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– Non, mais… qu’est-ce qui vous prend? s’indignait le détective malgré lui. Il n’y a rien de drôle à cela… au contraire.

– Dévorée par une rascasse! répétait le loup de mer qui en avait lâché la barre. Dévorée par une rascasse!… Ah! mon pauvre monsieur, vous n’avez pas cela à craindre pour votre dame… Vous pouvez être bien tranquille. C’est plutôt elle qui l’aurait dévorée, la rascasse!

– Qu’est-ce que vous me racontez là? sursautait Cocantin que la colère commençait à envahir.

Car il commençait à avoir l’impression très nette que, depuis un moment, les matelots de l’Aiglon se payaient sa tête dans les grands prix.

Alors le matelot, tout en changeant sa chique de place, questionna, tandis que son œil pétillait de malice:

– Dites-moi monsieur, avez-vous parfois mangé de la bouillabaisse?

– De la bouillabaisse?

Le loup de mer définit, avec une précision digne de l’auteur du parfait manuel de La Cuisinière bourgeoise:

– C’est un plat du pays composé de pommes cuites dans de l’eau… ou dans du vin blanc et dans lequel on met beaucoup d’ail, de persil, de safran, de poisson, de laurier…

– J’y suis… j’y suis, reconnaissait le directeur de l’Agence Céléritas qui, faisant appel à ce qu’on est convenu d’appeler des souvenirs d’estomac, formulait:

– Je me rappelle en avoir mangé à Marseille, sur le quai… C’était bon… c’était même très bon. J’en ai mangé aussi à Nice… elle était non moins exquise… Mais qu’est-ce que la rascasse peut bien avoir affaire avec la bouillabaisse?

– Hé! c’est que la bouillabaisse est faite avec la rascasse.

– C’est donc un petit poisson?

– Un tout petit petit…

– Vous m’avez fait marcher!… s’écria Cocantin qui, doué d’un très bon caractère, eût été le premier à rire de la facile plaisanterie des hommes du bord, s’il n’eût pas été si anxieux du sort de sa fiancée.

Et il allait reprendre sa jumelle au môme Réglisse qui, depuis un instant déjà, s’en était emparé, lorsque le petit s’exclama:

– Hé! Coco, là-bas… un peu à droite, je vois quelque chose qui remue… qui remue dans l’eau…

Brusquement… l’héritier du sieur Ribaudet… saisit la lorgnette et regarda à son tour…

Puis, au bout de quelques secondes d’un émouvant silence, il s’écria:

– C’est elle!… Je ne la reconnais pas bien… mais ça ne fait rien… j’en suis sûr… c’est elle… Mon cœur me l’a dit tout de suite.

Et, sans se douter un seul instant qu’il parodiait le chevalier des Grieux dans Manon, il ajouta en se frappant la poitrine:

– Et mon cœur ne se trompe pas!… Ah! Daisy… Daisy! J’arrive à temps pour te sauver!…

Immédiatement… le canot se dirigea vers le point mouvant que l’on distinguait au loin… à la surface des eaux calmées, et qui ne se ridaient plus que de quelques vagues légères… onduleuses, plutôt faites pour favoriser la nageuse que pour gêner ses mouvements.

Peu à peu… le but se précisait…

Cocantin et le môme Réglisse n’avaient été nullement l’objet d’une erreur.

C’était bien Miss Daisy Torp qui… toujours souple… gracieuse, bien que réellement fatiguée, se balançait sur les flots.

En apercevant la barque qui venait à son secours, la jeune femme, redoublant d’efforts, voulut revenir vers elle…

Mais… elle avait trop présumé de ses forces.

Visiblement épuisée elle battit l’air de ses mains… et, au moment où le môme Réglisse lui lançait: «Tenez bon, nous voici», la nageuse disparut sous l’eau… tandis que Cocantin désespéré s’exclamait:

– Trop tard! nous sommes arrivés trop tard! C’est épouvantable! Je ne m’en consolerai jamais… jamais!

Mais à peine avait-il prononcé cette phrase qu’un cri d’espoir et d’allégresse lui succédait.

– Elle… c’est elle. Je la vois. Daisy… ma fiancée! ma femme!

Il venait de voir reparaître tout près de la barque, flottant à portée de sa main, l’opulente chevelure de Miss Daisy.

Brusquement, il avança le bras et empoigna vigoureusement… une touffe de cheveux blonds… tandis que les matelots, se penchant hors de l’embarcation, parvenaient à saisir la jeune femme par un bras.

Daisy était sauvée!

En un clin d’œil elle fut remontée à bord.

Il était temps…

L’audacieuse ondine était privée de tout sentiment.

Tandis que le canot regagnait la terre, Cocantin, aidé du môme Réglisse qui s’y connaissait, se mit à la frictionner avec une ardeur sans pareille, tout en lui murmurant les paroles les plus sincèrement admiratives et les plus doucement affectueuses.

Au bout de quelques minutes, la jolie Américaine revint à elle…

En apercevant Cocantin qui, penché sur elle, guettait avec impatience son premier regard, elle balbutia d’une voix encore éteinte:

– Thank you very much! (Je vous remercie beaucoup)…

Et presque aussitôt elle ajouta:

– Cela va mieux… beaucoup mieux… J’aurais tant voulu rattraper cette femme!

Et elle ajouta:

– Vous pouvez dire à votre ami Judex qu’elle ne viendra plus l’ennuyer… à présent… Je vous le garantis!

Puis… fermant les yeux… Miss Daisy Torp tomba dans une sorte de torpeur, inévitable conséquence de la dépression nerveuse qu’elle subissait à la suite de l’effort surhumain qu’elle venait d’accomplir.

Nous n’attendrons pas que Miss Daisy Torp soit revenue à elle pour narrer à nos lecteurs l’issue du combat terrible qui s’était passé en mer, et dont Diana Monti et la jolie ondine avaient été toutes deux les protagonistes.

L’aventurière avait commencé par se cramponner avec l’énergie du désespoir au cou de la nageuse… cherchant à l’étrangler en un spasme de rage suprême, formidable.

Mais si elle était adroite et robuste, l’Américaine ne lui cédait en rien en vigueur et en agilité.

Vivement elle s’était dégagée…

Comprenant qu’il s’agissait d’un véritable duel à mort, d’une lutte sans merci… les deux adversaires, revenant à la surface, s’étaient empoignées à nouveau en une furieuse étreinte.

Mais, cette fois, Miss Daisy Torp, mieux sur ses gardes et complètement fixée sur les intentions de son ennemie, avait tout de suite pris l’initiative du combat.