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– J’ai grand-soif, répondit l’homme, et je n’arrive pas à l’étancher. Je ne supporte pas l’eau. J’ai bu, il est vrai, un fût entier de vin, mais c’est comme si on faisait tomber une goutte sur une pierre chauffée à blanc.

– Je peux t’aider, dit le Bêta. Viens avec moi, tu verras, tu auras de quoi boire.

Il le conduisit dans la cave du roi. L’homme commença à boire le vin et il but et but jusqu’à en avoir mal au ventre. À la fin de la journée, il avait tout bu.

Le Bêta réclama de nouveau le mariage, mais le roi biaisait encore: un tel simplet, un tel dadais -comme d’ailleurs même son nom l’indiquait – pourrait-il devenir le gendre d’un roi? Il inventa donc une nouvelle épreuve: le Bêta devrait d’abord lui amener un homme capable de manger une montagne de pain. Le Bêta n’hésita pas une seconde et partit dans la forêt. À l’endroit habituel était assis un homme, qui serrait sa ceinture avec un air très contrarié:

– J’ai mangé une charrette de pain, mais à quoi bon quand on a faim comme moi? Mon estomac est toujours vide et je dois toujours serrer ma ceinture.

Le Bêta fut très heureux de l’apprendre et lui dit gaiement:

– Lève-toi et suis-moi! Tu verras, tu mangeras à satiété.

Il emmena l’affamé dans la cour royale. Entre-temps, le roi fit apporter toute la farine du royaume et ordonna d’en faire une montagne de pain. L’homme de la forêt s’en approcha et se mit à manger. À la fin de la journée, il avait tout englouti. Et le Bêta, pour la troisième fois, demanda la main de la princesse. Mais le roi se déroba encore en demandant à son futur gendre de trouver un bateau qui saurait aussi bien se déplacer sur l’eau que sur la terre.

– Dès que tu me l’amèneras, le mariage aura lieu.

Le Bêta repartit dans la forêt et, là était assis le vieux gnome gris qui dit:

– J’ai bu pour toi, j’ai mangé pour toi. Et maintenant je vais te procurer ce bateau; tout cela parce que tu as été charitable avec moi.

Et, en effet, il lui donna ce bateau qui naviguait aussi bien sur l’eau que sur la terre et le roi ne put plus lui refuser la main de sa fille.

La Paille et la poutre du coq

Il était une fois un sorcier entouré d’une grande foule, devant laquelle il exécutait ses tours et faisait ses prodiges. Entre autres choses, il fit avancer un coq, qui avait une énorme poutre sur le dos et qui la portait aussi facilement qu’un fétu de paille. Mais il y avait là une jeune fille qui venait de trouver un trèfle à quatre feuilles et qui, grâce à cela, possédait un esprit de sagesse et ne pouvait être suggestionnée, ni sujette aux fantasmagories. Voyant donc que la poutre n’était, en réalité, qu’un brin de paille, elle s’écria.- «Braves gens! Ne voyez-vous pas que c’est un simple bout de paille et non pas une poutre que porte le coq?» Le prestige s’évanouit aussitôt, et tous les gens virent effectivement les choses telles qu’elles étaient, de sorte que le sorcier fut couvert d’injures et chassé honteusement. «Attends un peu, se dit-il en contenant difficilement sa colère, je saurai bien me venger, et plus tôt que tu ne penses!» À quelque temps de là, la jeune fille fêtait ses noces et s’acheminait vers l’église, en grande toilette, à la tête du cortège nuptial, coupant à travers champs. Tout à coup, le cortège fut arrêté par un ruisseau dont les eaux s’étaient gonflées et sur lequel il n’y avait ni pont, ni passerelle. La fiancée n’hésita pas et releva ses jupes d’un geste leste, s’avançant pour traverser. Elle allait mettre le pied dans l’eau quand un grand rire éclata à côté d’elle, suivi d’une voix moqueuse qui lui disait: «Alors, tu ne vois donc pas clair? Qu’as-tu fait de tes yeux pour voir de l’eau où il n’y en a pas?» C’était le sorcier, dont les paroles eurent pour effet de dessiller les yeux de la mariée, qui se vit soudain les jupes haut levées, au beau milieu d’un champ de lin fleuri, d’un bleu tendre et beau. Toute la noce se moqua d’elle et la mit en fuite, à son tour, sous les quolibets et les sarcasmes.

Le Pêcheur et sa femme

Il y avait une fois un pêcheur et sa femme; ils vivaient dans une misérable hutte près du bord de la mer. Le pêcheur, qui se nommait Pierre, allait tous les jours jeter son hameçon, mais il restait souvent bien des heures avant de prendre quelque poisson.

Un jour qu’il se tenait sur la plage, regardant sans cesse les mouvements du hameçon, voilà qu’il le voit disparaître et aller au fond; il tire, et au bout de la ligne se montre un gros cabillaud.

– Je t’en supplie, dit l’animal, laisse-moi la vie, je ne suis pas un vrai poisson, mais bien un prince enchanté. Relâche-moi, je t’en prie; rends-moi la liberté, le seul bien qui me reste.

– Pas besoin de tant de paroles, répondit le brave Pierre. Un poisson, qui sait parler, il mérite bien qu’on le laisse nager à son aise.

Et il détacha la bête, qui s’enfuit de nouveau au fond de l’eau, laissant derrière elle une traînée de sang. De retour dans sa cahute, il raconta à sa femme quel beau poisson il avait pris et comment il lui avait rendu la liberté.

– Et tu ne lui as rien demandé en retour? dit la femme.

– Mais non, qu’aurais-je donc dû souhaiter? répondit Pierre.

– Comment, n’est-ce pas un supplice, que de demeurer toujours dans cette vilaine cabane, sale et infecte; tu aurais bien pu demander une gentille chaumière.

L’homme ne trouvait pas que le service qu’il avait rendu bien volontiers au pauvre prince valût une si belle récompense. Cependant, il alla sur la plage, et, arrivé au bord de la mer, qui était toute verte, il s’écria:

– Cabillaud, cher cabillaud, ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelque chose.

Aussitôt apparut le poisson, et il dit:

– Eh bien, que lui faut-il?

– Voilà, dit le pêcheur; parce que je t’ai rendu la liberté, elle prétend que tu devrais m’accorder un souhait; elle en a assez de notre hutte, elle voudrait habiter une gentille chaumière.

– Soit, répondit le cabillaud, retourne chez toi, et tu verras son vœu accompli.

En effet, Pierre aperçut sa femme sur la porte d’une chaumière coquette et proprette.

– Viens donc vite, lui cria-t-elle, viens voir comme c’est charmant ici; il y a deux belles chambres, et une cuisine, derrière nous avons une cour avec des poules et des canards, et un petit jardin avec des légumes et quelques fleurs.

– Oh! quelle joyeuse existence nous allons mener maintenant, dit Pierre.

– Oui, dit-elle, je suis au comble de mes vœux!

Pendant une quinzaine de jours ce fut un enchantement continuel; puis tout à coup la femme dit:

– Écoute, Pierre, cette chaumière est par trop étroite et son jardin n’est pas plus grand que la main. je ne serai heureuse que dans un grand château en pierres de taille. Va trouver le cabillaud et fais-lui savoir que tel est mon désir.