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Chon prit rapidement une mesure.

– Même longueur, dit-elle, même largeur de taille.

– L’admirable étoffe! dit du Barry.

– C’est fabuleux! dit Chon.

– C’est effrayant! dit la comtesse.

– Mais au contraire, dit Jean, cela prouve que, si vous avez de grands ennemis, vous avez en même temps des amis bien dévoués.

– Ce ne peut être un ami, dit Chon, car comment eût-il été prévenu de ce qui se tramait contre nous? Il faut que ce soit quelque sylphe, quelque lutin.

– Que ce soit le diable, s’écria madame du Barry peu m’importe, pourvu qu’il m’aide à combattre les Grammont! il ne sera jamais aussi diable que ces gens-là!

– Et maintenant, dit Jean, j’y pense…

– Que pensez-vous?

– Que vous pouvez livrer en toute confiance votre tête à monsieur.

– Qui vous donne cette assurance?

– Pardieu! il a été prévenu par le même ami qui nous a envoyé la robe.

– Moi? fit Léonard avec une surprise naïve.

– Allons! allons! dit Jean, comédie que cette histoire de gazette, n’est-ce pas, mon cher monsieur?

– C’est la vérité pure, monsieur le vicomte.

– Allons, avouez, dit la comtesse.

– Madame, voici la feuille dans ma poche; je l’ai conservée pour faire des papillotes.

Le jeune homme tira en effet de la poche de sa veste une gazette dans laquelle était annoncée la présentation.

– Allons, allons, à l’œuvre, dit Chon; voilà huit heures qui sonnent.

– Oh! nous avons tout le temps, dit le coiffeur; il faut une heure à madame pour aller.

– Oui, si nous avions une voiture, dit la comtesse.

– Oh! mordieu! c’est vrai, dit Jean, et cette canaille de Francian qui n’arrive pas!

– N’avons-nous pas été prévenus, dit la comtesse; ni coiffeur, ni robe, ni carrosse!

– Oh! dit Chon épouvantée, nous manquerait-il aussi de parole?

– Non, dit Jean, non, le voilà.

– Et le carrosse? le carrosse? dit la comtesse.

– Il sera resté à la porte, dit Jean. Le suisse va ouvrir, il va ouvrir. Mais qu’a donc le carrossier?

En effet, presque au même instant, maître Francian s’élança tout effaré dans le salon.

– Ah! monsieur le vicomte, s’écria-t-il, le carrosse de madame était en route pour l’hôtel, quand, au détour de la rue Traversière, il a été arrêté par quatre hommes qui ont terrassé mon premier garçon qui vous l’amenait, et qui, mettant les chevaux au galop, ont disparu par la rue Saint-Nicaise.

– Quand je vous le disais, fit du Barry radieux, sans se lever du fauteuil où il était assis en voyant entrer le carrossier, quand je vous le disais!…

– Mais c’est un attentat, cela! cria Chon. Mais remuez-vous donc, mon frère!

– Me remuer, moi! et pourquoi faire?

– Mais pour nous trouver une voiture; il n’y a ici que des chevaux éreintés et des carrosses sales. Jeanne ne peut pas aller à Versailles dans de pareilles brouettes.

– Bah! dit du Barry, celui qui met un frein à la fureur des flots, qui donne la pâture aux oisillons, qui envoie un coiffeur comme monsieur, une robe comme celle-là, ne nous laissera pas en chemin faute d’un carrosse.

– Eh! tenez, dit Chon, en voilà un qui roule.

– Et qui s’arrête même, reprit du Barry.

– Oui, mais il n’entre pas, dit la comtesse.

– Il n’entre pas, c’est cela! dit Jean.

Puis, sautant à la fenêtre, qu’il ouvrit:

– Courez, mordieu! cria-t-il, courez, ou vous arriverez trop tard. Alerte! alerte! que nous connaissions au moins notre bienfaiteur.

Les valets, les piqueurs, les grisons, se précipitèrent, mais il était déjà trop tard. Un carrosse doublé de satin blanc, et attelé de deux magnifiques chevaux bais, était devant la porte.

Mais de cocher, mais de laquais, pas de traces; un simple commissionnaire maintenait les chevaux par le mors.

Le commissionnaire avait reçu six livres de celui qui les avait amenés et qui s’était enfui du côté de la cour des Fontaines.

On interrogea les panneaux; mais une main rapide avait remplacé les armoiries par une rose.

Toute cette contrepartie de la mésaventure n’avait pas duré une heure.

Jean fit entrer le carrosse dans la cour, ferma la porte sur lui et prit la clef de la porte. Puis il remonta dans le cabinet de toilette où le coiffeur s’apprêtait à donner à la comtesse les premières preuves de sa science.

– Monsieur! s’écria-t-il en saisissant le bras de Léonard, si vous ne nous nommez pas notre génie protecteur, si vous ne le signalez pas à notre reconnaissance éternelle, je jure…

– Prenez garde, monsieur le vicomte, interrompit flegmatiquement le jeune homme, vous me faites l’honneur de me serrer le bras si fort, que j’aurai la main tout engourdie quand il s’agira de coiffer madame la comtesse; or, nous sommes pressés, voici huit heures et demie qui sonnent.

– Lâchez! Jean, lâchez! cria la comtesse.

Jean retomba dans un fauteuil.

– Miracle! dit Chon, miracle! la robe est d’une mesure parfaite… un pouce de trop long par devant, voilà tout; mais dans dix minutes le défaut sera corrigé.

– Et le carrosse, comment est-il?… présentable? demanda la comtesse.

– Du plus grand goût… Je suis monté dedans, répondit Jean; il est garni de satin blanc, et parfumé d’essence de rose.

– Alors tout va bien! cria madame du Barry en frappant ses petites mains l’une contre l’autre. Allez, monsieur Léonard, si vous réussissez, votre fortune est faite.

Léonard ne se le fit pas dire à deux fois; il s’empara de la tête de madame du Barry, et, au premier coup de peigne, il révéla un talent supérieur.

Rapidité, goût, précision, merveilleuse entente des rapports du moral avec le physique, il déploya tout dans l’accomplissement de cette importante fonction.

Au bout de trois quarts d’heure madame du Barry sortit de ses mains, plus séduisante que la déesse Aphrodite; car elle était beaucoup moins nue, et n’était pas moins belle.

Lorsqu’il eut donné le dernier tour à cet édifice splendide, lorsqu’il en eut éprouvé la solidité, lorsqu’il eut demandé de l’eau pour ses mains et humblement remercié Chon, qui, dans sa joie, le servait comme un monarque, il voulut se retirer.