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– Ah! mon Dieu! dit-elle, vous le voyez bien, Philippe, c’est fini, et je gage que, sans la surprise que vous m’avez faite à si bonne intention, les spasmes n’eussent point reparu, et que j’étais guérie; mais arriver ainsi devant moi, vous comprenez, Philippe, devant moi qui vous aime tant… vous, vous qui êtes le mobile, l’événement de ma vie, mais ce serait vouloir me tuer, même si je me portais bien.

– Oui, tout cela est très gracieux et très charmant, Andrée; en attendant, dites-moi, je vous prie, à quoi vous attribuez ce malaise?

– Que sais-je, ami? au retour du printemps, à la saison des fleurs; vous savez comme je suis nerveuse; hier déjà, l’odeur des lilas perses du parterre m’a suffoquée; vous savez combien ces plumets magnifiques, qui se balancent aux premières brises de l’année, dégagent de senteurs enivrantes; eh bien, hier… Oh! mon Dieu! tenez, Philippe, je n’y veux plus penser, car je crois que le mal me reprendrait.

– Oui, vous avez raison, et peut-être est-ce cela. c’est fort dangereux, les fleurs; vous rappelez-vous qu’étant enfant, je m’avisai, à Taverney, d’entourer mon lit d’une bordure de lilas coupés dans la haie? C’était joli comme un reposoir, disions-nous tous deux; mais, le lendemain, je ne me réveillai pas, vous le savez; le lendemain, tout le monde me crut mort, excepté vous, qui ne voulûtes jamais comprendre que je vous eusse quittée ainsi sans vous dire adieu, et ce fut vous seule, pauvre Andrée – vous aviez six ans à peine à cette époque -, et ce fut vous seule qui me fîtes revenir à force de baisers et de larmes.

– Et d’air, Philippe, car c’est de l’air qu’il faut en pareille occurrence; l’air semble toujours me manquer, à moi.

– Ah! ma sœur, ma sœur, vous ne vous êtes plus souvenue de cela, vous aurez fait apporter des fleurs dans votre chambre.

– Non, Philippe, non, en vérité, il y a plus de quinze jours qu’il n’y est entré une pâquerette! Chose étrange! moi qui aimais tant les fleurs, je les ai prises en exécration. Mais laissons là les fleurs. Donc, j’ai eu la migraine; mademoiselle de Taverney a eu la migraine, cher Philippe, et comme c’est une heureuse personne que cette demoiselle de Taverney!… car, pour cette migraine, qui a amené un évanouissement, elle a intéressé à son sort la cour et la ville.

– Comment cela?

– Sans doute: madame la dauphine a eu la bonté de me venir voir… Oh! Philippe, quelle charmante protectrice, quelle délicate amie que madame la dauphine; elle m’a soignée, dorlotée, amené son premier médecin, et, quand ce grave personnage, dont les arrêts sont infaillibles, m’a eu palpé le pouls, et regardé les yeux et la langue, savez-vous le dernier bonheur que j’ai eu?

– Non.

– Eh bien, il s’est trouvé purement et simplement que je n’étais pas malade le moins du monde, que le docteur Louis n’a pas trouvé une seule potion à m’ordonner, une seule pilule à me prescrire, lui qui abat chaque jour des bras et des jambes à faire frémir, à ce qu’on dit; donc, Philippe, vous le voyez, je me porte à merveille. Maintenant, dites-moi qui vous a effrayé?

– C’est ce petit niais de Gilbert, pardieu!

– Gilbert? dit Andrée avec un mouvement visible d’impatience.

– Oui, il m’a dit que vous étiez fort malade.

– Et vous avez cru ce petit idiot, ce fainéant qui n’est bon qu’à faire le mal ou à le dire?

– Andrée, Andrée!

– Eh bien?

– Vous pâlissez encore.

– Non, mais c’est que ce Gilbert m’agace; ce n’est pas assez de le rencontrer sur mon chemin, il faut que j’entende encore parler de lui quand il n’est pas là.

– Allons, vous allez encore vous évanouir.

– Oh! oui, oui, mon Dieu!… Mais c’est qu’aussi…

Et les lèvres d’Andrée blêmirent et sa voix s’arrêta.

– Voilà qui est étrange! murmura Philippe.

Andrée fit un effort.

– Non, ce n’est rien, dit-elle; ne faites point attention à toutes ces bluettes et à toutes ces vapeurs; me voilà sur mes pieds, Philippe; tenez, si vous m’en croyez, nous irons faire un tour ensemble et, dans dix minutes, je serai guérie.

– Je crois que vous vous abusez sur vos propres forces, Andrée.

– Non; Philippe revenu serait la santé au cas où je serais mourante; voulez-vous que nous sortions, Philippe?

– Tout à l’heure, chère Andrée, dit Philippe en arrêtant doucement sa sœur; vous ne m’avez pas encore rassuré complètement, laissez-vous remettre.

– Soit.

Andrée se laissa retomber sur le sofa, entraînant auprès d’elle Philippe, qu’elle tenait par la main.

– Et pourquoi, continua-t-elle, vous voit-on ainsi tout à coup sans nouvelles de vous?

– Mais, répondez-moi, chère Andrée, pourquoi vous-même avez-vous cessé de m’écrire?

– Oui, c’est vrai; mais depuis quelques jours seulement.

– Depuis près de quinze jours, Andrée.

Andrée baissa la tête.

– Négligente! dit Philippe avec un doux reproche.

– Non, mais souffrante, Philippe. Tenez, vous avez raison, mon malaise remonte au jour où vous avez cessé de recevoir des nouvelles de moi: depuis ce jour, les choses les plus chères m’ont été une fatigue, un dégoût.

– Enfin, je suis fort content, au milieu de tout cela, du mot que vous avez dit tout à l’heure.

– Quel mot ai-je dit?

– Vous avez dit que vous étiez bien heureuse; tant mieux, car, si l’on vous aime ici et si l’on y pense bien à vous, il n’en est pas de même pour moi.

– Pour vous?

– Oui, pour moi, qui étais complètement oublié là-bas, même par ma sœur.

– Oh! Philippe!

– Croiriez-vous, ma chère Andrée, que, depuis mon départ, que l’on m’avait dit si pressé, je n’ai eu aucune nouvelle de ce prétendu régiment dont on m’envoyait prendre possession, et que le roi m’avait fait promettre par M. de Richelieu, par mon père même?

– Oh! cela ne m’étonne pas, dit Andrée.

– Comment, cela ne vous étonne pas?

– Non. Si vous saviez, Philippe. M. de Richelieu et mon père sont tout bouleversés, ils semblent deux corps sans âme. Je ne comprends rien à la vie de tous ces gens-là. Le matin, mon père s’en va courir après son vieil ami, comme il l’appelle; il le pousse à Versailles, chez le roi; puis il revient l’attendre ici, où il passe son temps à me faire des questions que je ne comprends pas. La journée s’écoule; pas de nouvelles. Alors M. de Taverney entre dans ses grandes colères. Le duc le fait aller, dit-il, le duc trahit. Qui le duc trahit-il? Je vous le demande; car, moi, je n’en sais rien, et je vous avoue que je tiens peu à le savoir. M. de Taverney vit ainsi comme un damné dans le purgatoire, attendant toujours quelque chose qu’on n’apporte pas, quelqu’un qui ne vient jamais.