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– Général Fontana, s’écria-t-il en entrouvrant la porte.

Le général parut avec une figure tellement étonnée et tellement curieuse, qu’il y eut échange d’un regard gai entre la duchesse et le comte, et ce regard fit la paix.

– Général Fontana, dit le prince, vous allez monter dans ma voiture qui attend sous la colonnade; vous irez chez la marquise Raversi, vous vous ferez annoncer; si elle est au lit, vous ajouterez que vous venez de ma part, et, arrivé dans sa chambre, vous direz ces précises paroles, et non d’autres: «Madame la marquise Raversi, Son Altesse Sérénissime vous engage à partir demain, avant huit heures du matin, pour votre château de Velleja; Son Altesse vous fera connaître quand vous pourrez revenir à Parme.»

Le prince chercha des yeux ceux de la duchesse, laquelle, sans le remercier comme il s’y attendait, lui fit une révérence extrêmement respectueuse et sortit rapidement.

– Quelle femme! dit le prince en se tournant vers le comte Mosca.

Celui-ci, ravi de l’exil de la marquise Raversi qui facilitait toutes ses actions comme ministre, parla pendant une grosse demi-heure en courtisan consommé; il voulait consoler l’amour-propre du souverain, et ne prit congé que lorsqu’il le vit bien convaincu que l’histoire anecdotique de Louis XIV n’avait pas de page plus belle que celle qu’il venait de fournir à ses historiens futurs.

En rentrant chez elle, la duchesse ferma sa porte, et dit qu’on n’admît personne, pas même le comte. Elle voulait se trouver seule avec elle-même, et voir un peu quelle idée elle devait se former de la scène qui venait d’avoir lieu. Elle avait agi au hasard et pour se faire plaisir au moment même; mais à quelque démarche qu’elle se fût laissé entraîner elle y eût tenu avec fermeté. Elle ne se fût point blâmée en revenant au sang-froid, encore moins repentie: tel était le caractère auquel elle devait d’être encore à trente-six ans la plus jolie femme de la cour.

Elle rêvait en ce moment à ce que Parme pouvait offrir d’agréable, comme elle eût fait au retour d’un long voyage, tant de neuf heures à onze elle avait cru fermement quitter ce pays pour toujours.

«Ce pauvre comte a fait une plaisante figure lorsqu’il a connu mon départ en présence du prince… Au fait, c’est un homme aimable et d’un cœur bien rare! Il eût quitté ses ministères pour me suivre… Mais aussi pendant cinq années entières il n’a pas eu une distraction à me reprocher. Quelles femmes mariées à l’autel pourraient en dire autant à leur seigneur et maître? Il faut convenir qu’il n’est point important, point pédant, il ne donne nullement l’envie de le tromper; devant moi il semble toujours avoir honte de sa puissance… Il faisait une drôle de figure en présence de son seigneur et maître; s’il était là je l’embrasserais… Mais pour rien au monde je ne me chargerais d’amuser un ministre qui a perdu son portefeuille, c’est une maladie dont on ne guérit qu’à la mort, et… qui fait mourir. Quel malheur ce serait d’être ministre jeune! Il faut que je le lui écrive, c’est une de ces choses qu’il doit savoir officiellement avant de se brouiller avec son prince… Mais j’oubliais mes bons domestiques.»

La duchesse sonna. Ses femmes étaient toujours occupées à faire des malles; la voiture était avancée sous le portique et on la chargeait; tous les domestiques qui n’avaient pas de travail à faire entouraient cette voiture, les larmes aux yeux. La Chékina, qui dans les grandes occasions entrait seule chez la duchesse, lui apprit tous ces détails.

– Fais-les monter, dit la duchesse.

Un instant après elle passa dans la salle d’attente.

– On m’a promis, leur dit-elle, que la sentence contre mon neveu ne serait pas signée par le souverain (c’est ainsi qu’on parle en Italie); je suspens mon départ; nous verrons si mes ennemis auront le crédit de faire changer cette résolution.

Après un petit silence, les domestiques se mirent à crier: «Vive Madame la duchesse!» et applaudirent avec fureur. La duchesse, qui était déjà dans la pièce voisine, reparut comme une actrice applaudie, fit une petite révérence pleine de grâce à ses gens et leur dit:

– Mes amis, je vous remercie.

Si elle eût dit un mot, tous, en ce moment, eussent marché contre le palais pour l’attaquer. Elle fit un signe à un postillon, ancien contrebandier et homme dévoué, qui la suivit.

– Tu vas t’habiller en paysan aisé, tu sortiras de Parme comme tu pourras, tu loueras une sediola et tu iras aussi vite que possible à Bologne. Tu entreras à Bologne en promeneur et par la porte de Florence, et tu remettras à Fabrice, qui est au Pelegrino, un paquet que Chékina va te donner. Fabrice se cache et s’appelle là-bas M. Joseph Bossi; ne va pas le trahir par étourderie, n’aie pas l’air de le connaître; mes ennemis mettront peut-être des espions à tes trousses. Fabrice te renverra ici au bout de quelques heures ou de quelques jours: c’est surtout en revenant qu’il faut redoubler de précautions pour ne pas le trahir.

– Ah! les gens de la marquise Raversi! s’écria le postillon; nous les attendons, et si Madame voulait ils seraient bientôt exterminés.

– Un jour peut-être! mais gardez-vous sur votre tête de rien faire sans mon ordre.

C’était la copie du billet du prince que la duchesse voulait envoyer à Fabrice; elle ne put résister au plaisir de l’amuser, et ajouta un mot sur la scène qui avait amené le billet; ce mot devint une lettre de dix pages. Elle fit rappeler le postillon.

– Tu ne peux partir, lui dit-elle, qu’à quatre heures, à porte ouvrante.

– Je comptais passer par le grand égout, j’aurais de l’eau jusqu’au menton, mais je passerais.

– Non, dit la duchesse, je ne veux pas exposer à prendre la fièvre un de mes plus fidèles serviteurs. Connais-tu quelqu’un chez monseigneur l’archevêque?

– Le second cocher est mon ami.

– Voici une lettre pour ce saint prélat: introduis-toi sans bruit dans son palais, fais-toi conduire chez le valet de chambre; je ne voudrais pas qu’on réveillât monseigneur. S’il est déjà renfermé dans sa chambre, passe la nuit dans le palais, et, comme il est dans l’usage de se lever avec le jour, demain matin, à quatre heures, fais-toi annoncer de ma part, demande sa bénédiction au saint archevêque, remets-lui le paquet que voici, et prends les lettres qu’il te donnera peut-être pour Bologne.

La duchesse adressait à l’archevêque l’original même du billet du prince; comme ce billet était relatif à son premier grand vicaire, elle le priait de le déposer aux archives de l’archevêché, où elle espérait que messieurs les grands vicaires et les chanoines, collègues de son neveu, voudraient bien en prendre connaissance; le tout sous la condition du plus profond secret.

La duchesse écrivait à monseigneur Landriani avec une familiarité qui devait charmer ce bon bourgeois; la signature seule avait trois lignes; la lettre, fort amicale, était suivie de ces mots:Angelina-Cornelia-Isola Valserra del Dongo, duchesse Sanseverina.