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– Non, monsieur, je n’ai pas deviné; j’ai l’esprit fort obtus, je l’avoue, et j’attends que vous m’expliquiez…

– Vous n’ignorez pas, redit M. de Montgiroux en baissant la voix, quelle est la femme que vous avez mise en rapport avec Maurice?

– Une femme charmante, monsieur, d’une élégance parfaite, la fille du marquis de Mormant, l’amie de madame de Neuilly. Vous ne direz pas, je l’espère, monsieur, que la jalousie me rend injuste pour ma rivale.

– Oui, continua le comte, enchanté au fond du cœur que la baronne rendît si entière justice à sa maîtresse: avec tout cela, c’est une personne fort connue, trop célèbre même, et que son bon ton, ses bonnes manières, sa bonne naissance ne sauraient absoudre.

– Eh! mon Dieu! monsieur, ne rencontrez-vous pas tous les jours dans le monde des femmes qui mènent une vie bien autrement scandaleuse que celle de madame Ducoudray?

– Oui, dit M. de Montgiroux; mais ces femmes sont mariées ou sont veuves.

– Ah! la belle excuse que vous donnez là! Eh bien, que Fernande rencontre un jeune lion ruiné ou un vieux beau amoureux qui fasse la folie de l’épouser, Fernande deviendra une femme comme une autre, et je dirai plus, une femme mieux qu’une autre; et alors tout le monde s’empressera autour d’elle; ses talents, que personne ne connaît, parce qu’elle vit dans un cercle excentrique, feront les délices des soirées les plus aristocratiques. Eh! monsieur, n’ayez pas l’air de nier, il y a mille exemples de cela; et moi toute la première, moi qui, il me semble, ai mené une vie exemplaire, eh bien, moi, je la recevrais.

Le comte sourit à cette ingénuité de la baronne, mais il reprit:

– Eh bien, moi, je serai plus rigoriste que vous, ma chère baronne. Je suis de votre avis: Fernande est une personne adorable, une créature charmante, et je comprends qu’elle fasse un jour une de ces passions qui enlèvent un homme au-dessus des préjugés et qui font une position à une femme qui n’en a pas; mais je dis qu’en attendant que Fernande ait cette position, c’est à moi de lui faire comprendre qu’elle ne doit pas rester plus longtemps ici, et qu’il est inconvenant d’accepter l’hospitalité dans cette maison, et qu’elle ne peut point passer la nuit sous le même toit que Maurice et sa femme.

– Eh bien, cher comte, je suis charmée de vous dire, si vous n’étiez venu ici que pour cela, que votre rendez-vous est inutile, attendu que, me doutant de quelque chose de pareil, je viens de faire dire par madame de Neuilly aux gens de Fernande de retourner à Paris: et comme madame de Neuilly a dû leur donner cet ordre au nom de leur maîtresse, madame Ducoudray est ici jusqu’à demain soir.

– Vous n’avez pas fait une pareille chose, j’espère!

– Si fait, monsieur, et j’en suis même enchantée.

– Vous serez donc toujours inconséquente?

– Inconséquente! parce que j’aime Maurice, parce que je ne veux pas que Maurice meure, parce que je veux conserver celle qui l’a sauvé comme par miracle en paraissant devant lui, qui peut par son départ précipité le jeter ce soir dans l’état où il était ce matin! Inconséquente tant que vous voudrez, monsieur; mais je suis mère avant tout, et madame Ducoudray restera.

– Ne l’espérez pas, madame, reprit le comte, car elle-même se rendra justice. Une telle visite, toute bizarre qu’elle est, peut avoir son excuse dans une erreur, dans une plaisanterie; mais la prolonger, c’est vouloir un scandale.

– Ce scandale, qui le fera?

– Madame de Neuilly.

– N’avez-vous pas vu comment elle a accueilli Fernande?

– Parce qu’elle la prend pour madame Ducoudray.

– Eh bien, elle continuera de la croire ce qu’elle n’est pas, au lieu de savoir ce qu’elle est.

– Mais d’un instant à l’autre elle sera tirée de son erreur.

– Par qui?

– Par le premier venu, par monsieur Fabien ou par monsieur Léon.

– Quels motifs auraient-ils de lui faire une pareille confidence?

– Qui peut lire dans le cœur de deux jeunes fous comme ceux-là?

– Prenez garde, monsieur de Montgiroux; si vous en veniez à les accuser, je reviendrais à croire que vous êtes jaloux d’eux, parce que vous faites la cour à madame Ducoudray.

– Et vous vous tromperiez, chère amie, reprit M. de Montgiroux avec une recrudescence de tendresse pour la baronne; je ne suis jaloux que du repos de Clotilde et du bonheur de Maurice.

– Eh bien, mais il me semble que, moi aussi, je n’ai pas d’autre but que de rendre un mari à sa femme, en retenant ici madame Ducoudray.

– Et si, au contraire, vous le lui enleviez?

– Comment cela?

– Oui, si une passion assez violente pour avoir failli coûter la vie à Maurice ne lui a rendu la vie qu’avec l’espérance que cette passion serait partagée! C’est donc vous alors qui avez introduit dans la chambre même de Clotilde une rivale préférée; ne voyez-vous pas là, chère baronne, un immense danger pour l’avenir de ces deux enfants?

– C’est vrai, à la bonne heure, voilà une considération sérieuse, et vous voyez bien que lorsqu’on me parle raison, je suis raisonnable.

– Et moi, ma démarche était donc toute naturelle; j’étais donc dans les conditions d’un oncle prévoyant, lorsque je voulais éloigner d’ici madame Ducoudray le plus tôt possible; c’était donc par amour pour Clotilde…

– Oui, je comprends cela. Eh bien, regardez comme je suis folle, comte, je vous avais cependant soupçonné.

– Moi! dit M. de Montgiroux.

– Me le pardonnerez-vous, cher comte?

– Il le faudra bien.

– C’est que, écoutez donc, il n’y aurait rien d’étonnant quand vous n’auriez pu résister aux charmes de cette sirène.

– Oh! quelle idée!

– Savez-vous qu’elle était affreuse, cette idée?

– Comment?

– Sans doute, car enfin si Maurice avait été l’amant de madame Ducoudray…

– Il ne l’a jamais été.

– Mais, enfin, s’il l’avait été, savez-vous que votre liaison avec cette femme devenait un crime?

– Un crime! Pourquoi cela?

– Certainement, car enfin Maurice est votre fils, vous le savez bien, cher comte.

En ce moment un faible cri se fit entendre derrière la charmille; le comte et madame de Barthèle se turent; puis, se regardant avec inquiétude, sortirent du bosquet; mais, ne voyant personne, ils se rassurèrent, et se dirigèrent vers la maison en continuant à voix basse la conversation.