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Mais que disait donc le lis rouge?

– Entends-tu le tambour: Boum! boum! deux notes seulement, boum! boum! écoute le chant de deuil des femmes, l'appel du prêtre. Dans son long sari rouge, la femme hindoue est debout sur le bûcher, les flammes montent autour d'elle et de son époux défunt, mais la femme hindoue pense à l'homme qui est vivant dans la foule autour d'elle, à celui dont les yeux brûlent, plus ardents que les flammes, celui dont le regard touche son coeur plus que cet incendie qui bientôt réduira son corps en cendres. La flamme du coeur peut-elle mourir dans les flammes du bûcher?

– Je n'y comprends rien du tout, dit la petite Gerda.

– C'est là mon histoire, dit le lis rouge.

Et que disait le liseron?

– Là-bas, au bout de l'étroit sentier de montagne est suspendu un vieux castel, le lierre épais pousse sur les murs rongés, feuille contre feuille, jusqu'au balcon où se tient une ravissante jeune fille. Elle se penche sur la balustrade et regarde au loin sur le chemin. Aucune rose dans le branchage n'est plus fraîche que cette jeune fille, aucune fleur de pommier que le vent arrache à l'arbre et emporte au loin n'est plus légère. Dans le froufrou de sa robe de soie, elle s'agite: «Ne vient-il pas?».

– Est-ce de Kay que tu parles? demanda Gerda.

– Je ne parle que de ma propre histoire, de mon rêve, répondit le liseron.

Mais que dit le petit perce-neige?

– Dans les arbres, cette longue planche suspendue par deux cordes, c'est une balançoire. Deux délicieuses petites filles-les robes sont blanches, de longs rubans verts flottent à leurs chapeaux-y sont assises et se balancent. Le frère, plus grand qu'elles, se met debout sur la balançoire, il passe un bras autour de la corde pour se tenir, il tient d'une main une petite coupe, de l'autre une pipe d'écume et il fait des bulles de savon. La balançoire va et vient, les bulles de savon aux teintes irisées s'envolent, la dernière tient encore à la pipe et se penche dans la brise. La balançoire va et vient. Le petit chien noir aussi léger que les bulles de savon se dresse sur ses pattes de derrière et veut aussi monter, mais la balançoire vole, le chien tombe, il aboie, il est furieux, on rit de lui, les bulles éclatent. Voilà! une planche qui se balance, une écume qui se brise, voilà ma chanson…

– C'est peut-être très joli ce que tu dis là, mais tu le dis tristement et tu ne parles pas de Kay.

Que dit la jacinthe?

– Il y avait trois soeurs délicieuses, transparentes et délicates, la robe de la première était rouge, celle de la seconde bleue, celle de la troisième toute blanche. Elles dansaient en se tenant par la main près du lac si calme, au clair de lune. Elles n'étaient pas filles des elfes mais bien enfants des hommes. L'air embaumait d'un exquis parfum, les jeunes filles disparurent dans la forêt. Le parfum devenait de plus en plus fort-trois cercueils où étaient couchées les ravissantes filles glissaient d'un fourré de la forêt dans le lac, les vers luisants volaient autour comme de petites lumières flottantes. Dormaient-elles ces belles filles? Étaient-elles mortes? Le parfum des fleurs dit qu'elles sont mortes, les cloches sonnent pour les défuntes.

– Tu me rends malheureuse, dit la petite Gerda. Tu as un si fort parfum, qui me fait penser à ces pauvres filles. Hélas! le petit Kay est-il vraiment mort? Les roses qui ont été sous la terre me disent que non.

– Ding! Dong! sonnèrent les clochettes des jacinthes. Nous ne sonnons pas pour le petit Kay, nous ne le connaissons pas. Nous chantons notre chanson, c'est la seule que nous sachions.

Gerda se tourna alors vers le bouton d'or qui brillait parmi les feuilles vertes, luisant.

– Tu es un vrai petit soleil! lui dit Gerda. Dis-moi si tu sais où je trouverai mon camarade de jeu?

Le bouton d'or brillait tant qu'il pouvait et regardait aussi la petite fille. Mais quelle chanson savait-il? On n'y parlait pas non plus de Kay:

– Dans une petite ferme, le soleil brillait au premier jour du printemps, ses rayons frappaient le bas du mur blanc du voisin, et tout près poussaient les premières fleurs jaunes, or lumineux dans ces chauds rayons. Grand-mère était assise dehors dans son fauteuil, sa petite fille, la pauvre et jolie servante rentrait d'une courte visite, elle embrassa la grand-mère. Il y avait de l'or du coeur dans ce baiser béni. De l'or sur les lèvres, de l'or au fond de l'être, de l'or dans les claires heures du matin. Voilà ma petite histoire, dit le bouton d'or.

– Ma pauvre vieille grand-mère, soupira Gerda. Elle me regrette sûrement et elle s'inquiète comme elle s'inquiétait pour Kay. Mais je rentrerai bientôt et je ramènerai Kay. Cela ne sert à rien que j'interroge les fleurs, elles ne connaissent que leur propre chanson, elles ne savent pas me renseigner.

Elle retroussa sa petite robe pour pouvoir courir plus vite, mais le narcisse lui fit un croc-en-jambe au moment où elle sautait par-dessus lui. Alors elle s'arrêta, regarda la haute fleur et demanda:

– Sais-tu par hasard quelque chose?

Elle se pencha très bas pour être près de lui. Et que dit-il?

– Je me vois moi-même, je me vois moi-même! Oh! Oh! quel parfum je répands! Là-haut dans la mansarde, à demi vêtue, se tient une petite danseuse, tantôt sur une jambe, tantôt sur les deux, elle envoie promener le monde entier de son pied, au fond elle n'est qu'une illusion visuelle, pure imagination. Elle verse l'eau de la théière sur un morceau d'étoffe qu'elle tient à la main, c'est son corselet-la propreté est une bonne chose-la robe blanche est suspendue à la patère, elle a aussi été lavée dans la théière et séchée sur le toit. Elle met la robe et un fichu jaune safran autour du cou pour que la robe paraisse plus blanche. La jambe en l'air! dressée sur une longue tige, c'est moi, je me vois moi-même.

– Mais je m'en moque, cria Gerda, pourquoi me raconter cela?

Elle courut au bout du jardin. La porte était fermée, mais elle remua la charnière rouillée qui céda, la porte s'ouvrit. Alors la petite Gerda, sans chaussures, s'élança sur ses bas dans le monde.

Elle se retourna trois fois, mais personne ne la suivait; à la fin, lasse de courir, elle s'assit sur une grande pierre. Lorsqu'elle regarda autour d'elle, elle vit que l'été était passé, on était très avancé dans l'automne, ce qu'on ne remarquait pas du tout dans le jardin enchanté où il y avait toujours du soleil et toutes les fleurs de toutes les saisons.

– Mon Dieu que j'ai perdu de temps! s'écria la petite Gerda. Voilà que nous sommes en automne, je n'ai pas le droit de me reposer.

Elle se leva et repartit.

Comme ses petits pieds étaient endoloris et fatigués! Autour d'elle tout était froid et hostile, les longues feuilles du saule étaient toutes jaunes et le brouillard s'égouttait d'elles, une feuille après l'autre tombait à terre, seul le prunellier avait des fruits âcres à vous en resserrer toutes les gencives. Oh! que tout était gris et lourd dans le vaste monde!