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En ce moment les deux battants de la porte s’ouvrirent, et un huissier entra, criant:

– Le roi!

Les deux alliés s’empressèrent de cacher chacun son gage d’alliance et se retournèrent pour saluer Sa Majesté Louis quinzième du nom.

Chapitre XXIV Le roi Louis XV

Louis XV entra la tête haute, le jarret tendu, l’œil gai, le sourire aux lèvres.

On voyait sur son passage, par la porte ouverte à deux battants, une double haie de têtes inclinées et appartenant à des courtisans, une fois plus désireux encore d’être introduits, depuis qu’ils voyaient dans l’arrivée de Sa Majesté une occasion de faire à la fois leur cour à deux puissances.

Les portes se refermèrent. Le roi, n’ayant fait signe à personne de le suivre, se trouva seul avec la comtesse et M. de Sartine.

Nous ne parlerons pas de la chambrière intime ni d’un petit négrillon; ni l’un ni l’autre ne comptait.

– Bonjour, comtesse, dit le roi en baisant la main de madame du Barry. Dieu merci, sommes-nous fraîche ce matin!… Bonjour, Sartine. Est ce qu’on travaille ici? Bon Dieu! que de papiers! Cachez-moi cela, hein! Oh! la belle fontaine, comtesse!

Et avec sa curiosité versatile et ennuyée, les yeux de Louis XV se fixèrent sur une gigantesque chinoiserie qui ornait depuis la veille seulement un des angles de la chambre à coucher de la comtesse.

– Sire, répondit madame du Barry, c’est, comme Votre Majesté peut le voir, une fontaine de Chine. Les eaux, en lâchant le robinet qui est derrière, font siffler des oiseaux de porcelaine et nager des poissons de verre; puis les portes de la pagode s’ouvrent pour donner passage à un défilé de mandarins.

– C’est très joli, comtesse.

En ce moment, le petit négrillon passa, vêtu de cette façon fantastique et capricieuse dont on habillait à cette époque les Orosmane et les Othello. Il avait un petit turban à plumes droites planté sur l’oreille, une veste de brocart d’or qui laissait voir ses bras d’ébène, une culotte bouffante de satin blanc broché qui descendait jusqu’au genou, et une ceinture aux vives couleurs qui reliait cette culotte à un gilet brodé; un poignard étincelant de pierreries était passé à sa ceinture.

– Peste! s’écria le roi, comme Zamore est magnifique aujourd’hui!

Le nègre s’arrêta complaisamment devant une glace.

– Sire, il a une faveur à demander à Votre Majesté.

– Madame, dit Louis XV souriant avec le plus de grâce possible, Zamore me paraît bien ambitieux.

– Pourquoi cela, sire?

– Parce que vous lui avez déjà accordé la plus grande faveur qu’il puisse désirer.

– Laquelle?

– La même qu’à moi.

– Je ne comprends pas, sire.

– Vous l’avez fait votre esclave.

M. de Sartine s’inclina souriant et se mordit les lèvres à la fois.

– Oh! vous êtes charmant, sire, s’écria la comtesse.

Puis, se penchant à l’oreille du roi:

– La France, je t’adore, lui dit-elle tout bas.

Louis sourit à son tour.

– Eh bien! demanda-t-il, que désirez-vous pour Zamore?

– La récompense de ses longs et nombreux services.

– Il a douze ans.

– De ses longs et nombreux services futurs.

– Ah! ah!

– Ma foi, oui, sire; il me semble qu’il y a assez longtemps que l’on récompense les services passés et qu’il serait temps de récompenser les services à venir, on serait plus sûr de ne pas être payé d’ingratitude.

– Tiens! c’est une idée, cela, dit le roi. Qu’en pensez-vous, monsieur de Sartine?

– Que tous les dévouements y trouveraient leur compte; par conséquent, je l’appuie, sire.

– Enfin, voyons, comtesse, que demandez-vous pour Zamore?

– Sire, vous connaissez mon pavillon de Luciennes?

– C’est-à-dire que j’en ai entendu parler seulement.

– C’est votre faute: je vous ai invité cent fois à y venir.

– Vous connaissez l’étiquette, chère comtesse; à moins d’être en voyage, le roi ne peut coucher que dans les châteaux royaux.

– Justement, voilà la grâce que j’ai à vous demander. Nous érigeons Luciennes en château royal, et nous en nommons Zamore gouverneur.

– Ce sera une parodie, comtesse.

– Vous savez que je les adore, sire.

– Cela fera crier les autres gouverneurs.

– Ils crieront!

– Mais à raison, cette fois.

– Tant mieux: ils ont si souvent crié à tort! Zamore, mettez-vous à genoux et remerciez Sa Majesté.

– Et de quoi? demanda Louis XV.

Le nègre s’agenouilla.

– De la récompense qu’il vous donne, pour avoir porté la queue de ma robe et fait enrager, en la portant, les routiniers et les prudes de la cour.

– En vérité, dit Louis XV, il est hideux.

Et il éclata de rire.

– Relevez-vous, Zamore, dit la comtesse; vous êtes nommé.

– Mais en vérité, madame…

– Je me charge de faire expédier les lettres, les brevets, les provisions, c’est mon affaire. La vôtre, sire, est de pouvoir, sans déroger, venir à Luciennes. À compter d’aujourd’hui, mon roi, vous avez un château royal de plus.

– Savez-vous un moyen de lui refuser quelque chose, Sartine?

– Il existe peut-être, mais on ne l’a pas encore trouvé.

– Et si on le trouve, sire, je puis vous répondre d’une chose, c’est que ce sera M. de Sartine qui aura fait cette belle découverte.

– Comment cela, madame? demanda le lieutenant de police tout frémissant.

– Imaginez-vous, sire, qu’il y a trois mois que je demande à M. de Sartine une chose, et que je la demande inutilement.

– Et quelle chose demandez-vous? fit le roi.

– Oh! il le sait bien.

– Moi, madame? Je vous jure…

– Est-ce dans ses attributions? demanda le roi.

– Dans les siennes ou dans celles de son successeur.