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Mortifié qu’on puisse le prendre pour un crabe, Pinocchio intervint, irrité:

– Qu’est-ce que c’est que cette histoire de crabe? C’est une drôle de façon de me traiter! Vous ne voyez pas que je suis une marionnette?

– Une marionnette? – répondit le pêcheur – A vrai dire, c’est la première fois que je vois un poisson-marionnette! Mais c’est très bien ainsi. Je ne t’en dégusterai que plus volontiers?

– Me déguster? Mais je me tue à vous dire que je ne suis pas un poisson! Vous n’entendez pas que je parle et que je raisonne comme vous?

– Ma foi, c’est vrai – admit le pêcheur – Et comme je vois que tu es un poisson qui parle et raisonne comme moi, tu auras droit à tous les égards dus à ton espèce.

– C’est à dire?

– Eh bien, parce que tu as toute mon amitié et toute mon estime, je te laisse choisir la manière dont tu souhaites être cuisiné. Veux-tu être frit à la poêle ou cuit au court-bouillon et accompagné de sauce tomate?

– Pour tout dire – fit remarquer Pinocchio – si vraiment j’avais le choix, je préférerais être libre de rentrer chez moi.

– Tu plaisantes? Tu crois que je vais laisser passer l’occasion de manger un poisson aussi rare que toi? C’est pas tous les jours que l’on trouve un poisson-marionnette dans la mer. Bon, laisse-moi faire: je te ferai frire avec les autres et tu en seras content. Etre frit avec de la compagnie est toujours une consolation.

L’adage ne consola point le malheureux Pinocchio qui se mit à pleurer, disant entre deux sanglots:

– Ah! Que ne suis-je allé à l’école au lieu d’écouter mes camarades! Hi! Hi! Hi!

Comme il se tordait comme une anguille pour tenter d’échapper aux griffes du pêcheur, ce dernier lui lia les chevilles et les poignets avec du jonc et le jeta avec les autres poissons.

Puis, étalant de la farine sur une planche en bois, il en saupoudra tous les poissons avant de les mettre à frire dans la poêle.

Les premiers à danser dans l’huile bouillante furent les pauvres rougets. Ensuite arrivèrent les merlans, les vives, les mulets, les soles, les anchois, puis vint le tour de Pinocchio qui, se sentant si proche de la mort (et de quelle affreuse mort!), était pris de tels tremblements qu’il n’avait plus de force ni de voix pour se plaindre.

Le pauvre enfant n’avait plus que ses yeux pour supplier le pêcheur.

Mais le pêcheur, insensible, le roula cinq-six fois dans la farine, si bien que Pinocchio finit par ressembler à une marionnette en plâtre.

Puis il l’attrapa par la tête et…

Chapitre 29

Pinocchio retourne chez la Fée qui lui promet qu’il va devenir un vrai petit garçon. Pour fêter cet évènement majeur, un grand goûter est organisé.

Alors que le pêcheur était sur le point de jeter Pinocchio dans la poêle entra un gros chien attiré par la forte et appétissante odeur de friture.

– Va-t-en! – lui cria le pêcheur qui tenait toujours la marionnette enfarinée à la main.

Le pauvre chien avait une faim de loup. Il gémissait doucement en remuant la queue, semblant dire: «Donne-moi un peu de cette friture et je te laisse tranquille.»

– Va-t-en, je te dis! – répéta le pêcheur qui lui décocha un coup de pied.

Mais ce chien n’avait pas l’habitude de se laisser brutaliser, surtout quand il avait faim. Menaçant, il gronda et montra ses terribles crocs.

A ce moment-là, une petite voix mourante se fit entendre:

– Sauve-moi, Alidor!… Sinon, je suis cuit!

Le chien reconnut tout de suite la voix de Pinocchio et comprit, à sa grande surprise, qu’elle venait de cette espèce de paquet ficelé et enfariné que tenait le pêcheur.

Que fit le chien? Il bondit, attrapa l’objet plein de farine et, le tenant avec précaution entre ses dents, sortit de la grotte en un éclair.

Le pêcheur, furieux de se voir subtiliser un poisson qu’il avait tant envie de manger, tenta de rattraper le chien, mais il fut pris très vite d’une quinte de toux et il revint sur ses pas.

Alidor courut jusqu’au sentier qui menait au village, s’arrêta et déposa délicatement l’ami Pinocchio sur le sol.

– Comment te remercier? – demanda la marionnette.

– Ne cherche pas. – répondit le dogue – Tu m’as sauvé la vie. Or un bienfait n’est jamais perdu. Il faut bien s’entraider en ce bas monde.

– Mais comment as-tu fait pour me trouver?

– J’étais couché sur la plage, plus mort que vif, quand le vent a apporté une odeur de friture qui m’a ouvert l’appétit. Alors, j’ai suivi ces effluves qui m’ont mené à la grotte. Si jamais j’étais arrivé une minute plus tard!…

– Ne dis pas ça! – hurla Pinocchio qui tremblait encore de tout son être – Une minute plus tard, j’étais bel et bien frit, mangé et digéré. Brrr! J’en ai la chair de poule rien que d’y penser!

En riant, Alidor tendit sa patte droite à la marionnette qui la serra avec effusion, puis ils se quittèrent.

Le chien reprit sa route pour rentrer et Pinocchio, resté seul, se dirigea vers une chaumière qui se trouvait non loin de là. Sur le seuil, un vieil homme se réchauffait au soleil. Il s’adressa à lui:

– Dites-moi, Monsieur, auriez-vous entendu parler d’un pauvre garçon blessé à la tête qui s’appelle Eugène?

– Mais oui. Ce garçon a été amené ici par des pêcheurs. Mais à présent…

– Il est mort! – l’interrompit Pinocchio qui ressentit une vive douleur.

– Pas du tout! Il est vivant et il est rentré chez lui.

– Vraiment? Vraiment? – s’exclama la marionnette qui sauta de joie – Alors, sa blessure n’était pas grave?

– Cela aurait pu être très grave, et même mortel – répondit le vieux monsieur – car il a reçu sur la tête un gros livre relié en carton.

– Qui donc a fait cela?

– L’un de ses camarades d’école, un certain Pinocchio.

– Pinocchio? Qui est-ce? – questionna l’intéressé qui faisait l’ignorant.

– On dit que c’est un sale gosse, un vagabond, un vrai casse-cou…

– Calomnies! Ce sont des calomnies!

– Ah bon? Tu le connais, toi, ce Pinocchio?

– De vue…

– Puisque tu le connais, qu’en penses-tu?

– Pour moi, c’est un enfant modèle, plein de bonne volonté pour travailler, obéissant, affectueux avec son papa et tous les siens…