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– Aliocha, mon cher, vous êtes froid et présomptueux. Voyez-vous ça! Il a daigné me choisir pour épouse et le voilà tranquille! Il était sûr que je lui avais écrit sérieusement. Mais c’est de la présomption, cela!

– Avais-je tort d’être sûr? dit Aliocha en riant.

– Mais non, au contraire.»

Lise le regarda tendrement. Aliocha avait gardé sa main dans la sienne. Tout à coup il se pencha et l’embrassa sur la bouche.

«Qu’est-ce que c’est? Qu’avez-vous?» s’exclama Lise.

Aliocha parut tout décontenancé.

«Pardonnez-moi… j’ai peut-être fait une sottise… Vous me trouviez froid, et moi je vous ai embrassée… Mais je vois que c’était une sottise…»

Lise éclata de rire et se cacha le visage de ses mains.

«Et dans cet habit! laissa-t-elle échapper en riant; mais soudain elle s’arrêta, devint sérieuse, presque sévère.

– Non, Aliocha, à plus tard les baisers, car tous deux nous ne savons pas encore, et il faut attendre encore longtemps, conclut-elle. Dites-moi plutôt pourquoi vous choisissez comme femme une sotte et une malade telle que moi, vous si intelligent, si réfléchi, si pénétrant? Aliocha, je suis très heureuse, car je suis indigne de vous.

– Mais non, Lise! Bientôt je quitterai tout à fait le monastère. En rentrant dans le monde, je devrai me marier. Je le sais. Il me l’a ordonné. Qui trouverais-je de mieux que vous… et qui voudrait de moi, sinon vous? J’y ai déjà réfléchi. D’abord, vous me connaissez depuis l’enfance; en second lieu, vous avez beaucoup de facultés qui me manquent totalement. Vous êtes plus gaie que moi; surtout, plus naïve, car moi j’ai déjà effleuré bien des choses… Ah! vous ne savez pas, je suis aussi un Karamazov! Qu’importe que vous riiez et plaisantiez, et même à mes dépens, j’en suis si content… Mais vous riez comme une petite fille et vous vous tourmentez en pensant trop.

– Comment, je me tourmente? Comment cela?

– Oui, Lise, votre question de tout à l’heure: «N’y a-t-il pas du dédain envers ce malheureux, à disséquer ainsi son âme?» est une question douloureuse… Voyez-vous, je ne sais pas m’expliquer, mais ceux qui se posent de telles questions sont capables de souffrir. Dans votre fauteuil, vous devez remuer bien des pensées…

– Aliocha, donnez-moi votre main, pourquoi la retirez-vous? murmura Lise d’une voix affaiblie par le bonheur. Écoutez, comment vous habillerez-vous en quittant le monastère? Ne riez pas et gardez-vous de vous fâcher, c’est très important pour moi.

– Quant au costume, Lise, je n’y ai pas encore songé, mais je choisirai celui qui vous plaira.

– Je voudrais vous voir porter un veston de velours bleu foncé, un gilet de piqué blanc et un chapeau de feutre gris… Dites-moi, avez-vous cru tantôt que je ne vous aimais pas, quand j’ai désavoué ma lettre d’hier?

– Non, je ne l’ai pas cru.

– Oh, l’insupportable, l’incorrigible!

– Voyez-vous, je savais que vous… m’aimiez, mais j’ai fait semblant de croire que vous ne m’aimiez plus, pour vous être… agréable…

– C’est encore pis! Tant pis et tant mieux. Aliocha, je vous adore. Avant votre arrivée, je me suis dit: «Je vais lui demander la lettre d’hier, et s’il me la remet sans difficulté (comme on peut l’attendre de sa part), cela signifie qu’il ne m’aime pas du tout, qu’il ne sent rien, que c’est tout simplement un sot gamin, et je suis perdue.» Mais vous avez laissé la lettre dans la cellule et cela m’a rendu courage; n’était-ce pas parce que vous pressentiez que je vous la redemanderais, et afin de ne pas me la rendre?

– Ce n’est pas cela du tout, Lise, car j’ai la lettre sur moi, comme je l’avais tantôt; elle est dans cette poche, la voici.»

Aliocha sortit la lettre en riant et la lui montra de loin.

«Seulement vous ne l’aurez pas. Contentez-vous de la regarder.

– Comment, vous avez menti? Vous, un moine, mentir!

– Il est vrai que j’ai menti, mais c’était pour ne pas vous rendre la lettre. Elle m’est précieuse, ajouta-t-il avec ferveur, en rougissant de nouveau, et je ne la donnerai à personne.»

Lise le considérait, enchantée.

«Aliocha, chuchota-t-elle, allez voir si maman ne nous écoute pas.

– Bien, Lise, je vais regarder, mais ne serait-il pas préférable de ne pas le faire? Pourquoi soupçonner votre mère d’une telle bassesse?

– Comment? Mais elle a bien le droit de surveiller sa fille, je ne vois là aucune bassesse. Soyez sûr, Alexéi Fiodorovitch, que quand je serai mère et que j’aurai une fille comme moi, je la surveillerai également.

– Vraiment, Lise! Ce n’est pas bien.

– Mon Dieu, quelle bassesse y a-t-il à cela? Si elle écoutait une conversation mondaine, ce serait vil, mais il s’agit de sa fille en tête à tête avec un jeune homme… Sachez, Aliocha, que je vais vous surveiller dès que nous serons mariés, je décachetterai toutes vos lettres pour les lire… Vous voilà prévenu…

– Certainement, si vous y tenez… murmura Aliocha, mais ce ne sera pas bien…

– Quel dédain! Aliocha, mon cher, ne nous querellons pas dès le début, je préfère vous parler franchement: c’est mal, bien sûr, d’écouter aux portes, j’ai tort et vous avez raison, mais cela ne m’empêchera pas d’écouter.

– Faites. Vous ne m’attraperez jamais, dit en riant Aliocha.

– Autre chose: m’obéirez-vous en tout? Il faut aussi décider cela à l’avance.

– Très volontiers, Lise, sauf dans les choses essentielles. Dans ces cas-là, même si vous n’êtes pas d’accord avec moi, je ne me soumettrai qu’à ma conscience.

– C’est ce qu’il faut. Sachez que non seulement je suis prête à vous obéir dans les cas graves, mais que je vous céderai en tout, je vous le jure dès maintenant, en tout et pour toute la vie, cria Lise passionnément, et cela avec bonheur, avec joie! De plus, je vous jure de ne jamais écouter aux portes et de ne pas lire vos lettres, car vous avez raison. Si forte que soit ma curiosité, j’y résisterai, puisque vous trouvez cela vil. Vous êtes maintenant ma Providence… Dites-moi, Alexéi Fiodorovitch, pourquoi êtes-vous si triste, ces jours-ci? je sais que vous avez des ennuis, des peines, mais je remarque encore en vous une tristesse cachée…

– Oui, Lise, j’ai une tristesse cachée. Je vois que vous m’aimez, puisque vous l’avez deviné.

– Quelle tristesse? À quel propos? Peut-on savoir? demanda timidement Lise.

– Plus tard, Lise, je vous le dirai… Aliocha se troubla… Maintenant vous ne comprendriez pas. Et moi-même, je ne saurais pas l’expliquer.

– Je sais aussi que vous vous tourmentez au sujet de vos frères et de votre père.