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Vers sept heures on relayait à Saint-Mihiel; la même main passait à travers les rideaux le payement de la poste franchie, et la même voix faisait entendre pareille recommandation.

Il va sans dire que la singulière voiture excitait la même curiosité qu’à Pont-à-Mousson, la nuit qui s’approchait contribuant à lui donner un aspect plus fantastique encore.

Après Saint-Mihiel commence la montagne. Arrivés là, il fallut bien que les voyageurs se contentassent d’aller au pas: on mit une demi-heure à faire un quart de lieue à peu près.

Sur la cime de la montée, les postillons s’arrêtèrent pour laisser souffler un instant leurs chevaux, et les voyageurs du cabriolet purent, en écartant les rideaux de cuir, embrasser un horizon assez étendu, mais que les premières vapeurs du soir commençaient à voiler.

Le temps, qui avait été clair et chaud jusqu’à trois heures de l’après-midi, était devenu étouffant vers le soir. Un gros nuage blanc venant du sud, et qui semblait suivre la voiture avec préméditation, menaçait de l’atteindre avant qu’elle eût gagné Bar-le-Duc, où les postillons proposaient à tout hasard de s’arrêter pour passer la nuit.

Le chemin, resserré d’un côté par la montagne et de l’autre par un talus escarpé, descendant vers une vallée au fond de laquelle on voyait serpenter la Meuse, offrait pendant une demi-lieue une pente si rapide, qu’il eût été dangereux de descendre cette pente autrement qu’au pas; aussi fut-ce l’allure prudente qu’adoptèrent les postillons lorsqu’ils se remirent en route.

Le nuage avançait toujours, et, comme il était puissant et rasait de près la terre, il s’étendait en agglomérant les vapeurs qui montaient du sol; aussi le voyait-on, dans sa blancheur sinistre, repousser toutes les autres nuées bleuâtres qui cherchaient à se placer sous le vent, comme font les navires un jour de bataille.

Bientôt, grâce à ce nuage qui s’étendait au ciel avec la rapidité d’une marée qui monte, les derniers rayons du soleil furent interceptés: un jour gris et terne filtra péniblement sur la terre, et les feuillages tremblants, sans que la moindre brise passât dans l’air, prirent cette teinte noire qu’ils revêtent sous les premières couches d’obscurité qui suivent l’absence du soleil.

Tout à coup un éclair sillonna la nuée, le ciel se fendit en losanges de feu, et l’œil effrayé put plonger dans les profondeurs incommensurables du firmament, ardentes comme celles de l’enfer.

Au même instant un coup de tonnerre bondissant d’arbre en arbre jusqu’au bout du bois que traversait la route, secoua la terre elle-même et fit courir la grande nuée comme un cheval furieux.

De son côté la voiture roulait toujours, continuant de lancer de la fumée par sa cheminée; seulement, de noire qu’elle était d’abord, cette fumée était devenue subtile et couleur d’opale.

Sur ces entrefaites le ciel s’assombrit comme par secousses; alors le vasistas de l’impériale s’empourpra d’une vive lueur et demeura éclairé; il était évident que l’habitant de la cellule roulante, étranger aux accidents extérieurs, prenait ses précautions contre la nuit afin de ne pas être interrompu dans l’œuvre qu’il accomplissait.

La voiture était encore sur le plateau de la montagne; elle n’avait pas encore commencé d’opérer sa descente, lorsqu’un second coup de tonnerre, plus violent et plus chargé de vibrations métalliques que le premier, dégagea la pluie des nuages; elle tomba d’abord en larges gouttes, puis bientôt elle jaillit drue et raide, comme des brassées de flèches qu’on eût lancées du ciel.

Les postillons semblèrent se consulter: la voiture s’arrêta.

– Eh bien! demanda la même voix, mais cette fois en excellent français, que diable faisons-nous?

– Nous nous demandons si nous devons aller plus loin, dirent les postillons.

– Il me semble, d’abord, que c’est à moi, non pas à vous, qu’il faudrait demander cela, reprit la voix. Allez!

Il y avait un accent de commandement si puissant et si réel dans cette voix, que les postillons obéirent et que la voiture commença de rouler sur la pente de la montagne.

– À la bonne heure! reprit la voix.

Et les rideaux de cuir, un instant entrouverts, retombèrent de nouveau entre les voyageurs et l’avant-train du cocher.

Mais la route, naturellement glaiseuse, humide et détrempée encore par les torrents de pluie qui tombaient du ciel, devint tout à coup si glissante, que les chevaux refusèrent d’avancer.

– Monsieur, dit le postillon qui montait le timonier, il est impossible d’aller plus loin.

– Pourquoi cela? demanda la voix que nous connaissons.

– Parce que les chevaux ne marchent plus: ils patinent.

– À combien sommes-nous du relais?

– Ah! celui-ci est long, monsieur; nous en sommes à quatre lieues.

– Eh bien! postillon, mets à tes chevaux des fers d’argent et ils marcheront, dit l’étranger en ouvrant le rideau et en lui tendant quatre écus de six livres.

– Vous êtes bien bon, dit le postillon en recevant les écus dans sa large main et en les glissant dans sa vaste botte.

– Monsieur te parle, il me semble? dit le second postillon, lequel ayant entendu le bruit argentin qu’avaient rendu en s’engloutissant les écus de six livres, désirait n’être point exclu d’une conversation qui prenait un si grand intérêt.

– Oui, il dit comme ça que nous marchions.

– Avez-vous quelque chose contre ce désir, mon ami? dit le voyageur d’une voix affectueuse mais ferme, et qui indiquait que, sur ce point, il ne souffrirait point de contradiction.

– Non, monsieur, ce n’est pas moi, ce sont les chevaux; voyez, ils refusent d’avancer.

– Et à quoi servent donc les éperons? dit le voyageur.

– Ah! je leur enfoncerais la molette dans le ventre, qu’ils ne feraient pas un pas de plus; je veux que le ciel m’extermine si…

Le postillon ne put achever ce blasphème: un coup de foudre effrayant par le bruit et la flamme lui coupa la parole.

– Ce n’est pas un temps chrétien, dit le brave homme. Eh! monsieur, voyez donc… voici la voiture qui marche toute seule maintenant; dans cinq minutes elle ira plus vite que nous ne voudrons. Jésus Dieu! voilà que nous roulons malgré nous!

En effet le lourd carrosse, pesant sur la croupe des chevaux, qui ne pouvaient plus le soutenir, faute de tenir pied, prit un mouvement de course progressive que la multiplication des pesanteurs changea bientôt en une impétueuse rotation.

Les chevaux s’emportèrent de douleur, et l’équipage vola comme une flèche sur la pente obscure, se rapprochant visiblement du précipice.

Ce ne fut plus seulement la voix, ce fut aussi la tête du voyageur qui sortit alors de la voiture.