Le docteur Winchester resta sans bouger pendant quelques minutes avant de parler.
– Alors, les événements de cette nuit sont tout à fait aussi mystérieux que ceux de la nuit dernière?
– Tout à fait! répondis-je.
Il ne répondit rien, mais, se tournant vers Miss Trelawny, il dit:
– Nous ferions mieux de transporter Nurse Kennedy dans une autre chambre. Je suppose que rien ne s'y oppose?
– Rien du tout! S'il vous plaît, Mrs. Grant, faites préparer la chambre de Nurse Kennedy; et demandez à deux domestiques de venir pour l'y transporter.
Mrs. Grant sortit immédiatement; elle revint au bout de quelques minutes en disant:
– La chambre est prête, et les hommes sont là.
Sur ses indications deux valets de pied entrèrent dans la chambre, soulevèrent le corps rigide de Nurse Kennedy, l'emportèrent, sous la supervision du docteur, hors de la pièce. Miss Trelawny resta avec moi chez Mr. Trelawny; Mrs. Grant suivit le docteur dans la chambre de l'infirmière.
Quand nous fûmes seuls, Miss Trelawny vint vers moi, me prit les deux mains et dit:
– J'espère que vous oublierez ce que j'ai dit. Je ne le pensais pas, et j'étais bouleversée. Je ne répondis pas, mais je tins ses deux mains serrées et y déposai un baiser.
Quand le docteur Winchester revint, il regarda attentivement le malade avant de parler. Ses sourcils étaient contractés, sa bouche se réduisait à une mince ligne dure. Il dit au bout d'un moment:
– Il y a beaucoup de points communs entre le sommeil de votre père et celui de Nurse Kennedy. Ce qui l'a produit, quelle que soit sa nature, a probablement fonctionné de la même façon dans les deux cas. Chez Kennedy, le coma est moins accentué. Cependant je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression qu'avec elle nous allons être en mesure d'en faire plus et d'agir plus rapidement qu'avec ce patient, car nous n'avons pas les mains liées. Je l'ai fait mettre dans un courant d'air; et elle laisse paraître quelques symptômes, encore très légers, d'inconscience ordinaire. Ses membres sont moins rigides, sa peau semble plus sensible – peut-être devrais-je dire moins insensible – à la douleur.
– Comment se fait-il, demandai-je, que Mr. Trelawny soit toujours dans cet état d'insensibilité alors qu'autant que nous puissions le savoir, son corps ne présente aucune rigidité?
– Je ne peux pas répondre à cette question. Le problème est l'un de ceux que nous pourrons résoudre dans quelques heures; ou bien faudra-t-il peut-être quelques jours. Mais ce sera un enseignement utile de diagnostic pour nous tous; et peut-être pour beaucoup d'autres après nous, qui sait! ajouta-t-il avec un élan d'enthousiasme véritable.
Le sergent Daw s'en alla faire à Scotland Yard son rapport sur les événements de la nuit; puis il passa au commissariat local pour prendre des dispositions concernant la venue de son camarade, Wright, comme il avait été convenu avec le commissaire Dolan. Quand il revint, je ne pus me défendre de l'impression qu'on lui avait sérieusement lavé la tête pour avoir tiré des coups de feu dans la chambre d'un malade. Ou peut-être pour avoir simplement tiré sans motif certain et convenable. Sa remarque m'apporta des lumières sur la question.
– Une bonne réputation, ça sert à quelque chose, monsieur, en dépit de ce que disent certaines gens. Voyez! je suis toujours autorisé à porter un revolver.
La journée suivante fut longue et riche en motifs d'anxiété. Lorsque le soleil se coucha une inquiétude étrange et sinistre s'empara de nous; et chacun à notre manière, nous nous préparâmes à veiller. Le Dr Winchester avait évidemment pensé à mon masque respiratoire, car il me dit qu'il allait aller en acheter un. À dire vrai, il accepta mon idée avec tant de bienveillance que je persuadai Miss Trelawny d'en avoir un, elle aussi, qu'elle pourrait mettre quand viendrait son tour de prendre la garde.
Et la nuit commença ainsi.
Chapitre V ENCORE D'ÉTRANGES INSTRUCTIONS
Un peu avant minuit Miss Trelawny sortit de sa chambre. Elle plaça son masque respiratoire, et moi le mien; et nous entrâmes dans la chambre du malade. Le détective et l'infirmière se levèrent, nous prîmes leurs places. Le sergent Daw fut le dernier à sortir; il referma la porte derrière lui, comme nous en étions convenus.
Je restai un instant assis sans bouger, le cœur battant. La pièce était d'une obscurité sinistre. La seule lumière était une faible lueur projetée sur le plafond élevé par la partie supérieure de la lampe, mise à part la luminosité verte par transparence de l'abat-jour. Cette lumière faisait, semblait-il, simplement ressortir l'obscurité ambiante, et les ombres qui commençaient, comme la nuit précédente, à avoir une sorte d'existence propre. Je ne me sentais pas du tout disposé à dormir; et chaque fois que je venais à pas feutrés regarder le malade, c'est-à-dire à peu près toutes les dix minutes, je pouvais constater que Miss Trelawny était parfaitement éveillée. Tous les quarts d'heure, l'un ou l'autre des policiers regardait par la porte entrouverte. Chaque fois, Miss Trelawny et moi, nous disions d'une voix étouffée par le masque: «Tout va bien», et la porte se refermait.
Nous entendîmes la pendule du couloir sonner les quarts d'heure de son timbre argentin jusqu'à deux heures; et alors je me sentis gagné par une sensation étrange. D'après les mouvements de Miss Trelawny quand elle regardait autour d'elle, je pouvais voir qu'elle éprouvait, elle aussi, une sensation nouvelle. Le nouveau détective venait juste de regarder dans la chambre; nous en avions pour un quart d'heure à rester seuls avec le malade inconscient.
Mon cœur se mit à battre furieusement. J'étais gagné par la peur; mais pas pour moi! C'était une peur impersonnelle. C'était comme si une autre personne venait d'entrer dans la chambre et qu'une forte intelligence ait été en éveil tout près de moi. Quelque chose m'effleura la jambe. Je m'empressai de baisser la main et je sentis la fourrure de Silvio. Avec un grognement très faible et qui semblait venir de loin, il se retourna pour me griffer. Je sentis du sang sur ma main. Je me levai doucement et m'approchai du lit. Miss Trelawny s'était elle aussi levée et elle regardait derrière elle, comme s'il y avait eu quelque chose tout près. Ses yeux brillaient, sa poitrine se soulevait et s'abaissait comme si elle avait de la peine à respirer. Quand je la touchai, elle ne parut pas le sentir; elle avait les mains tendues devant elle, comme si elle avait voulu se protéger de quelque chose.
Il n'y avait pas un instant à perdre. Je la pris dans mes bras et me précipitai à la porte, l'ouvris, passai dans le couloir en criant à haute voix: «Au secours! Au secours!»
En un instant les deux détectives, Mrs. Grant et l'infirmière firent leur apparition. Sur leurs talons arrivaient plusieurs domestiques des deux sexes. Dès que Mrs. Grant fut assez près, je plaçai Miss Trelawny dans ses bras et me précipitai de nouveau dans la chambre, tournai le bouton électrique dès que je pus l'atteindre. Le sergent Daw et l'infirmière me suivaient.