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– D’accord, revendez-moi! J’en serai ravi. – répliqua Pinocchio.

Mais en même temps, il bondit et sauta loin dans l’eau. Tout en nageant allègrement pour s’éloigner de la rive, il cria au pauvre acheteur:

– Adieu, mon maître. Si vous avez besoin d’une peau pour faire un tambour, pensez à moi!

Un peu plus loin, toujours nageant et riant, il lança encore:

– Adieu, mon bon maître. Si vous avez besoin d’un peu de bois pour allumer votre cheminée, pensez à moi!

Pinocchio s’éloignait à toute vitesse. C’était devenu un petit point noir à la surface de l’eau. Parfois une paire de jambes émergeait de la mer ou alors il faisait des cabrioles dans l’eau, tel un dauphin de très bonne humeur.

Nageant au hasard, Pinocchio aperçut un rocher blanc comme du marbre sur lequel béguetait gentiment une jolie petite chèvre qui lui faisait signe d’approcher.

La chose étonnante était que cette chèvre n’était ni blanche, ni noire, comme le sont d’habitude la plupart des chèvres, mais sa laine était d’un bleu-nuit éclatant qui rappelait beaucoup la couleur des cheveux de la jolie petite Fée.

Évidemment, le cœur de Pinocchio se mit à battre très fort. Redoublant d’effort, il se dirigea vers le rocher blanc. C’est alors que surgit une tête horrible, celle d’un monstre marin qui venait à sa rencontre. Sa bouche grande ouverte était un gouffre et découvrait trois rangées de dents à faire peur même en dessin.

Et vous savez qui était ce monstre marin?

C’était, ni plus ni moins, ce gigantesque Requin déjà rencontré dans cette histoire et que l’on surnommait, à cause de ses nombreux massacres et de son insatiable voracité, «l’Attila des poissons et des pécheurs».

Vous imaginez l’épouvante qui saisit le pauvre Pinocchio à la vue de ce monstre! Il essaya de l’éviter, de changer de route, de le fuir mais l’énorme bouche s’approchait à la vitesse d’une flèche.

– Dépêche-toi, Pinocchio! Je t’en supplie! – bêlait la jolie petite chèvre.

Celui-ci nageait désespérément. Il se servait de tout: ses bras, sa poitrine, ses jambes, ses pieds…

– Cours! Cours, Pinocchio! Le monstre se rapproche!

Rassemblant toutes ses forces, la marionnette redoubla d’ardeur.

– Attention, Pinocchio! Le monstre te rejoint! Il arrive! Il arrive! Dépêche-toi, je t’en supplie ou tu es perdu!

Il ne pouvait pas aller plus vite. Il filait comme une balle de fusil. Alors qu’il était sur le point de toucher le rocher, la petite chèvre se pencha et lui tendait déjà ses pattes de devant pour l’aider à sortir de l’eau.

Mais c’était trop tard! Le monstre l’avait rejoint et aspira la pauvre marionnette comme on gobe un œuf. Ce fut si violent que Pinocchio, dégringolant dans le corps du Requin, s’assomma et resta évanoui pendant un bon quart d’heure.

Quand il revint à lui, il ne savait plus ni qui il était, ni où il était. Tout, autour de lui, était plongé dans le noir le plus profond comme s’il était entré dans un encrier plein d’encre. On n’entendait rien que, de temps en temps, de grandes bouffées de vent qui lui cinglaient le visage. Au début, il ne comprit pas, puis il pensa que ces rafales devaient sortir des poumons du monstre. De fait, le Requin souffrait d’asthme et, quand il respirait, on aurait dit que soufflait la Tramontane.

Pinocchio chercha d’abord à se donner du courage mais quand il eut cent fois la preuve qu’il était bien dans le corps du monstre, il s’effondra en larmes et se mit à gémir:

– Au secours! A l’aide! Oh, pauvre de moi! N’y a-t-il personne pour me sauver?

– Qui donc pourrait te sauver, malheureux! – grinça une voix dans le noir, fêlée comme une guitare désaccordée.

– Qui parle? – demanda Pinocchio qui tremblait de peur.

– C’est moi! Je suis un pauvre Thon que le Requin a avalé en même temps que toi. Et toi, quel poisson es-tu?

– Moi, je n’ai rien à voir avec les poissons. Je suis une marionnette.

– Et alors? Si tu n’es pas un poisson, pourquoi t’es-tu fait avaler par le monstre?

– Je n’en sais rien. D’ailleurs je ne me suis pas «fait avaler». C’est lui qui m’a avalé. Nuance! Bon, et maintenant, qu’est-ce que l’on peut faire?

– Se résigner et attendre que le Requin nous digère.

– Mais je ne veux pas être digéré! – cria Pinocchio qui se remit à pleurer.

– Ben, moi non plus – fit remarquer le Thon – mais je suis philosophe et je me console en pensant que, pour un Thon, il est plus digne de mourir dans l’eau que dans la friture.

– Balivernes! – hurla Pinocchio.

– C’est mon opinion – se défendit le Thon – et toutes les opinions, comme l’assurent les Thons politiques, sont respectables!

– Moi, je veux m’en aller d’ici. Je veux m’en aller…

– Va-t-en, si tu y arrives.

– Il est vraiment gros ce Requin? – questionna la marionnette.

– S’il est gros? Son corps mesure plus d’un kilomètre de long, sans compter la queue.

Tandis qu’ils conversaient ainsi, Pinocchio crut discerner dans le lointain une vague lueur.

– Cette lueur, tout là-bas, qu’est-ce que c’est? demanda Pinocchio.

– Sans doute un autre malheureux qui attend d’être digéré.

– Je vais aller voir. Il s’agit peut-être d’un vieux poisson qui sait, lui, comment sortir d’ici.

– Je te le souhaite, chère marionnette.

– Alors, adieu le Thon.

– Adieu, la marionnette. Et bonne chance!

– On se reverra?

– Qui sait? Le mieux est de ne pas y penser!