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– Non, madame, dit Gilbert, je les trouve appétissants, au contraire, et je les aimerais fort, mais je ne mange jamais que d’un plat.

– Et vous buvez de l’eau? dit Jacques en lui tendant la bouteille.

– Toujours, monsieur.

Jacques se versa un doigt de vin pur.

– Maintenant, ma femme, dit-il en reposant la bouteille sur la table, vous vous occuperez, je vous prie, de coucher ce jeune homme; il doit être bien las.

Thérèse laissa échapper sa fourchette et fixa ses deux yeux effarés sur son mari.

– Coucher! Êtes-vous fou? Vous amenez quelqu’un à coucher! C’est donc dans votre lit que vous le coucherez? Mais, en vérité, il perd la tête. Alors vous allez tenir pension désormais? En ce cas ne comptez plus sur moi; cherchez une cuisinière et une servante; c’est assez d’être la vôtre, sans devenir aussi celle des autres.

– Thérèse, répondit Jacques de son ton grave et ferme, Thérèse, je vous prie de m’écouter, chère amie: c’est pour une nuit seulement. Ce jeune homme n’a jamais mis le pied à Paris; il y vient sous ma conduite. Je ne veux pas qu’il couche à l’auberge, je ne le veux pas, dût-il prendre mon lit, comme vous le dites.

Après cette seconde manifestation de sa volonté le vieillard attendit.

Alors Thérèse, qui l’avait regardé avec attention, et qui, tandis qu’il parlait, paraissait étudier chaque muscle de son visage, sembla comprendre qu’il n’y avait pas de lutte possible en ce moment, et changea de tactique subitement.

Elle eût échoué en s’obstinant à combattre contre Gilbert; elle se mit à combattre pour lui: il est vrai que c’était en alliée bien près de trahir.

– Au fait, dit-elle, puisque ce jeune monsieur vous a accompagné ici, c’est que vous le connaissez bien, et mieux vaut qu’il reste chez nous. Je ferai tant bien que mal un lit dans votre cabinet, près des liasses de papier.

– Non, non, dit Jacques vivement; un cabinet n’est point un endroit où l’on couche. On peut mettre le feu à ces papiers.

– Beau malheur! murmura Thérèse.

Puis tout haut:

– Dans l’antichambre, alors, devant le buffet?

– Non plus.

– Alors, je vois que, malgré notre bonne volonté à tous deux, ce sera impossible; car, à moins que de prendre votre chambre ou la mienne…

– Il me semble, Thérèse, que vous ne cherchez pas bien.

– Moi?

– Sans doute. N’avons-nous point la mansarde?

– Le grenier, voulez-vous dire?

– Non, ce n’est pas un grenier, c’est un cabinet un peu mansardé, mais sain, avec une vue sur des jardins magnifiques, ce qui est rare à Paris.

– Oh! qu’importe, monsieur, dit Gilbert, fût-ce un grenier, je m’estimerai encore heureux, je vous jure.

– Pas du tout, pas du tout, dit Thérèse. Tiens, c’est là que j’étends mon linge.

– Ce jeune homme n’y dérangera rien, Thérèse. N’est-ce pas, mon ami, vous veillerez à ce qu’il n’arrive aucun accident au linge de cette bonne ménagère? Nous sommes pauvres, et toute perte nous est lourde.

– Oh! soyez tranquille, monsieur.

Jacques se leva et s’approcha de Thérèse.

– Je ne veux pas, voyez-vous, chère amie, que ce jeune homme se perde. Paris est un séjour pernicieux; ici, nous le surveillerons.

– C’est une éducation que vous faites. Il paiera donc pension, votre élève?

– Non, mais je vous réponds qu’il ne vous coûtera rien. À partir de demain, il se nourrira lui-même. Quant au logement, comme la mansarde nous est à peu près inutile, faisons-lui cette charité.

– Comme tous les paresseux s’entendent! murmura Thérèse en haussant les épaules.

– Monsieur, dit Gilbert, plus fatigué que son hôte lui-même de cette lutte qu’il livrait pied à pied, pour une hospitalité qui l’humiliait, je n’ai jamais gêné personne, et je ne commencerai certes point par vous, qui avez été si bon pour moi. Ainsi, permettez que je me retire. J’ai aperçu, du côté du pont que nous avons traversé, des arbres sous lesquels il y a des bancs. Je dormirai fort bien, je vous assure, couché sur un de ces bancs.

– Oui, dit Jacques, pour que le guet vous arrête comme un vagabond.

– Qu’il est, dit tout bas Thérèse en desservant.

– Venez, venez, jeune homme, dit Jacques, il y a là-haut, autant que je puis m’en souvenir, une bonne paillasse. Cela vaudra toujours mieux qu’un banc; et puisque vous vous contenteriez d’un banc…

– Oh! monsieur, je n’ai jamais couché que sur des paillasses, dit Gilbert.

Puis, revenant sur cette vérité par un petit mensonge:

– La laine m’échauffe trop, continua-t-il.

Jacques sourit.

– La paille est en effet rafraîchissante, dit-il. Prenez sur la table un bout de chandelle et suivez-moi.

Thérèse ne regarda même plus du côté de Jacques. Elle poussa un soupir, elle était vaincue.

Gilbert se leva gravement et suivit son protecteur.

En traversant l’antichambre, Gilbert vit une fontaine.

– Monsieur, dit-il, l’eau est-elle chère à Paris?

– Non, mon ami; mais, fût-elle chère, l’eau et le pain sont deux choses que l’homme n’a pas le droit de refuser à l’homme qui les demande.

– Oh! c’est qu’à Taverney l’eau ne coûtait rien, et le luxe du pauvre, c’est la propreté.

– Prenez, mon ami, prenez, dit Jacques en indiquant du doigt à Gilbert un grand pot de faïence, prenez.

Et il précéda le jeune homme en s’étonnant de trouver, dans un enfant de cet âge, toute la fermeté du peuple unie à tous les instincts de l’aristocratie.