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– Comme je ne suis pas amoureux d’elle, repris le marquis, et que l’âge de l’enthousiasme crédule est passé pour moi, vous trouverez bon que mes opinions ne se règlent que d’après un mûr examen, et que je m’en rapporte avant tout à des témoignages positifs.

– Quels témoignages? s’écria Vivaldi. Et quel indigne dénonciateur a donc pu si aisément vous convaincre? Quel est celui qui ne craint pas d’abuser ainsi de votre confiance et de conspirer contre mon bonheur?

Le marquis parut fort blessé des doutes et des questions de son fils. Il s’ensuivit entre eux un long débat, où tous deux ne firent que s’irriter mutuellement; l’insistance de Vivaldi pour connaître le nom du diffamateur d’Elena et les menaces du père pour le faire renoncer à sa passion demeurant également vaines. Dès lors, Vivaldi, ne voyant dans son père qu’un tyran injuste qui prétendait le priver de ses droits les plus sacrés, n’éprouva plus aucun scrupule à défendre obstinément sa liberté, et se sentit plus impatient que jamais de conclure un mariage qui garantirait l’honneur d’Elena et sa propre félicité.

Il se remit donc en route le jour suivant pour la villa Altieri, comme il en était convenu, brûlant d’apprendre le résultat de l’entretien de la signora Bianchi et de sa nièce et le jour auquel le mariage était fixé. En chemin, toutes ses pensées se concentraient sur Elena; et il marchait sans regarder autour de lui, jusqu’à ce qu’arrivé à la voûte bien connue, il entendît ces mots résonner à son oreille:

– Ne vas pas à la villa Altieri: la mort est là! oui, la mort!

C’était bien la même voix qu’il avait déjà entendue; c’était bien le même moine qu’il entrevit, fuyant dans l’ombre.

À peine revenu de l’effroi où l’avaient jeté ces paroles, Vivaldi voulut poursuivre l’apparition et lui demander qui était mort à la villa Altieri; mais la pensée lui vint que pour vérifier cet avis effrayant il lui fallait continuer sa route au plus vite. Il s’achemina donc à pas pressés vers la demeure d’Elena.

Une personne indifférente, songeant à l’âge avancé de la signora Bianchi et tenant compte de ses sinistres pressentiments, aurait tout de suite pensé que c’était d’elle que le moine avait voulu parler; mais Elena mourante se présenta d’abord à l’imagination effrayée de l’amant. Cette affreuse idée l’avait tellement affecté que lorsqu’il arriva à la porte du jardin, les battements de son cœur le forcèrent à s’arrêter. À la fin il reprit courage et, ouvrant une petite porte dont on lui avait confié la clef, il parvint à la maison par un chemin plus court. Le silence et la solitude régnaient au-dehors; les jalousies étaient fermées; mais, en approchant du péristyle, il entendit des gémissements étouffés et l’un de ces chants lugubres qui, en Italie, accompagnent les prières autour du lit des mourants. Il frappa fortement à la porte. La vieille Béatrice vint lui ouvrir et, sans attendre les questions de Vivaldi:

– Ah! monsieur! s’écria-t-elle, qui s’y serait attendu? Vous l’avez vue encore hier; elle se portait aussi bien que moi! et aujourd’hui elle est morte!

– Morte dites-vous? elle est morte!

Et Vivaldi s’appuya contre un pilier pour ne pas tomber. Béatrice s’avança vers lui pour le soutenir; il lui fit signe de s’arrêter et, respirant avec une extrême difficulté:

– Quand est-elle morte? articula-t-il faiblement.

– Vers les deux heures du matin.

– Je veux la voir, conduisez-moi.

– Ah! monsieur, c’est un triste spectacle.

– Conduisez-moi, vous dis-je, ou je trouverai moi-même le chemin.

En parlant ainsi, ses traits étaient bouleversés, ses yeux hagards.

Béatrice, effrayée, prit les devants; il la suivit à travers plusieurs chambres dont les jalousies étaient fermées. Les chants avaient cessé et rien ne troublait le silence de ces appartements déserts. Arrivé à la dernière porte, son agitation était si vive qu’il tremblait de tous ses membres. Béatrice ouvrit; il fit un effort sur lui-même pour avancer et, jetant les yeux autour de lui, il vit agenouillée au pied du lit une personne en pleurs… C’était Elena! Jeter un cri, courir à elle, puis modérer ses transports de peur qu’elle ne fût blessée de sa joie au milieu du deuil qui la frappait, ce fut un double mouvement prompt comme l’éclair. Ses premières émotions calmées, il ne voulut pas distraire longtemps la jeune fille des soins pieux par lesquels s’exhalait sa douleur, et ce fut un soulagement pour elle de voir qu’il les partageait. En la quittant, il s’entretint encore avec Béatrice, et il apprit d’elle que la signora Bianchi s’était retirée le soir précédent aussi bien portante que d’habitude.

– Vers une heure du matin, dit-elle je fus tirée de mon premier sommeil par un bruit inaccoutumé qui venait de la chambre de madame. J’essayai de me rendormir, mais le bruit recommença bientôt; puis j’entendis la voix de ma jeune maîtresse.

«Béatrice! Béatrice! criait-elle.» Je me levai; elle vint à ma porte, toute pâle et toute tremblante. «Ma tante se meurt! me dit-elle. Venez vite!» Et elle s’en alla sans attendre ma réponse. Sainte Vierge! je crus que j’allais m’évanouir…

– Eh bien? dit Vivaldi, votre maîtresse…

– Ah! la pauvre dame! Quand j’arrivai elle était couchée tout de son long, essayant de parler et ne le pouvant pas. Elle conservait cependant sa connaissance; car elle serrait la main de la signora Elena et fixait sur elle des yeux pleins de tendresse; quelque chose semblait lui peser sur le cœur. C’était un spectacle à fendre l’âme! Ma pauvre jeune maîtresse était abîmée dans la douleur. On a essayé de toute sorte de remèdes, mais la pauvre dame n’a pu avaler ce que le docteur avait ordonné. Sa faiblesse augmentait à chaque instant. À la fin, son regard, toujours fixé sur Elena, est devenu terne et vague; elle ne paraissait plus distinguer les objets; je vis bien qu’elle s’en allait. Sa main est restée inerte dans la mienne et le froid de la mort la saisit. En peu de minutes, elle s’est éteinte entre mes bras; sans même avoir eu le temps de se confesser. À deux heures du matin.

Béatrice, ayant cessé de parler, se mit à pleurer et Vivaldi s’attendrit avec elle. Au bout de quelques instants, il recommença à interroger la vieille servante sur les symptômes de la maladie de sa maîtresse.

– Véritablement, monsieur, répondit-elle en baissant la voix, je ne sais que penser de cette mort. On se moquerait de moi, et personne ne voudrait me croire, si j’osais dire ce que je m’imagine.

– Parlez clairement, dit Vivaldi, et ne craignez rien.

– Eh bien, donc, monsieur, reprit-elle après quelque hésitation, je vous avouerai que je ne crois pas qu’elle soit morte de sa mort naturelle.

– Comment? s’écria Vivaldi. Quelles raisons avez-vous de supposer?…

– Ah! monsieur, une fin si subite!… si terrible!… et puis, la couleur du visage!…

– Grand Dieu! vous soupçonneriez que le poison…

– Ai-je dit cela? répliqua Béatrice.