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Cette réponse ne parut point satisfaire l’étranger, car il heurta une seconde fois.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, grand et robuste, au teint rouge, à la barbe bleue, à la main noueuse sous une large manchette de dentelles. Il portait un chapeau galonné posé de travers, à la mode des officiers de province qui veulent effaroucher les Parisiens.

Il frappa une troisième fois. Puis, s’impatientant:

– Savez-vous que vous n’êtes point poli, mon cher, dit-il, et que, si vous n’ouvrez pas votre volet, je vais l’enfoncer tout à l’heure!

Le volet se rouvrit à cette menace, et le même visage reparut.

– Mais quand on vous dit que le cheval n’est point à vendre, répondit pour la seconde fois le paysan. Que diable! cela doit vous suffire!

– Et moi, quand je vous dis que j’ai besoin d’un coureur.

– Si vous avez besoin d’un coureur, allez en prendre un à la poste. Il y en a là soixante qui sortent des écuries de Sa Majesté, et vous aurez de quoi choisir. Mais laissez son cheval à la personne qui n’en a qu’un.

– Et moi, je vous répète que c’est celui-là que je veux.

– Pas dégoûté, un cheval arabe!

– Raison de plus pour que j’aie envie de l’acheter.

– C’est possible que vous ayez l’envie de l’acheter… malheureusement il n’est pas à vendre.

– Mais à qui appartient-il donc?

– Vous êtes bien curieux.

– Et toi, tu es bien discret.

– Eh bien! il appartient à une personne qui loge chez moi, et qui aime cette bête comme elle aimerait un enfant.

– Je veux parler à cette personne.

– Elle dort.

– Est-ce un homme ou une femme?

– C’est une femme.

– Eh bien! dis à cette femme que si elle a besoin de cinq cents pistoles, on les lui donnera en échange de ce cheval.

– Oh! oh! fit le paysan en ouvrant de grands yeux; cinq cents pistoles! c’est un joli denier.

– Ajoute, si tu veux, que c’est le roi qui a envie de cette bête.

– Le roi?

– En personne.

– Allons donc, vous n’êtes pas le roi, peut-être?

– Non, mais je le représente.

– Vous représentez le roi? dit le paysan en ôtant son chapeau.

– Fais vite, l’ami, le roi est très pressé.

Et l’hercule jeta sur la route un regard de surveillance.

– Eh bien! quand la dame sera réveillée, dit le paysan, vous pouvez être tranquille, je lui en toucherai deux mots.

– Oui; mais je n’ai pas le temps d’attendre qu’elle soit réveillée, moi.

– Que faire alors?

– Parbleu! réveille-la.

– Ah! par exemple, jamais je n’oserais!

– Eh bien! je vais la réveiller moi-même, attends, attends.

Et le personnage qui prétendait représenter Sa Majesté s’avança pour frapper le volet supérieur d’une longue cravache à pommeau d’argent qu’il tenait à la main.

Mais sa main déjà levée s’abaissa sans même effleurer le volet, car au même moment il aperçut une chaise qui arrivait au grand, mais au dernier trot de trois chevaux épuisés.

L’œil exercé de l’étranger reconnut les panneaux de la voiture, et il s’élança aussitôt au-devant d’elle d’un train qui eût fait honneur au cheval arabe dont il ambitionnait la possession.

Cette voiture était la chaise de poste qui amenait la voyageuse, ange gardien de Gilbert.

En voyant cet homme qui lui faisait des signes, le postillon, qui ne savait pas si ses chevaux iraient jusqu’à la poste, fut enchanté de s’arrêter.

– Chon! ma bonne Chon! cria l’étranger, est-ce toi enfin? Bonjour! bonjour!

– Moi-même, Jean, répondit la voyageuse interpellée par ce singulier nom; et que fais-tu là?

– Pardieu! belle demande, je t’attends.

Et l’hercule sauta sur le marchepied, et par l’ouverture de la portière, enveloppant la jeune femme de ses longs bras, il la couvrit de baisers.

Tout à coup il aperçut Gilbert, qui, ne connaissant aucun des rapports qui pouvaient exister entre les deux nouveaux personnages que nous venons de mettre en scène, faisait une mine rechignée assez semblable à celle d’un chien dont on prend l’os.

– Tiens, dit-il, qu’as-tu donc ramassé là?

– Un petit philosophe des plus amusants, répondit mademoiselle Chon, peu soucieuse de blesser ou de flatter son protégé.

– Et où l’as-tu trouvé?

– Sur la route. Mais ce n’est point de cela qu’il s’agit.

– C’est vrai, répondit celui qu’on nommait Jean. Eh bien! notre vieille comtesse de Béarn?

– C’est fait.

– Comment, c’est fait?

– Oui, elle viendra.

– Elle viendra?

– Oui, oui, oui, fit mademoiselle Chon de la tête.

Cette scène se passait toujours du marchepied au coussin de la chaise.

– Que lui as-tu donc conté? demanda Jean.

– Que j’étais la fille de son avocat, maître Flageot, que je passais par Verdun et que j’avais pour commission de lui annoncer, de la part de mon père, la mise au rôle de son procès.

– Voilà tout?

– Sans doute. J’ai seulement ajouté que la mise au rôle rendait sa présence à Paris indispensable.

– Qu’a-t-elle fait alors?

– Elle a ouvert ses petits yeux gris, humé son tabac, prétendu que maître Flageot était le premier homme du monde et donné des ordres pour son départ.

– C’est superbe, Chon! Je te fais mon ambassadeur extraordinaire. Maintenant, déjeunons-nous?

– Sans doute, car ce malheureux enfant meurt de faim; mais lestement, n’est-ce pas?

– Pourquoi donc?

– Parce qu’on arrive là-bas!

– La vieille plaideuse? Bah! pourvu que nous la précédions de deux heures, le temps de parler à M. de Maupeou.

– Non, la dauphine.

– Bah! la dauphine, elle doit être encore à Nancy.