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Elena, retirée dans sa cellule, était en proie à mille sentiments contradictoires de joie, de tendresse et d’inquiétude. Si Vivaldi, qui avait heureusement découvert le lieu de sa prison, réussissait à l’en tirer, il fallait donc qu’elle se remît entre ses mains, démarche que son attachement scrupuleux aux lois de la bienséance ne lui laissait envisager qu’avec effroi. Elle sentait aussi se réveiller ses anciennes répugnances à l’idée de s’introduire, ou par force ou par ruse, dans le sein d’une famille qui la repoussait. Mais, d’un autre côté, tant d’amour, tant de dévouement chez Vivaldi, seraient-ils payés d’une éternelle résistance, et la tendre affection qu’elle avait vouée à un amant si digne de son choix lui permettrait-elle jamais de renoncer à lui sans mourir? Au milieu de ses perplexités, sœur Olivia lui apporta de tristes nouvelles; elle l’instruisit des résolutions obstinées de l’abbesse et du départ de Vivaldi. Elena sentit alors combien ses autres chagrins étaient faibles auprès de cette nouvelle douleur. La monstrueuse violence exercée contre elle la dispensait de tout devoir envers une famille implacable, mais cette réflexion tardive ne pouvait lui être d’aucun secours dans la situation où elle se trouvait. Sœur Olivia lui montra dans ces circonstances un intérêt plus qu’ordinaire, au point que ses yeux se remplissaient de larmes lorsqu’elle les arrêtait sur sa jeune amie; et telle était enfin son émotion, qu’Elena ne put la remarquer sans surprise, mais elle avait trop de discrétion, outre qu’elle était trop absorbée par ses chagrins, pour demander à sœur Olivia aucune explication.

L’orpheline, brisée par tant d’impressions diverses, était assise près de la fenêtre de la tourelle, insensible cette fois au spectacle d’un beau soleil couchant, lorsque les sons d’une flûte se firent entendre au milieu des rochers dont les pics aigus faisaient face à la tour. Elle tressaillit; les sons, en s’affaiblissant par degrés, semblaient peindre l’abattement de plus en plus profond de l’âme; puis le chant se ranimait insensiblement pour exprimer une plainte douloureuse. Au goût exquis de la phrase musicale, au sentiment qui l’inspirait, Elena crut reconnaître Vivaldi. En regardant avec plus d’attention elle distingua comme une forme humaine suspendue à la pointe d’un rocher. Elle trembla, désirant que ce ne fût pas lui, tant le danger lui paraissait terrible, mais bientôt son incertitude fut dissipée: c’était bien sa voix qu’elle entendait. Vivaldi avait appris d’un frère lai, gagné par Paolo, qu’Elena se montrait souvent à la fenêtre de cette tour et, dans l’espoir de lui parler, il s’était hasardé sur ces cimes de rocs au péril de sa vie. Elena, saisie d’effroi, refusait de l’écouter; mais il ne voulut pas s’éloigner avant de lui avoir communiqué un plan qu’il avait formé pour la délivrer. Il la conjura de se rendre, s’il lui était possible, au parloir à l’heure du souper; et il lui expliqua en peu de mots ses espérances, fondées sur les circonstances suivantes.

L’abbesse, selon l’usage adopté dans les grandes fêtes, donnait une collation au père abbé et à ceux des religieux qui l’avaient assistée dans la célébration de l’office. Un concert devait en même temps être exécuté par les religieuses; quelques étrangers de distinction, ainsi que plusieurs pèlerins devaient y être admis. Pendant que toute la communauté serait ainsi occupée de plaisirs, il serait facile à Vivaldi, instruit de tous ces détails et aidé par le frère lai Geronimo, de s’introduire dans la salle sous son habit de pèlerin et de se mêler aux spectateurs. Il pressa donc Elena de se rendre dans l’appartement de l’abbesse où il pourrait l’instruire des moyens qu’il aurait trouvés pour favoriser sa fuite. Il y aurait des mules au pied de la montagne pour la conduire soit à la villa Altieri, soit au couvent de Santa Maria della Pietà. Cet espoir de liberté renouvela les diverses émotions d’Elena. Incapable de prendre sur-le-champ une résolution, elle supplia Vivaldi de quitter tout de suite le lieu dangereux où il se trouvait, promettant de faire tous ses efforts pour se rendre au parloir de l’abbesse. Là, elle lui ferait part de sa dernière détermination. Vivaldi comprenait les scrupules qui devaient agiter son âme et l’admirait tout en s’en affligeant. Il ne descendit de son rocher qu’au moment où disparaissaient les dernières clartés du jour. Elena le suivit des yeux autant que le lui permettait l’obscurité, et elle put l’apercevoir, toute tremblante, tantôt marchant le long des précipices, tantôt sautant d’un roc sur l’autre, jusqu’à ce que les bois l’eussent dérobé à sa vue. Alors seulement, elle regagna sa cellule.

À peine y était-elle rentrée, pleine de trouble et d’irrésolution, qu’elle reçut la visite de sœur Olivia. À l’altération des traits de la religieuse, on devinait quelque nouveau sujet d’alarme. Elle s’assura d’abord qu’il n’y avait personne dans le corridor, fit des yeux le tour de la cellule et dit enfin, d’une voix profondément émue:

– Ma chère enfant, mes craintes pour vous ne sont que trop justifiées. Vous êtes perdue, si vous ne venez à bout de vous échapper cette nuit. Je viens d’apprendre que votre conduite de ce matin a été regardée comme un attentat prémédité aux droits et à la dignité de l’abbesse, et qu’elle sera punie de ce qu’on appelle ici l’in pace. Hélas! pourquoi vous cacherais-je la vérité? Pourquoi ne vous dirais-je pas que ce que je vous annonce, c’est la mort même. Oui la mort! car quelqu’un est-il jamais sorti de ce tombeau?

– La mort! s’écria Elena, frappée d’horreur.

– Écoutez-moi. Dans la partie la plus reculée du couvent se trouve une chambre souterraine, taillée dans le roc et fermée par des portes de fer, où sont jetées les sœurs coupables de quelque grande faute. Ce châtiment est éternel; la malheureuse reste là, enchaînée dans l’obscurité, et ne reçoit que les aliments nécessaires pour prolonger sa vie et ses souffrances. Nos registres consacrent le souvenir de cette horrible peine, prononcée le plus souvent contre les religieuses qui, désabusées des illusions d’une fausse vocation ou cloîtrées par l’avarice de leurs parents, avaient été surprises dans une tentative de fuite. J’ai vu moi-même un exemple de cette effroyable rigueur. J’ai vu une de ces infortunées victimes entrer dans cette tombe dont elle ne devait plus sortir. J’ai vu ses tristes restes déposés dans le jardin. Belle comme vous, aimée comme vous, elle a langui pendant deux ans sur la paille, privée même de la faible consolation de converser quelquefois avec nos sœurs au travers de la porte ou du soupirail de son caveau. Un châtiment sévère était réservé à celles qui approcheraient de sa prison avec quelques sentiments de compassion. Je m’y suis exposée, je l’avoue, et je l’ai subi, grâce à Dieu, avec une joie secrète.

Elena se jeta en pleurant dans les bras de la bonne religieuse. Celle-ci reprit après un moment de silence:

– Ne doutez pas, mon enfant, que l’abbesse, jalouse de complaire à la marquise, ne saisisse le prétexte de cette offense pour vous plonger dans cet affreux cachot. Ainsi se trouveront accomplis les desseins de vos ennemis, sans qu’on vous oblige à prononcer des vœux. Hélas! je ne puis douter que demain ne soit le jour marqué pour ce sacrifice, qui n’a été retardé que par la fête d’aujourd’hui.

Elena ne répondit que par un profond soupir, en cachant son visage dans le sein de son amie. Elle n’hésitait plus, par une vaine délicatesse, à accepter les offres de Vivaldi; elle craignait seulement qu’il ne pût risquer pour elle que d’inutiles efforts. Sœur Olivia, qui ne se rendait pas bien compte des causes de son silence, lui fit observer que le temps pressait.