surprise à Jacqueline.

– Le môme Réglisse! s’écria Jeannot en tapant joyeusement ses mains.

C’était lui, en effet, qui, au moment où il venait rendre visite à son petit camarade, l’avait aperçu montant en taxi avec sa mère et sa nourrice.

Alors, utilisant le système de transport en commun qui lui était familier c’est-à-dire grimpant sur l’un des ressorts arrière de l’auto, il était arrivé en même temps que son jeune ami auquel tout de suite, délibérément, il lançait:

– Comment ça va, mon vieux lapin, depuis qu’on s’est vu?

Vite, Jeannot avait rejoint son compagnon et, après l’avoir embrassé, présentait sur le ton de la plus enthousiaste amitié:

– Maman… maman…, c’est le petit garçon qui m’a conduit à Neuilly.

– Ah! c’est lui!

– Oui, maman.

Tout en regardant avec bienveillance ce brave gosse auquel elle devait sans doute que son fils ne se fût pas égaré dans Paris, la fille du banquier prit son porte-monnaie et en tira une pièce blanche qu’elle offrit au môme Réglisse.

Mais celui-ci, montrant à Jacqueline la musette qu’il portait en bandoulière et qui était déjà à moitié pleine de bouts de cigares et de cigarettes, répliqua, plein de dignité comique:

– Madame, je ne demande pas l’aumône, je suis commerçant!

Jacqueline qui avait souri à cette boutade, continuait à examiner l’enfant et l’interrogeait avec intérêt:

– Alors, c’est vrai que tu es seul au monde?

– Oui, madame.

– Tu n’as jamais connu ni ton papa ni ta maman?

– Jamais!

– Et les gens qui t’ont recueilli?

– C’est des rosses!

– Ils te battent?

– Et comment!

– Tu serais heureux de les quitter?

– J’comprends!

Jacqueline se sentit pleine de compassion pour ce pauvre petit déshérité qui, malgré les promiscuités fâcheuses de l’atmosphère de méchanceté et de hideur au milieu de laquelle il avait toujours vécu, semblait avoir gardé intacte la bonté de son cœur; et elle allait continuer son interrogatoire, lorsque Jeannot, cédant à un des mouvements primesautiers qui lui étaient habituels, dit à sa mère:

– Puisqu’il n’a plus de parents, et qu’il est seul au monde, tu veux bien être un peu sa maman?

– Beaucoup même!…

– Alors, je l’emmène avec moi.

– Mais, mon petit…

– Si, si, je ne veux plus le quitter! Nous resterons ensemble!

– Bath!… s’écria le môme Réglisse. Me v’là avec toute une famille!

Jacqueline hésitait… Certes, il lui eût été pénible de séparer à présent ces deux petits êtres qu’une instinctive affection, une mutuelle confiance nées d’un hasard de la rue avaient jetés dans les bras l’un de l’autre.

Mais, d’autre part, elle redoutait pour son Jeannot, si charmant et si pur, le contact d’un gamin qui, certes, au premier abord, avait l’air d’un brave petit bonhomme, mais qui n’en était pas moins un enfant du pavé.

La bonne Marianne se chargea de tout concilier. Elle sut faire vibrer chez Jacqueline la corde sensible.

– Madame, fit-elle à l’oreille de la jeune mère, vous pouvez être tranquille. La leçon que nous venons de recevoir nous profitera. Jour et nuit, nuit et jour… Jeannot restera près de moi… je vous le jure!… Aussi, je crois que nous pouvons emmener avec nous son petit ami… sauver un gosse… ça porte toujours bonheur!

– Vous avez raison, Marianne, approuva Jacqueline.

– Alors… on m’embauche? réclamait le môme Réglisse.

– Où demeurent les gens chez lesquels tu vivais?

– Tout là-bas près des fortifs…