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Le jeune homme, partagé entre le désir de saisir une occasion qu’il ne retrouverait peut-être jamais et la crainte d’offenser Elena en se montrant à elle à une heure si avancée, hésitait tout troublé, lorsqu’il l’entendit pousser un soupir et prononcer un nom avec un accent d’une douceur remarquable… Était-ce une illusion? Celui de Vivaldi, le sien! Muet d’émotion, il écarta doucement les branches de la clématite. Elena s’avança vers la croisée pour fermer les jalousies; le jeune homme, incapable d’un plus long empire sur lui-même, se montra; elle tressaillit et demeura immobile un instant, puis, d’une main tremblante, elle ferma la fenêtre et quitta son appartement.

Vivaldi, désolé, erra quelque temps dans le jardin redevenu silencieux; puis il reprit tristement le chemin de Naples. Alors, pour la première fois, il se posa une question qu’il aurait dû se poser plus tôt: pourquoi avait-il recherché le dangereux bonheur de revoir Elena lorsqu’il savait que l’inégalité de leurs conditions serait, aux yeux de ses parents, un obstacle insurmontable à leur union? Il s’abîmait dans ses réflexions, tantôt presque résolu à ne plus voir la jeune fille, tantôt rejetant bien loin cette idée qui le désespérait, lorsque au sortir d’une voûte, vieux débris d’un immense édifice – la forteresse de Paluzzi – dont les ruines s’étendaient au loin, une forme noire parut se dresser devant lui et croisa sa route. C’était un homme vêtu en religieux, dont le visage était caché sous un large capuchon. Cet homme s’arrêta pour lui dire:

– Vincenzo de Vivaldi, vos pas sont surveillés; gardez-vous de retourner à la villa Altieri.

En achevant ces mots, il disparut dans l’obscurité de la nuit, avant que Vivaldi, interdit d’une interpellation si brusque, eût pu en demander l’explication. Il appela l’inconnu à haute voix et à plusieurs reprises; mais l’apparition ne revint pas.

Le jeune comte rentra chez lui, l’esprit frappé de cet incident et tourmenté d’un vague sentiment de jalousie; car le résultat de ses réflexions fut que l’avis qu’il avait reçu provenait de quelque rival. Ce fut alors qu’il découvrit toute l’étendue et toute la violence de son imprudente passion. Souffrant d’un tourment jusqu’alors inconnu, il résolut à tout risque de déclarer son amour à la jeune fille et de demander sa main. En rentrant au palais Vivaldi, il apprit que sa mère avait remarqué son absence, qu’elle s’était informée de lui plusieurs fois et qu’elle avait donné ordre qu’on lui annonçât son retour. Cependant elle s’était couchée; mais le marquis, rentré peu d’instants après son fils d’une excursion dans la baie, où il avait accompagné le roi, jeta sur le jeune homme des regards d’une sévérité inaccoutumée et le quitta sans explication.

Vivaldi, renfermé chez lui, se mit à délibérer, si l’on peut donner ce nom à un combat de passions contraires où le jugement n’entre pour rien. Il se promenait à grands pas, tour à tour troublé par le souvenir d’Elena, enflammé de jalousie, ou alarmé des suites de la démarche qu’il était enclin à risquer. Il connaissait assez les idées de son père et le caractère de sa mère, pour être certain d’avance que jamais ils ne voudraient se prêter au mariage qu’il rêvait; et cependant, quand il y réfléchissait, son titre de fils unique ne lui donnerait-il pas le pouvoir de les fléchir? Tout à coup, une nouvelle crainte l’assaillit: si Elena avait déjà disposé de son cœur en faveur d’un rival imaginaire? Mais il se rassurait en se rappelant le soupir et le nom qu’il avait cru surprendre. Le jour naissant le retrouva dans les mêmes perplexités. Bientôt pourtant sa résolution fut prise, telle qu’on devait l’attendre de son âge et de son cœur passionné: il sacrifierait l’orgueil du sang et de la naissance à un choix d’où dépendait le bonheur de sa vie. Mais avant de se déclarer à Elena, il fallait s’assurer s’il lui inspirait bien quelque intérêt, ou s’il avait un rival, et quel pouvait être celui-ci. Cependant son respect pour la jeune fille, sa crainte de l’offenser, et le danger que son père et sa mère ne vinssent à découvrir sa passion avant qu’il sût lui-même si elle était partagée, opposaient à cette recherche de graves difficultés. Dans cet embarras, il ouvrit son cœur à un ami qui depuis longtemps possédait toute sa confiance, et il lui demanda conseil avec sincérité.

Bonarmo, jeune homme de plaisir, peu propre à servir de guide dans des affaires sérieuses, proposa, comme le meilleur moyen de sonder les dispositions d’Elena, de lui donner une sérénade, selon l’usage du pays. Si elle n’avait pas d’antipathie pour Vivaldi, elle répondrait, suivant lui, à sa galanterie par quelque témoignage de satisfaction; dans le cas contraire, elle garderait le silence et demeurerait invisible. Vivaldi se récria contre cette manière grossière et banale d’exprimer un amour tel que le sien. Il avait trop bonne opinion de l’élévation d’âme et de la délicatesse d’Elena pour supposer que le vulgaire hommage d’une sérénade pût la flatter ou l’intéresser, et encore moins qu’elle voulût faire connaître ses sentiments par aucun signe extérieur. Bonarmo traita ces scrupules d’enfantillage; l’ignorance où son jeune ami était encore des choses du monde pouvait seule, disait-il, l’excuser: il insista pour la sérénade. Si bien que Vivaldi, moins convaincu par les raisons de son ami que par la difficulté de trouver d’autres expédients, consentit à celui qu’on lui proposait, non qu’il en espérait quelque succès, mais il comptait fixer ainsi son incertitude et calmer son agitation. Ils prirent leurs instruments sous leurs manteaux et, cachant avec soin leurs visages, ils se dirigèrent en silence vers la villa Altieri. Déjà ils avaient franchi l’arcade où Vivaldi avait été arrêté la nuit précédente, lorsqu’en levant les yeux le jeune homme aperçut la même figure sombre qui lui était déjà apparue; avant qu’il eût le temps de s’écrier, l’inconnu lui dit d’une voix grave:

– N’allez pas à la villa Altieri si vous voulez éviter le sort qui vous menace.

– Quel sort? demanda Vivaldi en reculant de surprise. Expliquez-vous.

Mais déjà le moine avait disparu, et l’obscurité de la ruine ne permettait pas de retrouver sa trace.

– Que le ciel nous protège! s’écria Bonarmo. Ceci passe toute croyance! Retournons à Naples; il faut obéir à ce nouvel avis.

– Ah! dit Vivaldi, j’aime mieux tout risquer; si j’ai un rival, je veux l’affronter sur-le-champ.

– Prenez garde, répartit Bonarmo, il est évident maintenant que vous avez un rival; que peut votre courage contre des spadassins gagés?

– Si vous craignez le danger, répliqua Vivaldi, j’irai seul.

Blessé par ce reproche, Bonarmo suivit son ami en silence jusqu’à la villa Altieri. Le jeune comte, se frayant le même passage que la nuit précédente, s’aventura dans le jardin.

– Eh bien? demanda-t-il à son compagnon, où sont ces bravi si terribles?

– Parlez bas, reprit l’autre, nous sommes peut-être à quatre pas d’eux.

– Soit, dit Vivaldi en portant la main à son épée, ils seront aussi à quatre pas de nous.

Enfin les deux jeunes gens parvinrent à l’orangerie, qui était toute proche de la maison. Là ils se reposèrent pour reprendre haleine et préparer leurs instruments. La nuit était sereine et calme. Ils entendaient au loin des voix confuses et virent bientôt le ciel tout enflammé par un feu d’artifice, tiré pour la naissance d’un prince de la maison royale; des milliers de fusées s’élevaient du rivage occidental de la baie et éclataient dans les airs, illuminant à la fois les visages d’une foule immense, les eaux de la baie, les barques nombreuses qui glissaient à leur surface, et la riche cité de Naples et ses terrasses, et son Cours garnis de spectateurs et d’équipages. Tandis que Bonarmo était tout entier à ce beau spectacle, Vivaldi tenait ses yeux attachés sur la demeure d’Elena, dans l’espoir que l’éclat du feu d’artifice l’attirerait sur le balcon; mais elle n’y parut pas, et aucune lumière dans la maison n’indiquait même qu’elle veillât. Pendant qu’ils étaient assis sur le gazon de l’orangerie, un bruit de feuillage, comme celui d’une personne qui écarterait les branches pour se frayer un passage, vint distraire l’attention de Bonarmo, et Vivaldi demanda: