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Quand il se releva, il boitait et il eut le plus grand mal à rejoindre l’écurie.

– Pinocchio, reviens! On veut le petit âne! Pinocchio! Pinocchio! – hurlaient les enfants apitoyés par ce qu’ils venaient de voir.

Mais le petit âne ne revint pas.

Le lendemain matin, le vétérinaire, c’est à dire le médecin des animaux, déclara qu’il resterait estropié toute sa vie.

Alors le directeur du cirque appela son garçon d’écurie:

– Que veux-tu que je fasse d’un baudet boiteux? Ce serait le nourrir à perte. Emmène-le donc au marché et revends-le.

Arrivés sur la place du marché, ils trouvèrent tout de suite un acheteur:

– Combien cet âne boiteux?

– Vingt lires.

– Je t’en donne vingt centimes. Ne crois pas que je vais m’en servir. Je l’achète uniquement pour sa peau. Je vois qu’il a la peau particulièrement dure et j’en ai besoin pour fabriquer un tambour pour l’orchestre de mon village.

Je vous laisse imaginer, mes enfants, les sentiments du pauvre Pinocchio quand il entendit qu’il allait devenir un tambour!

Après avoir versé les vingt centimes, l’acheteur conduisit l’ânon jusqu’à un rocher qui surplombait la mer, lui suspendit une grosse pierre au cou, attacha une corde à l’une de ses pattes tout en gardant l’autre bout à la main et lui donna une forte bourrade qui le projeta dans l’eau.

Avec ce poids autour du cou, Pinocchio coula tout au fond de la mer tandis que l’acheteur, tenant toujours l’autre extrémité de la corde, alla s’asseoir sur le rocher en attendant que l’âne ait tout le temps de se noyer pour qu’il puisse, ensuite, récupérer sa peau…

Chapitre 34

Le petit âne Pinocchio est mangé par les poissons et redevient une marionnette. Alors qu’il nage pour sauver sa vie, il est avalé par le terrible Requin.

Il y avait presque une heure que l’âne était dans l’eau et son acquéreur se dit:

– Maintenant, il doit être tout à fait noyé. Remontons-le pour faire le tambour avec sa peau.

Il tira sur la corde qu’il avait attachée à l’une des pattes de l’âne, tira, tira, et vit affleurer à la surface de l’eau… vous savez quoi? Au lieu d’un petit âne mort, apparut une marionnette bien vivante qui se tortillait comme une anguille.

Le pauvre homme crut rêver. Il resta là, abasourdi, la bouche grande ouverte et les yeux exorbités.

Revenu de sa stupeur, il balbutia:

– Et l’âne que j’ai jeté à la mer, où donc est-il?

– L’âne, c’est moi! – répondit la marionnette en riant.

– Toi?

– Moi!

– Dis, petit rigolo! Tu te moques de moi peut-être?

– Me moquer de vous? Pas du tout, mon maître! Je vous parle sérieusement.

– Mais enfin, comment as-tu fait pour devenir une marionnette en bois alors que tu étais, tout à l’heure, un bourricot?

– C’est sans doute un effet de l’eau de mer. Parfois, la mer nous joue de ces tours…

– Ca suffit, la marionnette, ça suffit! N’espère pas rire à mes dépens et gare à toi si tu me fais perdre patience!

– D’accord, mon maître. Vous voulez savoir exactement ce qui s’est passé? Dans ce cas, détachez-moi et je vous raconterai tout.

Désireux de comprendre quelque chose à cette histoire, l’acheteur défit le nœud de la corde et Pinocchio se retrouva libre comme l’air:

– Apprenez donc, mon maître, qu’avant de devenir un âne, j’étais une marionnette sur le point de devenir un petit garçon comme les autres. Mais mon peu de goût pour le travail et les mauvais conseils de petits camarades me firent quitter la maison. C’est ainsi que, un matin, en me réveillant, je me suis retrouvé changé en baudet, avec les oreilles, la queue et tout. Quelle honte fut la mienne! Que Saint-Antoine ne vous fasse jamais éprouver cet affront! Emmené pour être vendu au marché des ânes, je fus acheté par le directeur d’une compagnie équestre qui se mit dans la tête de faire de moi un grand danseur et un sauteur de cercles hors-pair. Or, au beau milieu du spectacle, je fis une chute et me retrouvai estropié. Comme le directeur du cirque ne voulait pas s’encombrer d’un âne boiteux, il me revendit et c’est vous qui m’avez acheté.

– Eh oui! Malheureusement! Je t’ai même payé vingt centimes. Qui va me rendre mes vingt centimes maintenant?

– Vous m’avez même acheté pour fabriquer un tambour avec ma peau, n’est-ce pas? Un tambour!!

– Eh oui! Malheureusement! Où vais-je trouver une autre peau maintenant?

– Ne vous laissez pas aller au désespoir, mon maître. Des ânes, il y en a tant en ce monde…

– Dis-moi, petit impertinent, ton histoire s’arrête là?

– Pas tout à fait. Deux mots encore. Donc, après m’avoir acheté, vous m’avez conduit ici pour me tuer. Cédant à un sentiment de la plus grande humanité, vous avez préféré me mettre une pierre au cou et me jeter dans la mer. Cette délicatesse vous honore infiniment et je vous en serai éternellement reconnaissant. Mais c’était compter sans la Fée…

– C’est quoi cette Fée?

– Cette Fée, c’est ma maman. Elle est comme toutes les mamans qui aiment beaucoup leurs enfants, veillent sur eux et les secourent tendrement en cas de danger, même si ces enfants, par leur étourderie et leur comportement indélicat, mériteraient d’être abandonnés et livrés à eux-mêmes. Je disais donc que la Fée, voyant que j’allais me noyer, m’envoya un banc d’innombrables poissons qui se mirent à dévorer cet ânon qu’ils croyaient bel et bien mort. Quelles bouchées ils faisaient de moi! Je n’aurais jamais cru que les poissons fussent aussi gloutons que les enfants! C’était à qui mangerait les oreilles, le museau, l’encolure et sa crinière, la peau des pattes et le pelage du dos! Il y a même un tout petit qui eut la courtoisie d’accepter de me dévorer la queue.

– Jamais plus je ne mangerai de poisson! – s’exclama, horrifié, le fabricant de tambour – J’aurais trop peur de trouver une queue d’âne dans le ventre d’une truite ou d’un merlan.

– Je suis bien d’accord avec vous – répondit la marionnette qui se tordait de rire – Enfin, quand ils eurent fini de manger toute cette chair de baudet qui m’enrobait de la tête aux pieds, les poissons arrivèrent naturellement au squelette. Mais dés les premières morsures, ces gloutons s’aperçurent que le bois très dur dont je suis fait n’était pas pain béni pour leurs dentitions et ils se dispersèrent sans même me remercier. Et voici comment, tirant sur votre corde, vous avez trouvé une marionnette à la place de votre âne!

– Je me moque de tout cela! – hurla l’acheteur fou de rage – Tout ce qui m’intéresse c’est que j’ai dépensé vingt centimes pour t’avoir et que je veux les récupérer. Sais-tu ce que je vais faire? Je vais retourner au marché et te revendre comme du bois sec pour allumer le feu de la cheminée.