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Le lendemain, une sage-femme, que nous signalons seulement comme l'amie de la mère, vint voir Louise, qui resta quelques jours au lit, et s'en releva plus pâle et plus faible qu'autrefois.

Trois mois après, un homme se prit de pitié pour elle et entreprit sa guérison morale et physique; mais la dernière secousse avait été trop violente, et Louise mourut des suites de la fausse couche qu'elle avait faite.

La mère vit encore: comment? Dieu le sait.

Cette histoire m'était revenue à l'esprit pendant que je contemplais les nécessaires d'argent, et un certain temps s'était écoulé, à ce qu'il paraît, dans ces réflexions, car il n'y avait plus dans l'appartement que moi et un gardien qui, de la porte, examinait avec attention si je ne dérobais rien.

Je m'approchai de ce brave homme à qui j'inspirais de si graves inquiétudes.

– Monsieur, lui dis-je, pourriez-vous me dire le nom de la personne qui demeurait ici?

– Mademoiselle Marguerite Gautier.

Je connaissais cette fille de nom et de vue.

– Comment! Dis-je au gardien, Marguerite Gautier est morte?

– Oui, monsieur.

– Et quand cela?

– Il y a trois semaines, je crois.

– Et pourquoi laisse-t-on visiter l'appartement?

– Les créanciers ont pensé que cela ne pouvait que faire monter la vente. Les personnes peuvent voir d'avance l'effet que font les étoffes et les meubles; vous comprenez, cela encourage à acheter.

– Elle avait donc des dettes?

– Oh! Monsieur, en quantité.

– Mais la vente les couvrira sans doute?

– Et au-delà.

– À qui reviendra le surplus, alors?

– À sa famille.

– Elle a donc une famille?

– À ce qu'il paraît.

– Merci, monsieur.

Le gardien, rassuré sur mes intentions, me salua, et je sortis.

– Pauvre fille! me disais-je en rentrant chez moi, elle a dû mourir bien tristement, car, dans son monde, on n'a d'amis qu'à la condition qu'on se portera bien. Et malgré moi je m'apitoyais sur le sort de Marguerite Gautier.

Cela paraîtra peut-être ridicule à bien des gens, mais j'ai une indulgence inépuisable pour les courtisanes, et je ne me donne même pas la peine de discuter cette indulgence.

Un jour, en allant prendre un passeport à la préfecture, je vis dans une des rues adjacentes une fille que deux gendarmes emmenaient. J'ignore ce qu'avait fait cette fille; tout ce que je puis dire, c'est qu'elle pleurait à chaudes larmes en embrassant un enfant de quelques mois dont son arrestation la séparait. Depuis ce jour, je n'ai plus su mépriser une femme à première vue.

Chapitre II

La vente était pour le 16.

Un jour d'intervalle avait été laissé entre les visites et la vente pour donner aux tapissiers le temps de déclouer les tentures, rideaux, etc.

À cette époque, je revenais de voyage. Il était assez naturel que l'on ne m'eût pas appris la mort de Marguerite comme une de ces grandes nouvelles que ses amis apprennent toujours à celui qui revient dans la capitale des nouvelles. Marguerite était jolie, mais autant la vie recherchée de ces femmes fait de bruit, autant leur mort en fait peu. Ce sont de ces soleils qui se couchent comme ils se sont levés, sans éclat. Leur mort, quand elles meurent jeunes, est apprise de tous leurs amants en même temps, car, à Paris presque tous les amants d'une fille connue vivent en intimité. Quelques souvenirs s'échangent à son sujet, et la vie des uns et des autres continue sans que cet incident la trouble même d'une larme.

Aujourd'hui, quand on a vingt-cinq ans, les larmes deviennent une chose si rare qu'on ne peut les donner à la première venue. C'est tout au plus si les parents qui payent pour être pleurés le sont en raison du prix qu'ils y mettent.

Quant à moi, quoique mon chiffre ne se retrouvât sur aucun des nécessaires de Marguerite, cette indulgence instinctive, cette pitié naturelle que je viens d'avouer tout à l'heure me faisaient songer à sa mort plus longtemps qu'elle ne méritait peut-être que j'y songeasse.

Je me rappelais avoir rencontré Marguerite très souvent aux Champs-élysées, où elle venait assidûment, tous les jours, dans un petit coupé bleu attelé de deux magnifiques chevaux bais, et avoir alors remarqué en elle une distinction peu commune à ses semblables, distinction que rehaussait encore une beauté vraiment exceptionnelle.

Ces malheureuses créatures sont toujours, quand elles sortent, accompagnées on ne sait de qui.

Comme aucun homme ne consent à afficher publiquement l'amour nocturne qu'il a pour elles, comme elles ont horreur de la solitude, elles emmènent ou celles qui, moins heureuses, n'ont pas de voiture, ou quelques-unes de ces vieilles élégantes dont rien ne motive l'élégance, et à qui l'on peut s'adresser sans crainte, quand on veut avoir quelques détails que ce soient sur la femme qu'elles accompagnent.

Il n'en était pas ainsi pour Marguerite. Elle arrivait aux Champs-élysées toujours seule, dans sa voiture, où elle s'effaçait le plus possible, l'hiver enveloppée d'un grand cachemire, l'été vêtue de robes fort simples; et, quoiqu'il y eût sur sa promenade favorite bien des gens qu'elle connût, quand par hasard elle leur souriait, le sourire était visible pour eux seuls, et une duchesse eût pu sourire ainsi.

Elle ne se promenait pas du rond-point à l'entrée des Champs-élysées, comme le font et le faisaient toutes ses collègues. Ses deux chevaux l'emportaient rapidement au Bois. Là, elle descendait de voiture, marchait pendant une heure, remontait dans son coupé, et rentrait chez elle au grand trot de son attelage.

Toutes ces circonstances, dont j'avais quelquefois été le témoin, repassaient devant moi, et je regrettais la mort de cette fille comme on regrette la destruction totale d'une belle œuvre.

Or, il était impossible de voir une plus charmante beauté que celle de Marguerite.

Grande et mince jusqu'à l'exagération, elle possédait au suprême degré l'art de faire disparaître cet oubli de la nature par le simple arrangement des choses qu'elle revêtait. Son cachemire, dont la pointe touchait à terre, laissait échapper de chaque côté les larges volants d'une robe de soie, et l'épais manchon qui cachait ses mains et qu'elle appuyait contre sa poitrine, était entouré de plis si habilement ménagés, que l'œil n'avait rien à redire, si exigeant qu'il fut, au contour des lignes.

La tête, une merveille, était l'objet d'une coquetterie particulière. Elle était toute petite, et sa mère, comme dirait de Musset, semblait l'avoir faite ainsi pour la faire avec soin.