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– Je n’ai pas quitté, jurait-il, le seuil de ma porte, il est impossible que quelqu’un soit sorti, sans que je l’aie remarqué.

– Visitons donc la maison, fit Lecoq. Mais avant, laissez-moi dire à mon collègue, qui est dans la rue de Varennes, de venir me rejoindre; sa faction de l’autre côté du mur est maintenant sans objet.

Le père Absinthe arrivé, toutes les portes du rez-de-chaussée furent fermées; on s’assura de toutes les issues et les investigations commencèrent à travers l’hôtel de Sairmeuse, un des plus vastes et des plus magnifiques du faubourg Saint-Germain.

Mais toutes les merveilles de l’univers n’eussent obtenu de Lecoq ni un regard, ni une seconde d’attention. Toute son intelligence, toutes ses pensées étaient au prévenu.

Et c’est certainement sans rien voir qu’il traversa des salons admirables, une galerie de tableaux sans rivale à Paris, la salle à manger aux dressoirs chargés de précieuse vaisselle plate.

Il allait avec une sorte de rage, pressant les gens qui le guidaient et l’éclairaient. Il soulevait comme une plume les meubles les plus lourds, il dérangeait les fauteuils et les chaises, il sondait les placards et les armoires, il interrogeait les tentures, les rideaux et les portières.

Jamais perquisition ne fut plus complète. De la cour au grenier pas un recoin ne fut oublié. Et même, arrivé aux combles, le jeune policier se hissa par une lucarne jusque sur les toits qu’il examina.

Enfin, après deux heures d’un prodigieux travail, Lecoq fut ramené au palier du premier étage.

Cinq ou six domestiques seulement l’avaient suivi. Les autres, un à un, s’étaient esquivés, ennuyés à la fin de cette aventure qui avait eu pour eux, en commençant, l’attrait d’une partie de plaisir.

– Vous avez tout vu, messieurs les agents, déclara un vieux valet de pied.

– Tout!… interrompit le Suisse, certes non! Il y a à voir encore les appartements de monseigneur et ceux de Mme la duchesse.

– Hélas!… murmura le jeune policier, à quoi bon!… Mais déjà le Suisse était allé frapper doucement à l’une des portes donnant sur le palier. Son acharnement égalait celui des agents de la sûreté, s’il ne le dépassait. Ils avaient vu le meurtrier entrer, lui ne l’avait pas vu sortir; donc il était dans l’hôtel, et il voulait qu’on le retrouvât, il le voulait opiniâtrement.

La porte cependant s’entrebâilla, et le visage grave et bien rasé de Otto, le premier valet de chambre, se montra.

– Que diable voulez-vous? demanda-t-il d’un ton rogue.

– Entrer chez monseigneur, répondit le Suisse; afin de nous assurer que le malfaiteur ne s’y est pas réfugié.

– Êtes-vous fou!… déclara M. le premier valet; quand y serait-il entré, et comment? Je ne puis d’ailleurs souffrir qu’on dérange M. le duc. Il a travaillé toute la nuit, et il vient de se mettre au bain pour se délasser avant de se coucher.

Le Suisse parut fort contrarié de l’algarade et Lecoq apprêtait des excuses, quand une voix se fit entendre, qui disait:

– Laissez, Otto, laissez ces braves gens faire leur métier.

– Ah!… entendez-vous!… fit le Suisse triomphant.

– Très bien!… M. le duc permet… cela étant, arrivez, je vais vous éclairer.

Lecoq entra, mais c’est pour la forme seulement qu’il parcourut les diverses pièces, la bibliothèque, un admirable cabinet de travail, un ravissant fumoir.

Comme il traversait la chambre à coucher, il eut l’honneur d’entrevoir M. le duc de Sairmeuse, par la porte entr’ouverte d’une petite salle de bains de marbre blanc.

– Eh bien!… cria gaiement le duc, le malfaiteur est-il toujours invisible?…

– Toujours, monseigneur!… répondit respectueusement le jeune policier.

Le valet de chambre ne partageait pas la bonne humeur de son maître.

– Je pense, messieurs les agents, dit-il, que vous pouvez vous épargner la peine de visiter l’appartement de Mme la duchesse. C’est un soin dont nous nous sommes chargés, les femmes et moi, et nous avons regardé jusque dans les tiroirs…

Sur le palier, le vieux valet de pied, qui ne s’était pas permis d’entrer, attendait les agents de la sûreté.

Il avait sans doute reçu des ordres, car il leur demanda poliment s’ils n’avaient besoin de rien, et s’il ne leur serait pas agréable, après une nuit de fatigues, d’accepter une tranche de viande froide et un verre de vin.

Les yeux du père Absinthe étincelèrent. Il pensa, probablement, que dans cette demeure quasi royale on devait manger et boire des choses exquises, telles qu’il n’en avait pas goûté de sa vie.

Mais Lecoq refusa brusquement, et il sortit de l’hôtel de Sairmeuse, entraînant son vieux compagnon.

Le pauvre garçon avait hâte de se trouver seul. Depuis plusieurs heures, il avait eu besoin de toute la puissance de sa volonté pour ne rien laisser paraître de sa rage et de son désespoir.

Mai disparu, évanoui, évaporé!… à cette idée il se sentait devenir fou.

Ce qu’il avait déclaré impossible était arrivé.

Il avait, dans la confiance de son orgueil, répondu sur sa tête du prévenu, et ce prévenu s’était échappé, il lui avait glissé entre les doigts!…

Une fois dans la rue, il s’arrêta devant le père Absinthe, croisant les bras, et d’une voix brève:

– Eh bien!… l’ancien, demanda-t-il, que pensez-vous de cela?…

Le bonhomme secoua la tête, et sans avoir certes conscience de sa maladresse:

– Je pense, répondit-il, que Gévrol va joliment se frotter les mains.

À ce nom, qui était celui de son plus cruel ennemi, Lecoq bondit comme le taureau blessé.

– Oh! s’écria-t-il, Gévrol n’a pas encore partie gagnée. Nous avons perdu Mai, c’est un malheur; seulement son complice nous reste; nous le tenons ce personnage insaisissable, qui a fait échouer toutes nos combinaisons. Il est certainement habile et dévoué, mais nous verrons si son dévouement résiste à la perspective des travaux forcés. Et il n’y a pas à dire, c’est là ce qui l’attend s’il se tait et s’il accepte ainsi la complicité de l’escalade de cette nuit. Oh! je suis sans crainte, M. Segmuller saura bien lui arracher le mot de l’énigme.

Il brandit son poing fermé, d’un air menaçant; puis, d’un ton plus calme, il ajouta:

– Mais allons au poste où on l’a conduit, je veux l’interroger.