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Aise,

Aise,

Aise,

Elle est sur le grabat. Ah! ah! ah!

C’était le premier couplet d’un vaudeville contre madame du Barry, lequel courait les rues sous le nom de la Belle Bourbonnaise.

Le roi fut tout près de revenir sur ses pas, et peut-être Mesdames se fussent-elles assez mal trouvées de ce retour; mais il se retint, et continua son chemin en criant pour ne pas entendre:

– Monsieur le capitaine des levrettes! holà! monsieur le capitaine des levrettes!

L’officier que l’on décorait de ce singulier titre accourut.

– Qu’on ouvre le cabinet des chiens, dit le roi.

– Oh! sire, s’écria l’officier en se jetant au-devant de Louis XV, que Votre Majesté ne fasse pas un pas de plus!

– Eh bien! qu’y a-t-il? Voyons! dit le roi s’arrêtant au seuil de la porte, sous laquelle passaient en sifflant les haleines des chiens qui sentaient leur maître.

– Sire, dit l’officier, pardonnez à mon zèle, mais je ne puis permettre que le roi entre près des chiens.

– Ah! oui! dit le roi, je comprends, le cabinet n’est point en ordre… Eh bien! faites sortir Gredinet.

– Sire, murmura l’officier, dont le visage exprima la consternation, Gredinet n’a ni bu ni mangé depuis deux jours, et l’on craint qu’il ne soit enragé.

– Oh! bien décidément, s’écria Louis XV, je suis le plus malheureux des hommes! Gredinet enragé! voilà qui mettrait le comble à mes chagrins.

L’officier des levrettes crut devoir verser une larme pour animer la scène.

Le roi tourna les talons et regagna son cabinet, où l’attendait son valet de chambre.

Celui-ci, en apercevant le visage bouleversé du roi, se dissimula dans l’embrasure d’une fenêtre.

– Ah! je le vois bien, murmura Louis XV sans faire attention à ce fidèle serviteur, qui n’était pas un homme pour le roi, et en marchant à grands pas dans son cabinet; ah! je le vois bien, M. de Choiseul se moque de moi; le dauphin se regarde déjà comme à moitié maître et croit qu’il le sera tout à fait quand il aura fait asseoir sa petite Autrichienne sur le trône. Louise m’aime, mais bien durement, puisqu’elle me fait de la morale et qu’elle s’en va. Mes trois autres filles chantent des chansons où l’on m’appelle Blaise. M. le comte de Provence traduit Lucrèce. M. le comte d’Artois court les ruelles. Mes chiens deviennent enragés et veulent me mordre. Décidément il n’y a que cette pauvre comtesse qui m’aime. Au diable donc ceux qui veulent lui faire déplaisir!

Alors, avec une résolution désespérée, s’asseyant près de la table sur laquelle Louis XIV donnait sa signature, et qui avait reçu le poids des derniers traités et des lettres superbes du grand roi:

– Je comprends maintenant pourquoi tout le monde hâte autour de moi l’arrivée de madame la dauphine. On croit qu’elle n’a qu’à se montrer ici pour que je devienne son esclave, ou que je sois dominé par sa famille. Ma foi, j’ai bien le temps de la voir, ma chère bru, surtout si son arrivée ici doit encore m’occasionner de nouveaux tracas. Vivons donc tranquille, tranquille le plus longtemps possible, et pour y parvenir, retenons-la en route. Elle devait, continua le roi, passer Reims et passer Noyon sans s’arrêter, et venir tout de suite à Compiègne: maintenons le premier cérémonial. Trois jours de réception à Reims, et un… non, ma foi! deux… bah! trois jours de fête à Noyon, cela fera toujours six jours de gagnés, six bons jours.

Le roi prit la plume et adressa lui-même à M. de Stainville l’ordre de s’arrêter trois jours à Reims et trois jours à Noyon.

Puis, mandant le courrier de service.

– Ventre à terre, dit-il, jusqu’à ce que vous ayez remis cet ordre à son adresse.

Puis de la même plume:

«Chère comtesse, écrivit-il, nous installons aujourd’hui Zamore dans son gouvernement. Je pars pour Marly. Ce soir j’irai vous dire à Luciennes tout ce que je pense en ce moment.

«La France.»

– Tenez, Lebel, dit-il, allez porter cette lettre à la comtesse, et tenez-vous bien avec elle: c’est un conseil que je vous donne.

Le valet de chambre s’inclina et sortit.

Chapitre XXIX Madame de Béarn

Le premier objet de toutes ces fureurs, la pierre d’achoppement de tous ces scandales désirés ou redoutés à la cour, madame la comtesse de Béarn, comme l’avait dit Chon à son frère, voyageait rapidement vers Paris.

Ce voyage était le résultat d’une de ces merveilleuses imaginations qui, dans ses moments d’embarras, venaient au secours du vicomte Jean.

Ne pouvant trouver parmi les femmes de la cour cette marraine tant désirée et si nécessaire, puisque sans elle la présentation de madame du Barry ne pouvait avoir lieu, il avait jeté les yeux sur la province, examiné les positions, fouillé les villes, et trouvé ce qu’il lui fallait sur les bords de la Meuse, dans une maison toute gothique, mais assez bien tenue.

Ce qu’il cherchait, c’était une vieille plaideuse et un vieux procès.

La vieille plaideuse était la comtesse de Béarn.

Le vieux procès était une affaire d’où dépendait toute sa fortune et qui relevait de M. de Maupeou, tout récemment rallié à madame du Barry, avec laquelle il avait découvert un degré de parenté inconnu jusque-là, et qu’il appelait en conséquence sa cousine. M. de Maupeou, dans la prévision de la chancellerie, avait pour la favorite toute la ferveur d’une amitié de la veille et d’un intérêt du lendemain, amitié et intérêt qui l’avaient fait nommer vice chancelier par le roi, et par abréviation, le Vice par tout le monde.

Madame de Béarn était bien réellement une vieille plaideuse fort semblable à la comtesse d’Escarbagnas ou à madame Pimbêche, les deux bons types de cette époque-là, portant du reste comme on le voit, un nom magnifique.

Agile, maigre, anguleuse, toujours sur le qui-vive, toujours roulant des yeux de chat effaré sous ses sourcils gris, madame de Béarn avait conservé le costume des femmes de sa jeunesse, et comme la mode, toute capricieuse qu’elle est, consent à redevenir raisonnable parfois, le costume des jeunes filles de 1740 se trouvait être un habit de vieille en 1770.

Amples guipures, mantelet dentelé, coiffes énormes, poches immenses, sac colossal et cravate de soie à fleurs, tel était le costume sous lequel Chon, la sœur bien-aimée et la confidente fidèle de madame du Barry, avait trouvé madame de Béarn lorsqu’elle se présenta chez elle sous le nom de mademoiselle Flageot, c’est-à-dire comme la fille de son avocat.

La vieille comtesse le portait – on sait qu’il est question de costume – autant par goût que par économie. Elle n’était pas de ces gens qui rougissent de leur pauvreté, car sa pauvreté ne venait point de sa faute. Seulement, elle regrettait de ne pas être riche pour laisser une fortune digne de son nom à son fils, jeune homme tout provincial timide comme une jeune fille, et bien plus attaché aux douceurs de la vie matérielle qu’aux faveurs de la renommée.