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«20 février, cinq heures du soir:

«Tout est fini.

«Marguerite est entrée en agonie cette nuit à deux heures environ. Jamais martyre n'a souffert pareilles tortures, à en juger par les cris qu'elle poussait. Deux ou trois fois elle s'est dressée tout debout sur son lit, comme si elle eût voulu ressaisir sa vie qui remontait vers Dieu.

«Deux ou trois fois aussi, elle a dit votre nom, puis tout s'est tu, elle est retombée épuisée sur son lit. Des larmes silencieuses ont coulé de ses yeux et elle est morte.

«Alors, je me suis approchée d'elle, je l'ai appelée, et comme elle ne répondait pas, je lui ai fermé les yeux et je l'ai embrassée sur le front.

«Pauvre chère Marguerite, j'aurais voulu être une sainte femme, pour que ce baiser te recommandât à Dieu.

«Puis, je l'ai habillée comme elle m'avait priée de le faire, je suis allée chercher un prêtre à Saint-Roch, j'ai brûlé deux cierges pour elle, et j'ai prié pendant une heure dans l'église.

«J'ai donné à des pauvres de l'argent qui venait d'elle.

«Je ne me connais pas bien en religion, mais je pense que le bon Dieu reconnaîtra que mes larmes étaient vraies, ma prière fervente, mon aumône sincère, et qu'il aura pitié de celle, qui, morte jeune et belle, n'a eu que moi pour lui fermer les yeux et l'ensevelir.»

«22 février:

«Aujourd'hui l'enterrement a eu lieu. Beaucoup des amies de Marguerite sont venues à l'église. Quelques-unes pleuraient avec sincérité. Quand le convoi a pris le chemin de Montmartre, deux hommes seulement se trouvaient derrière, le comte de G…, qui était revenu exprès de Londres, et le duc qui marchait soutenu par deux valets de pied.

«C'est de chez elle que je vous écris tous ces détails, au milieu de mes larmes et devant la lampe qui brûle tristement près d'un dîner auquel je ne touche pas, comme bien vous pensez, mais que Nanine m'a fait faire, car je n'ai pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures.

«Ma vie ne pourra pas garder longtemps ces impressions tristes, car ma vie ne m'appartient pas plus que la sienne n'appartenait à Marguerite, c'est pourquoi je vous donne tous ces détails sur les lieux mêmes où ils se sont passés, dans la crainte, si un long temps s'écoulait entre eux et votre retour, de ne pas pouvoir vous les donner avec toute leur triste exactitude.»

Chapitre XXVII

– Vous avez lu? me dit Armand quand j'eus terminé la lecture de ce manuscrit.

– Je comprends ce que vous avez dû souffrir, mon ami, si tout ce que j'ai lu est vrai!

– Mon père me l'a confirmé dans une lettre.

Nous causâmes encore quelque temps de la triste destinée qui venait de s'accomplir, et je rentrai chez moi prendre un peu de repos.

Armand, toujours triste, mais soulagé un peu par le récit de cette histoire, se rétablit vite, et nous allâmes ensemble faire visite à Prudence et à Julie Duprat.

Prudence venait de faire faillite. Elle nous dit que Marguerite en était la cause; que, pendant sa maladie, elle lui avait prêté beaucoup d'argent pour lequel elle avait fait des billets qu'elle n'avait pu payer, Marguerite étant morte sans le lui rendre et ne lui ayant pas donné de reçus avec lesquels elle pût se présenter comme créancière.

À l'aide de cette fable que madame Duvernoy racontait partout pour excuser ses mauvaises affaires, elle tira un billet de mille francs à Armand, qui n'y croyait pas, mais qui voulut bien avoir l'air d'y croire, tant il avait de respect pour tout ce qui avait approché sa maîtresse.

Puis nous arrivâmes chez Julie Duprat qui nous raconta les tristes événements dont elle avait été témoin, versant des larmes sincères au souvenir de son amie.

Enfin, nous allâmes à la tombe de Marguerite sur laquelle les premiers rayons du soleil d'avril faisaient éclore les premières feuilles.

Il restait à Armand un dernier devoir à remplir, c'était d'aller rejoindre son père. Il voulut encore que je l'accompagnasse.

Nous arrivâmes à C… où je vis M. Duval tel que je me l'étais figuré d'après le portrait que m'en avait fait son fils: grand, digne, bienveillant.

Il accueillit Armand avec des larmes de bonheur, et me serra affectueusement la main. Je m'aperçus bientôt que le sentiment paternel était celui qui dominait tous les autres chez le receveur.

Sa fille, nommée Blanche, avait cette transparence des yeux et du regard, cette sérénité de la bouche qui prouvent que l'âme ne conçoit que de saintes pensées et que les lèvres ne disent que de pieuses paroles. Elle souriait au retour de son frère, ignorant, la chaste jeune fille, que loin d'elle une courtisane avait sacrifié son bonheur à la seule invocation de son nom.

Je restai quelque temps dans cette heureuse famille, tout occupée de celui qui leur apportait la convalescence de son cœur.

Je revins à Paris où j'écrivis cette histoire telle qu'elle m'avait été racontée. Elle n'a qu'un mérite qui lui sera peut-être contesté, celui d'être vraie.

Je ne tire pas de ce récit la conclusion que toutes les filles comme Marguerite sont capables de faire ce qu'elle a fait; loin de là, mais j'ai eu connaissance qu'une d'elles avait éprouvé dans sa vie un amour sérieux, qu'elle en avait souffert et qu'elle en était morte. J'ai raconté au lecteur ce que j'avais appris. C'était un devoir.

Je ne suis pas l'apôtre du vice, mais je me ferai l'écho du malheur noble partout où je l'entendrai prier.

L'histoire de Marguerite est une exception, je le répète; mais si c'eût été une généralité, ce n'eût pas été la peine de l'écrire.

Fin

(1848)