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Il est certain que la physionomie du prévenu changeait à vue d’œil. Ses nerfs se détendaient; ses lèvres tout à l’heure crispées se desserraient. Son esprit s’ouvrait à l’espérance. Mais il résista.

– Faites de moi ce que vous voudrez, dit-il.

– Eh! que veux-tu que nous fassions d’un idiot comme toi? s’écria M. Lecoq décidément en colère. Je commence à croire que tu es un mauvais gars. Un bon sujet comprendrait que nous voulons le tirer d’un mauvais pas et il nous dirait la vérité. C’est volontairement que tu vas prolonger ta prévention. Tu apprendras ainsi que la plus grande finesse est encore de dire ce qui est. Une dernière fois, veux-tu répondre?

De la tête Guespin fit signe que non.

– Retourne donc en prison et au secret, puisque tu t’y plais, conclut l’agent de la Sûreté.

Et ayant cherché de l’œil l’approbation du juge d’instruction:

– Gendarmes, dit-il remmenez le prévenu.

Les derniers doutes du juge d’instruction s’étaient dissipés comme le brouillard au soleil. Pour tout dire, il ressentait une certaine peine d’avoir si mal traité l’agent de la Sûreté. Au moins essaya-t-il de réparer autant qu’il était en lui sa dureté passée.

– Vous êtes un homme habile, monsieur, dit-il à M. Lecoq. Sans parler de votre perspicacité si surprenante qu’elle pourrait passer pour un don de seconde vue, votre interrogatoire de tout à l’heure est un chef-d’œuvre en son genre. Recevez donc mes félicitations, sans préjudice de la récompense que je me propose de demander pour vous à vos chefs.

L’agent de la Sûreté, à ces compliments, baissait les yeux avec des airs de vierge. Il regardait tendrement la vilaine femme de la bonbonnière, et sans doute, il lui disait:

«Enfin, mignonne, nous l’emportons, cet austère magistrat qui déteste si fort l’institution dont nous sommes le plus bel ornement, fait amende honorable; il reconnaît et loue nos utiles services.»

Et tout haut il répondit:

– Je n’accepte, monsieur, que la moitié de vos éloges, permettez-moi d’offrir l’autre à monsieur le juge de paix.

Le père Plantat voulut protester.

– Oh! fit-il, pour quelques renseignements! Sans moi vous arriviez quand même à la vérité.

Le juge d’instruction s’était levé. Noblement, mais non sans un certain effort, il tendit la main à M. Lecoq qui la serra respectueusement.

– Vous m’épargnez, monsieur, lui dit-il, de grands remords. Certes, l’innocence de Guespin aurait été tôt ou tard reconnue; mais l’idée d’avoir retenu un innocent en prison, de l’avoir harcelé de mes interrogatoires, aurait longtemps tourmenté ma conscience et troublé mon sommeil.

– Dieu sait cependant que ce pauvre Guespin n’est guère intéressant, répondit l’agent de la Sûreté. Je lui en voudrais cruellement si je n’étais certain qu’il est plus d’à moitié fou.

M. Domini eut un tressaillement.

– Je vais faire lever son secret aujourd’hui même, dit-il, à l’instant.

– Ce sera certes un acte de charité, fit M. Lecoq, mais la peste soit de l’entêté. Il lui était si facile de simplifier ma tâche! J’ai bien pu, en effet, le hasard m’aidant, reconstituer les faits principaux, trouver l’idée de la commission, soupçonner l’intervention d’une femme; je ne saurais, n’étant pas sorcier, deviner les détails. Comment miss Fancy est-elle mêlée à cette affaire? Est-elle complice? n’a-t-elle fait que jouer un rôle dont elle ignorait l’intention? Où s’est-elle rencontrée avec Guespin, où l’a-t-elle entraîné? Il est évident que c’est elle qui a grisé le pauvre diable pour l’empêcher d’aller aux Batignolles. Il faut que Trémorel lui ait conté quelque fable. Laquelle?

– Je crois, moi interrompit le juge de paix, que Trémorel ne s’est pas, pour si peu, mis en frais d’imagination. Il aura chargé Guespin et Fancy d’une commission sans leur donner la moindre explication.

M. Lecoq réfléchit une minute.

– Peut-être avez-vous raison, monsieur, dit-il enfin. Il fallait cependant que Fancy eut des ordres particuliers pour empêcher Guespin d’avoir un alibi à fournir.

– Mais, fit M. Domini, cette Fancy nous expliquera tout.

– J’y compte bien, monsieur, et j’espère bien qu’avant quarante-huit heures, je l’aurai retrouvée et expédiée à Corbeil sous bonne escorte.

Il se leva sur ces mots, et alla prendre sa canne et son chapeau qu’il avait, en entrant, déposés dans un coin.

– Avant de me retirer… dit-il au juge d’instruction.

– Oui, je sais, interrompit M. Domini, vous attendez le mandat d’arrêt du comte Hector de Trémorel.

– En effet, répondit M. Lecoq, puisque maintenant monsieur le juge pense comme moi qu’il est vivant.

– Je ne le crois pas, j’en suis sûr.

Et rapprochant son fauteuil de son bureau, M. Domini se mit à libeller cet acte terrible qui s’appelle un mandat d’arrêt.

DE PAR LA LOI,

Nous,

Juge d’instruction près le tribunal de première instance de l’arrondissement, etc. Vu les articles 91 et 94 du Code d’instruction criminelle,

Mandons et ordonnons, à tous agents de la force publique d’arrêter en se conformant à la loi, le nommé Hector de Trémorel, etc., etc.

Lorsqu’il eut terminé:

– Tenez, dit-il, en remettant le mandat à M. Lecoq, et puissiez-vous réussir bientôt à retrouver ce grand coupable.

– Oh! il le retrouvera, s’écria l’agent de Corbeil.

– Je l’espère, du moins. Quant à dire comment je m’y prendrai, je n’en sais rien encore, j’arrêterai mon plan de bataille cette nuit.

L’agent de la Sûreté prit alors congé de M. Domini et se retira suivi du père Plantat. Le docteur Gendron restait avec le juge pour s’entendre avec lui au sujet de l’exhumation de Sauvresy.

M. Lecoq allait sortir du palais de justice, lorsqu’il se sentit tirer par la manche. Il se retourna, c’était l’agent de Corbeil qui venait lui demander sa protection, le conjurant de le prendre avec lui, persuadé qu’après avoir servi sous un si grand capitaine, il serait lui aussi très fort. M. Lecoq eut bien du mal à s’en débarrasser.

Enfin, il se trouvait seul dans la rue avec le vieux juge de paix.

– Il se fait tard, lui dit le père Plantat, vous serait-il agréable de partager encore mon modeste dîner et d’accepter ma cordiale hospitalité?

– Ce m’est un vrai chagrin, monsieur, de vous refuser, répondit M. Lecoq, mais je dois être ce soir à Paris.

– C’est que, reprit le vieux juge de paix – et il hésitait – c’est que j’aurais vivement désiré vous parler, vous entretenir…