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– Nous apportons ici l'animation et la gaieté, reprit la mère moineau. Les braves gens croient qu'un nid d'hirondelles porte bonheur, c'est pourquoi l'on ne nous tracasse pas; on nous aime au contraire, et l'on nous jette de temps en temps quelques bonnes miettes. Mais nos voisins, à quoi peuvent-ils être utiles? Ce grand rosier, là contre le mur, ne fait qu'y attirer l'humidité. Qu'on l'arrache donc et qu'à sa place on sème un peu de blé. Voilà une plante profitable. Mais les roses, ce n'est que pour la vue et l'odorat. Elles se fanent l'une après l'autre. Alors, m'a appris ma mère, la femme du fermier en recueille les feuilles. On les met ensuite sur le feu pour que cela sente bon. Jusqu'au bout de leur existence, elles ne sont bonnes que pour flatter les yeux et le nez. Lorsque le soir approcha et que des myriades d'insectes se mirent à danser des rondes dans les vapeurs légères que le soleil couchant colore en rose, le rossignol arriva et chanta pour les roses ses plus délicieux airs: le refrain était que le beau est aussi nécessaire au monde que le rayon de soleil. Les fleurs pensaient que l'oiseau faisait allusion à ses propres mélodies; elles n'avaient pas l'idée qu'il chantait leur beauté. Elles n'en étaient pas moins ravies de ses harmonieuses roulades: elles se demandaient si les petits moineaux du toit deviendraient aussi un jour des rossignols.

– J'ai fort bien compris le chant de cet oiseau des bois, dit l'un d'eux, sauf un mot qui n'a pas de sens pour moi: le beau: qu'est-ce cela?

– À vrai dire, ce n'est rien du tout, répondit-elle; c'est si fragile! Tenez, là-bas au château, où se trouve le pigeonnier dont les habitants reçoivent tous les jours pois et avoine à gogo (j'y vais quelquefois marauder et y présenterai un jour), donc, au château ils ont deux énormes oiseaux au cou vert et portant une crête sur la tête: ces bêtes peuvent faire de leur queue une roue aux couleurs tellement éclatantes qu'elles font mal aux yeux: c'est là ce qu'il y a de plus beau au monde. Eh bien, je vous demande un peu: si l'on arrachait les plumes à ces paons (c'est ainsi qu'on appelle ces animaux si fiers), auraient-ils meilleure façon que nous? Je leur aurais depuis longtemps enlevé leur parure, s'ils n'étaient pas si gros. Mais c'est pour vous dire que le beau tient à peu de chose.

– Attendez, c'est moi qui leur arracherai leurs plumes! s'écria le petit moineau, qui n'avait lui-même encore qu'un mince duvet. Dans la maison habitaient un jeune fermier et sa femme; c'étaient de bien braves gens, ils travaillaient ferme; tout chez eux avait un air propre et gai. Tous les dimanches matin, la fermière allait cueillir un bouquet des plus belles roses et les mettait dans un vase plein d'eau sur le grand bahut.»Voilà mon véritable almanach, disait le mari; c'est à cela que je vois que c'est bien aujourd'hui dimanche.» Et il donnait à sa femme un gros baiser.

– Que c'est fastidieux, toujours des roses! dit la mère moineau. Tous les dimanches on renouvelait le bouquet; mais pour cela le rosier ne dégarnissait pas de fleurs. Dans l'intervalle il était poussé des plumes aux petits moineaux; ils demandèrent un jour à accompagner leur maman au fameux pigeonnier; mais elle ne le permit pas encore. Elle partit pour aller leur chercher à manger; la voilà tout à coup prise au lacet que des gamins avaient tendu sur une branche d'arbre. La pauvrette avait ses pattes entortillées dans le crin qui la serrait horriblement. Les gamins, qui guettaient sous un bosquet, accoururent et saisirent l'oiseau brusquement.

– Ce n'est qu'un pierrot! dirent-ils. Mais ils ne le relâchèrent pas pour cela. Ils l'emportèrent à la maison, et chaque fois que le malheureux oiseau se démenait et criait, ils le secouaient. Chez eux ils trouvèrent un vieux colporteur, qui était en tournée. C'était un rieur; à l'aide de ses plaisanteries il vendait force morceaux de savon et pots de pommade. Les galopins lui montrèrent le moineau.

– Écoutez, dit-il, nous allons le faire bien beau, il ne se reconnaîtra plus lui-même. L'infortunée maman moineau frissonna de tous ses membres. Le vieux prit dans sa balle un morceau de papier doré qu'il découpa artistement; il enduisit l'oiseau de toutes parts avec du blanc d'oeuf, et colla le papier dessus. Les gamins battaient des mains en voyant le pierrot doré sur toutes les coutures; mais lui ne songeait guère à sa toilette resplendissante, il tremblait comme une feuille. Le vieux loustic coupa ensuite un petit morceau d'étoffe rouge, y tailla des zigzags pour imiter une crête de coq, et l'ajusta sur la tête de l'oiseau.

– Maintenant, vous allez voir, dit-il, quel effet il produira quand il va voler! Et il laissa partir le moineau qui, éperdu de frayeur, se mit à tourner en rond, ne sachant plus où il était. Comme il brillait à la lumière du soleil! Toute la gent volatile, même une vieille corneille fut d'abord effarée à l'aspect de cet être extraordinaire. Le moineau s'était un peu remis et avait pris son vol vers son nid; mais toute la bande des moineaux d'alentour, les pinsons, les bouvreuils et aussi la corneille se mirent à sa poursuite pour apprendre de quel pays il venait. Au milieu de ce tohu-bohu, il se troubla de nouveau, l'épouvante commençait à paralyser ses ailes, son vol se ralentissait. Plusieurs oiseaux l'avaient rattrapé et lui donnaient des coups de bec; les autres faisaient un ramage terrible. Enfin le voilà devant son nid. Les petits, attirés par tout ce tapage, avaient mis la tête à la fenêtre.

– Tiens, se dirent-ils l'un à l'autre, c'est certainement un jeune paon. L'éclat de son plumage fait mal aux yeux. Te rappelles-tu ce que la mère nous a dit: «C'est le beau. À bas le beau! Sus, sus!» Et de leurs petits becs ils frappèrent l'oiseau épuisé qui n'avait plus assez de souffle pour dire pip, ce qui l'aurait peut-être fait reconnaître. Ils barrèrent l'entrée du nid à leur mère. Les autres oiseaux alors se jetèrent sur elle et lui arrachèrent une plume après l'autre; elle finit par tomber sanglante au milieu du rosier.

– Pauvre petite bête! dirent les roses. Cache-toi bien. Ils n'oseront pas te poursuivre plus loin. Notre père te défendra avec ses épines. Repose ta tête sur nous. Mais le pauvre moineau était dans les dernières convulsions, il étendit les ailes, puis les resserra; il était mort. Dans le nid, c'étaient des pip, pip continuels.

– Où peut donc rester la mère si longtemps? dit l'aîné des petits. Serait-ce avec intention qu'elle ne rentre pas? peut-être veut-elle nous signifier que nous sommes assez grands pour pourvoir nous-mêmes à notre entretien? Oui, ce doit être cela. Elle nous abandonne le nid. Nous pouvons y loger tous trois maintenant; mais plus tard, quand nous aurons de la famille, à qui sera-t-il?

– Moi, je vous ferai bien décamper, dit le plus jeune, quand je viendrai installer ici ma nichée.

– Tais-toi, blanc-bec, dit le second, je serai marié bien avant toi, et avec ma femme et mes petits je te ferai une belle conduite si tu viens ici.

– Et moi, je ne compte donc pour rien? s'écria l'aîné. La querelle s'envenima, ils se mirent à se battre des ailes, à se donner des coups de bec; les voilà tous trois hors du nid dans la gouttière, ils restèrent à plat quelque temps, clignotant des yeux de l'air le plus niais. Enfin ils se relevèrent, ils savaient un peu voleter, et les deux aînés, se sentant le désir de voir le monde, laissèrent le nid au plus jeune. Avant de se séparer, ils convinrent d'un signe pour se reconnaître plus tard: c'était un pip prolongé, accompagné de trois grattements avec la patte gauche; ils devaient apprendre ce moyen de reconnaissance à leurs petits. Le plus jeune se carrait avec délices dans le nid, qui était maintenant à lui seul. Mais dès la nuit suivante le feu prit au toit, qui était de chaume; il flamba en un instant et le moineau fut grillé. Lorsque le soleil apparut, il ne restait plus debout que quelques poutres à moitié calcinées, appuyées contre un pan de mur. Les décombres fumaient encore. À côté des ruines, le rosier était resté aussi frais, aussi fleuri que la veille; l'image de ses riches bouquets se reflétait toujours dans l'eau.