Изменить стиль страницы

La pauvre Elena reconnaissait trop tard qu’elle ne pouvait suivre les conseils d’un juste orgueil sans trouver dans son cœur une résistance imprévue. Et quoiqu’elle envisageât toute l’étendue et la puissance des obstacles placés entre elle et Vivaldi par le marquis et la marquise, elle ne pouvait s’arrêter à l’idée d’être séparée de lui pour toujours. Il ne lui restait plus qu’à se soumettre aveuglément à sa destinée; car abandonner Vivaldi pour prix de sa liberté ou subir l’humiliation d’un mariage secret, s’il parvenait à la délivrer, ni l’un ni l’autre de ces partis ne lui paraissait acceptable. Puis, après tout cela, lorsqu’elle venait à penser au peu de probabilité que Vivaldi parvînt jamais à découvrir sa retraite, la vive douleur qu’elle en ressentait montrait assez qu’elle craignait bien plus de le perdre que d’acheter sa présence par les plus cruels sacrifices et que, de tous les sentiments qui luttaient dans son âme, le plus puissant était encore son amour.

VII

Vivaldi, ignorant tout de ce qui s’était passé à la villa Altieri, était encore sous le coup de l’impression profonde produite sur son esprit par les avis du moine, son persécuteur. Il persistait dans la résolution de faire les plus grands efforts pour découvrir l’étrange personnage qui avait pris à tâche de surveiller ses pas et de troubler son repos. Il se décida donc à se rendre vers minuit à la forteresse de Paluzzi, avec des torches, pour en parcourir les ruines. La difficulté principale était de trouver quelqu’un qui voulût bien l’y accompagner, car Bonarmo persistait dans son refus. D’un autre côté, Vivaldi ne se souciait pas de confier au premier venu les motifs de son entreprise. Il finit donc par prendre le parti d’emmener Paolo, son domestique.

Il était nuit close lorsqu’ils sortirent de Naples. Paolo était un vrai Napolitain, fin, curieux, adroit; et Vivaldi, à qui plaisaient sa gaieté et son esprit original, lui permettait une liberté de parole et une familiarité peu communes entre un maître et un valet. En chemin, il lui apprit de ses aventures ce qu’il était nécessaire qu’il en sût pour tenir en haleine sa curiosité et son zèle. Rieur et brave, Paolo était dégagé de toute superstition. Aussi, voyant que son maître n’était pas éloigné d’attribuer à une cause surnaturelle ce qui lui était arrivé dans les ruines de Paluzzi, se mit-il à plaisanter là-dessus à sa façon; mais Vivaldi n’était pas d’humeur à le supporter. Son maintien devenait plus grave à mesure qu’il approchait de la voûte. Occupé à se défendre des terreurs de l’imagination, il s’affermissait contre les dangers surhumains, sans prendre aucune précaution contre ceux dont les hommes pouvaient le menacer. Paolo, tout au contraire, n’était en peine que des ennemis en chair et en os; et c’était de ceux-là qu’il songeait à se garantir. Comme il se récriait sur l’imprudence de Vivaldi à choisir la nuit pour se rendre à Paluzzi, son maître lui fit observer que c’était seulement la nuit qu’ils pourraient parvenir à découvrir le moine. Il ajouta qu’il fallait se garder d’allumer la torche, qui révélerait leur présence à l’inconnu; mais Paolo objecta que dans l’obscurité celui-ci leur échapperait. Enfin ils prirent le parti de cacher la lumière dans le creux d’un rocher qui bordait la route, de manière à l’avoir sous la main; puis Vivaldi prit position avec Paolo à ce même endroit de la voûte où déjà Bonarmo et lui s’étaient tenus en embuscade. À ce moment, ils entendirent sonner minuit à l’horloge d’un monastère éloigné. Cette cloche rappela à Vivaldi que Schedoni lui avait parlé d’un couvent de Pénitents Noirs qui se trouvait dans le voisinage de Paluzzi, et il demanda à Paolo si c’était là l’horloge de ces religieux. Paolo répondit affirmativement, en ajoutant qu’un événement bien étrange, qu’on lui avait raconté, avait gravé dans son esprit le souvenir du couvent Santa Maria del Pianto.

– Quel événement? lui demanda son maître. Parle bas, de crainte que nous ne soyons découverts.

– Ah! monsieur, répondit Paolo, l’histoire n’est connue que de peu de personnes, et j’ai promis le secret.

– C’est différent, si tu as promis le secret, je te défends de me la raconter.

– C’est-à-dire, j’ai promis le secret… à moi-même; mais, en votre faveur, je suis tout disposé à me dégager…

– À la bonne heure. Parle donc en ce cas.

– C’est pour vous obéir, monsieur. Vous saurez donc que c’était la veille de la Saint-Marc, il y a environ six ans.

– Paix! dit Vivaldi, croyant entendre du bruit.

Ils prêtèrent l’oreille quelques instants, puis Paolo continua:

– C’était la veille de la Saint-Marc, après les derniers coups de la cloche du soir. Une personne…

Vivaldi l’arrêta encore. Pour le coup, il avait entendu marcher près de lui.

– Vous venez trop tard, dit une voix forte et stridente que Vivaldi reconnut pour celle du moine. Il y a plus d’une heure qu’elle est partie. Songez à vous!

Quoique frappé de ces paroles, dont il cherchait le sens, Vivaldi s’élança du côté d’où venait la voix et essaya de saisir l’inconnu. Paolo tira au hasard un coup de pistolet et courut à la torche.

– Monsieur, s’écria-t-il, il est monté par le petit escalier; j’ai vu le bas de sa robe.

Arrivés au sommet de la terrasse qui dominait la voûte, ils élevèrent la torche au-dessus de leurs têtes, en scrutant attentivement les alentours.

– Ne vois-tu rien? demanda Vivaldi.

– Monsieur, je crois avoir vu passer quelqu’un sous ces arcades, à gauche, au-delà du fort. Si c’est un esprit, il paraît ressembler beaucoup à nous autres mortels, par le soin qu’il prend de faire mouvoir ses jambes aussi lestement qu’un lazzarone.

– Parle moins et observe mieux interrompit Vivaldi, en dirigeant la torche vers l’endroit que Paolo indiquait.

Tous deux s’avancèrent vers un rang d’arcades attenant à un bâtiment de construction singulière, – le même dans lequel Vivaldi était entré lors de sa première visite aux ruines, et d’où il était sorti avec tant de précipitation et d’effroi. Et cependant qu’ils regardaient autour d’eux avec attention:

– Monsieur, reprit Paolo, en dirigeant du doigt l’attention de son maître, c’est par cette porte-là que j’ai vu passer quelqu’un.

Vivaldi hésita un instant, les yeux fixés sur l’édifice; puis il se décida hardiment:

– Paolo, dit-il, si tu as le courage de me suivre, descendons cet escalier en silence et avec précaution. Si tu ne réponds pas de toi, j’irai seul.

– Il est trop tard, monsieur, pour me poser cette question. Si je n’étais résolu d’avance à vous accompagner partout, je ne serai pas ici. Marchons.

Vivaldi tira son épée; et tous deux, franchissant la porte, s’engagèrent dans un passage étroit dont ils ne voyaient pas le bout. Ils avançaient avec précaution, s’arrêtant de temps en temps pour écouter. Après quelques minutes de cette marche silencieuse entre deux murailles resserrées, Paolo saisit son maître par le bras:

– Monsieur, lui dit-il à voix basse, ne distinguez-vous pas, là-bas dans l’obscurité, un homme…