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Ces craintes ne furent bientôt que trop justifiées: six heures sonnèrent, le coiffeur ne parut point; puis six heures et demie, puis sept heures moins un quart. Une seule chose rendait un peu d’espérance à tous ces cœurs haletants, c’est qu’un homme de la valeur de M. Lubin devait naturellement se faire attendre.

Mais sept heures sonnèrent; le vicomte craignit que le dîner préparé pour le coiffeur ne refroidît, et que cet artiste ne fût pas satisfait. Il envoya donc chez lui un grison pour le prévenir que le potage était servi.

Le laquais revint un quart d’heure après.

Ceux qui ont attendu en pareille circonstance savent seuls ce qu’il y a de secondes dans un quart d’heure.

Le laquais avait parlé à madame Lubin elle-même, laquelle avait assuré que M. Lubin venait de sortir, et que s’il n’était déjà rendu à l’hôtel, on pouvait être assuré du moins qu’il était en route.

– Bon, dit du Barry, il aura trouvé quelque embarras de voitures. Attendons.

– D’ailleurs, il n’y a rien de compromis encore, dit la comtesse, je puis être coiffée à demi habillée; la présentation n’a lieu qu’à dix heures précises Nous avons encore trois heures devant nous et il ne nous en faut qu’une pour aller à Versailles. En attendant, Chon, montre-moi ma robe, cela me distraira. Eh bien! où est donc Chon? Chon! ma robe, ma robe!

– La robe de madame n’est pas encore arrivée, dit Dorée, et la sœur de madame la comtesse est partie, il y a dix minutes, pour l’aller quérir elle même.

– Ah! dit du Barry, j’entends un bruit de roues, c’est sans doute notre carrosse qu’on amène.

Le vicomte se trompait: c’était Chon qui rentrait dans son carrosse, attelé de deux chevaux ruisselants de sueur.

– Ma robe! cria la comtesse, alors que Chon était encore dans le vestibule; ma robe!

– Est-ce qu’elle n’est pas arrivée? demanda Chon tout effarée.

– Non.

– Ah bien, elle ne peut tarder, continua-t-elle en se rassurant, car la faiseuse, quand je suis montée chez elle, venait de partir en fiacre avec deux de ses ouvrières pour apporter et essayer la robe.

– En effet, dit Jean, elle demeure rue du Bac, et le fiacre a dû marcher moins vite que nos chevaux.

– Oui, oui, assurément, dit Chon, qui ne pouvait cependant se défendre d’une certaine inquiétude.

– Vicomte, dit madame du Barry, si vous envoyiez toujours chercher le carrosse? que nous n’attendions pas de ce côté-là, au moins.

– Vous avez raison, Jeanne.

Et du Barry ouvrit la porte.

– Qu’on aille chercher le carrosse chez Francian, dit-il, et cela avec les chevaux neufs, afin qu’ils se trouvent tout attelés.

Le cocher et les chevaux partirent.

Comme le bruit de leurs pas commençait à se perdre dans la direction de la rue Saint-Honoré, Zamore entra avec une lettre.

– Lettre pour maîtresse Barry, dit-il.

– Qui l’a apportée?

– Un homme.

– Comment, un homme! Quel homme?

– Un homme à cheval.

– Et pourquoi te l’a-t-il remise, à toi?

– Parce que Zamore était à la porte.

– Mais lisez, comtesse, lisez, plutôt que de questionner, s’écria Jean.

– Vous avez raison, vicomte.

– Pourvu que cette lettre ne contienne rien de fâcheux, murmura le vicomte.

– Eh! non, dit la comtesse, quelque placet pour Sa Majesté.

– Le billet n’est pas plié en forme de placet.

– En vérité, vicomte, vous ne mourrez que de peur, dit la comtesse en souriant.

Et elle brisa le cachet.

Aux premières lignes, elle poussa un horrible cri, et tomba sur son fauteuil à demi expirante.

– Ni coiffeur, ni robe, ni carrosse! dit-elle.

Chon s’élança vers la comtesse, Jean se précipita sur la lettre.

Elle était d’une écriture droite et menue: c’était évidemment une écriture de femme.

«Madame, disait la lettre, méfiez-vous: ce soir, vous n’aurez ni coiffeur, ni robe, ni carrosse.

«J’espère que cet avis vous parviendra en temps utile.

«Pour ne point forcer votre reconnaissance, je ne me nomme point. Devinez-moi si vous voulez connaître une sincère amie.»

– Ah! voilà le dernier coup! s’écria du Barry au désespoir. Sang bleu! il faut que je tue quelqu’un. Pas de coiffeur! Par la mort! j’éventrerai ce bélître de Lubin. Mais c’est qu’en effet voilà sept heures et demie qui sonnent, et il n’arrive pas. Ah! damnation! malédiction!

Et du Barry, qui n’était pas présenté ce soir-là, s’en prit à ses cheveux, qu’il fourragea indignement.

– C’est la robe! mon Dieu! c’est la robe! s’écria Chon. Un coiffeur, on en trouverait encore.

– Oh! je vous en défie! Quels coiffeurs trouverez-vous? Des massacres! Ah! tonnerre! ah! carnage! ah! mille légions du diable!

La comtesse ne disait rien, mais elle poussait des soupirs qui eussent attendri les Choiseul eux-mêmes, s’ils eussent pu les entendre.

– Voyons, voyons, un peu de calme, dit Chon. Cherchons un coiffeur, retournons chez la faiseuse, pour savoir ce qu’est devenue la robe.

– Pas de coiffeur! murmurait la comtesse mourante, pas de robe! pas de carrosse!

– C’est vrai, pas de carrosse! s’écria Jean; il ne vient pas non plus, le carrosse, et cependant, il devrait être ici. Oh! c’est un complot, comtesse. Est-ce que Sartine n’en fera pas arrêter les auteurs? est-ce que Maupeou ne les fera pas pendre? est-ce qu’on ne brûlera pas les complices en Grève? Je veux faire rouer le coiffeur, tenailler la couturière, écorcher le carrossier.

Pendant ce temps, la comtesse était revenue à elle, mais c’était pour mieux sentir l’horreur de sa position.

– Oh! pour cette fois, je suis perdue, murmurait-elle; les gens qui ont gagné Lubin sont assez riches pour avoir éloigné tous les bons coiffeurs de Paris. Il ne se trouvera plus que des ânes qui me hacheront les cheveux… Et ma robe! pauvre robe!… Et mon carrosse tout neuf qui devait les faire toutes crever de jalousie!…

Du Barry ne répondait rien, il roulait des yeux terribles et s’allait heurter à tous les angles de la chambre, et à chaque fois qu’il rencontrait un meuble, il le brisait en morceaux, puis, si les morceaux lui paraissaient encore trop gros, il les brisait en plus petits.