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Mais il sut insister si adroitement, il fit si bien comprendre qu’il ne venait pas réclamer d’argent, il parlait si fortement d’affaires urgentes, que le domestique finit par le planter seul au milieu du vestibule en lui disant qu’il allait s’assurer de nouveau si madame était bien réellement sortie.

Elle n’était pas sortie. L’instant d’après le valet revint dire à Lecoq de le suivre, et après l’avoir guidé à travers un grand salon d’une magnificence fort délabrée, il l’introduisit dans un boudoir tendu d’étoffe rose.

Là, sur une chaise longue, au coin du feu, une vieille dame d’aspect terrible, grande, osseuse, très parée et plus fardée, tricotait une bande de laine verte.

Elle toisa le jeune policier jusqu’à lui faire monter le rouge au front, et comme il lui parut intimidé, ce qui la flatta, elle lui parla presque doucement.

– Eh bien! mon garçon, demanda-t-elle, qu’est-ce qui vous amène?

Lecoq n’était pas intimidé, mais il reconnaissait avec douleur que Mme d’Arlange ne pouvait être une des femmes du cabaret de la Chupin.

En elle, rien ne répondait assurément au signalement donné par Papillon.

Puis, le jeune policier se rappelait combien étaient petites les empreintes laissées sur la neige par les deux fugitives, et le pied de la marquise, qui dépassait sa robe, était d’une héroïque grandeur.

– Ah çà! êtes-vous muet? insista la vieille dame en enflant la voix.

Sans répondre directement, le jeune policier tira de sa poche la précieuse boucle d’oreille, et la déposa sur la chiffonnière en disant:

– Je vous rapporte ceci, madame, que j’ai trouvé, et qui vous appartient, m’a-t-on dit.

Madame d’Arlange posa son tricot pour examiner le bijou.

– C’est pourtant vrai, dit-elle, après un moment, que ce bouton d’oreille m’a appartenu. C’est une fantaisie que j’eus, il y a quatre ans, et qui me coûta bel et bien vingt mille livres. Ah!… le sieur Doisty, qui me vendit ces diamants, dut gagner un joli denier. Mais j’ai une petite-fille à élever!… Des besoins d’argent pressants me contraignirent peu après à me défaire de cette parure, que je regrettai, et je la cédai.

– À qui?… interrogea vivement Lecoq.

– Eh!… fit la marquise choquée; qu’est-ce que cette curiosité!

– Excusez-moi, madame, c’est que je voudrais tant retrouver le propriétaire de cette jolie chose…

Madame d’Arlange regarda son jeune visiteur d’un air curieux et surpris:

– De la probité!… fit-elle. Oh! oh!… Et pas le sou, peut-être…

– Madame!…

– Bon! bon!… ce n’est pas une raison pour devenir rouge comme un coquelicot, mon garçon. J’ai cédé ces boucles à une grande dame allemande, – car la noblesse a encore quelque fortune en Autriche, – à la baronne de Watchau…

– Et où demeure cette dame, madame la marquise?…

– Au Père-Lachaise, depuis l’an dernier qu’elle s’est laissée mourir… Les femmes d’à-présent, un tour de valse et un courant d’air, et c’est fait d’elles!… de mon temps, après chaque galop, les jeunes filles vidaient un grand verre de vin sucré et se mettaient entre deux portes… Et nous nous portions comme vous voyez.

– Mais, madame, insista le jeune policier, la baronne de Watchau a dû laisser des héritiers, un mari, des enfants?…

– Personne qu’un frère qui a une charge à la cour de Vienne, et qui n’a pas pu se déplacer. Il a envoyé l’ordre de vendre à l’encan tout le bien de sa sœur, sans excepter sa garde-robe, et on lui a expédié l’argent là-bas.

Lecoq ne put triompher d’un mouvement de désespoir.

– Quel malheur! murmura-t-il.

– Hein!… Pourquoi?… fit la vieille dame. De cette affaire, mon garçon, le diamant vous reste, et je m’en réjouis, ce sera une juste récompense de votre probité.

Si le hasard, à ses rigueurs, joint encore l’ironie, la mesure est comble. Ainsi la marquise d’Arlange ajoutait au supplice de Lecoq des raffinements inconnus, pendant qu’elle lui souhaitait, avec toutes les apparences de la bonne foi, de ne jamais retrouver la femme qui avait perdu ce riche bijou.

S’emporter, crier, donner cours à sa colère, reprocher à cette vieille son ineptie, lui eût été un ineffable soulagement. Mais, alors, que devenait son rôle de bon jeune homme probe?…

Il sut contraindre ses lèvres à grimacer un sourire, il balbutia même un remerciement de tant de bonté. Puis, comme il n’avait plus rien à attendre, il salua bien bas et sortit à reculons, étourdi de ce nouveau coup.

Fatalité, maladresse de sa part, habileté miraculeuse de ses adversaires, il avait vu se rompre successivement entre ses mains tous les fils sur lesquels il avait compté pour guider l’instruction hors de l’inextricable labyrinthe où elle s’égarait de plus en plus.

Était-il encore dupe d’une nouvelle comédie? Ce n’était pas admissible.

Si le complice du meurtrier eût pris pour confident le bijoutier Doisty, il lui eût demandé purement et simplement de répondre qu’il ne savait pas à qui ces brillants avaient été vendus, ou même qu’ils ne sortaient pas de chez lui.

La complication même des circonstances en décelait la sincérité.

Puis le jeune policier avait d’autres raisons de ne douter point des allégations de la marquise. Certain regard qu’il avait surpris entre le bijoutier et sa femme éclairait les faits d’un jour éblouissant.

Ce regard signifiait que, dans leur opinion, la marquise en prenant ces diamants avait hasardé une petite spéculation plus commune qu’on ne croit, et dont quantité de femmes du vrai monde sont coutumières. Elle avait acheté à crédit pour céder à perte, mais au comptant, et profiter momentanément de la différence entre la somme donnée en à-compte et le prix de cession.

Lecoq n’en décida pas moins qu’il irait jusqu’au fond de cet incident.

Il voulait, à défaut d’autre satisfaction, s’épargner des remords comme ceux qui le poursuivaient depuis qu’il s’était si naïvement laissé prendre aux apparences à l’hôtel de Mariembourg.

Il retourna donc chez Doisty, et sous un prétexte assez plausible pour écarter tout soupçon de sa profession, il obtint la communication de ses livres de commerce.

À l’année indiquée, au mois fixé, la vente était inscrite, non-seulement sur la main-courante, mais encore sur le grand-livre. Les neuf mille francs étaient passés en compte et successivement, à des intervalles éloignés, les divers versements de la marquise étaient portés à l’avoir.

Que Mme Millier eût réussi à glisser sur son registre de police une fausse mention, on le comprenait. Il était impossible que le bijoutier eût falsifié toute sa comptabilité de quatre ans.