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Le docteur fit jeter les ancres, et s’accrocha au sommet d’un arbre élevé; mais un vent très dur ballottait le Victoria jusqu’à le coucher horizontalement, et rendait parfois la position de la nacelle extrêmement dangereuse. Fergusson ne ferma pas l’œil de la nuit, souvent il fut sur le point de couper le câble d’attache et de fuir devant la tourmente. Enfin la tempête se calma, et les oscillations de l’aérostat n’eurent plus rien d’inquiétant.

Le lendemain, le vent se montra plus modéré, mais il éloignait les voyageurs de la ville d’Yola, qui, nouvellement reconstruite par les Foullannes, excitait la curiosité de Fergusson; néanmoins il fallut se résigner à s’élever dans le nord, et même un peu dans l’est.

Kennedy proposa de faire une halte dans ce pays de chasse; Joe prétendait que le besoin de viande fraîche se faisait sentir; mais les mœurs sauvages de ce pays, l’attitude de la population, quelques coups de fusil tirés dans la direction du Victoria, engagèrent le docteur à continuer son voyage. On traversait alors une contrée, théâtre de massacres et d’incendies, où les luttes guerrières sont incessantes, et dans lesquelles les sultans jouent leur royaume au milieu des plus atroces carnages.

Des villages nombreux, populeux, à longues cases, s’étendaient entre les grands pâturages, dont l’herbe épaisse était semée de fleurs violettes; les huttes, semblables à de vastes ruches, s’abritaient derrière des palissades hérissées. Les versants sauvages des collines rappelaient les «glen» des hautes terres d’Écosse, et Kennedy en fit plusieurs fois la remarque.

En dépit de ses efforts, le docteur portait en plein dans le nord-est, vers le mont Mendif, qui disparaissait au milieu des nuages; les hauts sommets de ces montagnes séparent le bassin du Niger du bassin du lac Tchad.

Bientôt apparut le Bagelé, avec ses dix-huit villages accrochés à ses flancs, comme toute une nichée d’enfants au sein de leur mère, magnifique spectacle pour des regards qui dominaient et saisissaient cet ensemble; les ravins se montraient couverts de champs de riz et d’arachides.

À trois heures, le Victoria se trouvait en face du mont Mendif. On n’avait pu l’éviter, il fallut le franchir. Le docteur, au moyen d’une température qu’il accrut de cent quatre-vingts degrés [53], donna au ballon une nouvelle force ascensionnelle de près de seize cents livres; il s’éleva à plus de huit mille pieds. Ce fut la plus grande élévation obtenue pendant le voyage, et la température s’abaissa tellement que le docteur et ses compagnons durent recourir à leurs couvertures.

Fergusson eut hâte de descendre, car l’enveloppe de l’aérostat se tendait à rompre; il eut le temps de constater cependant l’origine volcanique de la montagne, dont les cratères éteints ne sont plus que de profonds abîmes. De grandes agglomérations de fientes d’oiseaux donnaient aux flancs du Mendif l’apparence de roches calcaires, et il y avait là de quoi fumer les terres de tout le Royaume-Uni.

À cinq heures, le Victoria, abrité des vents du sud, longeait doucement les pentes de la montagne, et s’arrêtait dans une vaste clairière éloignée de toute habitation; dès qu’il eut touché le sol, les précautions furent prises pour l’y retenir fortement, et Kennedy, son fusil à la main, s’élança dans la plaine inclinée; il ne tarda pas à revenir avec une demi-douzaine de canards sauvages et une sorte de bécassine, que Joe accommoda de son mieux. Le repas fut agréable, et la nuit se passa dans un repos profond.

XXX

Mosfeia. – Le cheik. – Denham, Clapperton, Oudney. – Vogel. – La capitale du Loggoum. – Toole. – Calme au-dessus du Kernak. – Le gouverneur et sa cour. – L’attaque. – Les pigeons incendiaires.

Le lendemain, 1er mai, le Victoria reprit sa course aventureuse; les voyageurs avaient en lui la confiance d’un marin pour son navire.

D’ouragans terribles, de chaleurs tropicales, de départs dangereux, de descentes plus dangereuses encore, il s’était partout et toujours tiré avec bonheur. On peut dire que Fergusson le guidait d’un geste; aussi, sans connaître le point d’arrivée, le docteur n’avait plus de craintes sur l’issue du voyage. Seulement, dans ce pays de barbares et de fanatiques, la prudence l’obligeait à prendre les plus sévères précautions; il recommanda donc à ses compagnons d’avoir l’œil ouvert à tout venant et à toute heure.

Le vent les ramenait un peu plus au nord, et vers neuf heures, ils entrevirent la grande ville de Mosfeia, bâtie sur une éminence encaissée elle-même entre deux hautes montagnes; elle était située dans une position inexpugnable; une route étroite entre un marais et un bois y donnait seule accès.

En ce moment, un cheik, accompagné d’une escorte à cheval, revêtu de vêtements aux couleurs vives, précédé de joueurs de trompette et de coureurs qui écartaient les branches sur son passage, faisait son entrée dans la ville.

Le docteur descendit, afin de contempler ces indigènes de plus près; mais, à mesure que le ballon grossissait à leurs yeux, les signes d’une profonde terreur se manifestèrent, et ils ne tardèrent pas à détaler de toute la vitesse de leurs jambes ou de celles de leurs chevaux.

Seul, le cheik ne bougea pas; il prit son long mousquet, l’arma et attendit fièrement. Le docteur s’approcha à cent cinquante pieds à peine, et, de sa plus belle voix, il lui adressa le salut en arabe.

Mais, à ces paroles descendues du ciel, le cheik mit pied à terre, se prosterna sur la poussière du chemin, et le docteur ne put le distraire de son adoration.

«Il est impossible, dit-il, que ces gens-là ne nous prennent pas pour des êtres surnaturels, puisque, à l’arrivée des premiers Européens parmi eux, ils les crurent d’une race surhumaine. Et quand ce cheik parlera de cette rencontre, il ne manquera pas d’amplifier le fait avec toutes les ressources d’une imagination arabe. Jugez donc un peu de ce que les légendes feront de nous quelque jour.

– Ce sera peut-être fâcheux, répondit le chasseur; au point de vue de la civilisation, il vaudrait mieux passer pour de simples hommes; cela donnerait à ces Nègres une bien autre idée de la puissance européenne.

– D’accord, mon cher Dick; mais que pouvons-nous y faire? Tu expliquerais longuement aux savants du pays le mécanisme d’un aérostat, qu’ils ne sauraient te comprendre, et admettraient toujours là une intervention surnaturelle.

– Monsieur, demanda Joe, vous avez parlé des premiers Européens qui ont exploré ce pays; quels sont-ils donc, s’il vous plaît?

– Mon cher garçon, nous sommes précisément sur la route du major Denham; c’est à Mosfeia même qu’il fut reçu par le sultan du Mandara; il avait quitté le Bornou, il accompagnait le cheik dans une expédition contre les Fellatahs, il assista à l’attaque de la ville, qui résista bravement avec ses flèches aux balles arabes et mit en fuite les troupes du cheik; tout cela n’était que prétexte à meurtres, à pillages, à razzias; le major fut complètement dépouillé, mis à nu, et sans un cheval sous le ventre duquel il se glissa et qui lui permit de fuir les vainqueurs par son galop effréné, il ne fût jamais rentré dans Kouka, la capitale du Bornou.

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[53] 100° centigrades.