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Tout à coup, près de la chaise où l’aveugle s’était assis, je sentis quelque chose rouler sous mon pied. Et me baissant, je reconnus son portefeuille, un gros portefeuille luisant, à soins cassés, qui ne le quitte jamais et qu’il appelle en riant sa poche à venin. Cette poche, dans notre monde, était aussi renommée que les fameux cartons de M. Girardin. On disait qu’il y avait des choses terribles là-dedans… L’occasion se présentait belle pour m’en assurer. Le vieux portefeuille, trop gonflé, s’était crevé en tombant, et tous les papiers avaient roulé sur le tapis; il me fallut les ramasser l’un après l’autre…

Un paquet de lettres écrites sur du papier à fleurs, commençant toutes: Mon cher papa, et signées: Céline Bixiou, des enfants de Marie.

D’anciennes ordonnances pour des maladies d’enfants: croup, convulsions, scarlatine, rougeole… (La pauvre petite n’en avait pas échappé une!)

Enfin une grande enveloppe cachetée d’où sortaient, comme d’un bonnet de fillette, deux ou trois crins jaunes tout frisés; et sur l’enveloppe, en grosse écriture tremblée, une écriture d’aveugle:

Cheveux de Céline, coupés le 13 mai, le jour de son entrée là-bas.

Voilà ce qu’il y avait dans le portefeuille de Bixiou.

Allons, Parisiens, vous êtes tous les mêmes. Le dégoût, l’ironie, un rire infernal, des blagues féroces, et puis pour finir:… Cheveux de Céline coupés le 13 mai.

La légende de l’homme à la cervelle d’or

A la dame qui demande des histoires gaies.

En lisant votre lettre, madame, j’ai eu comme un remords. Je m’en suis voulu de la couleur un peu trop demi-deuil de mes historiettes, et je m’étais promis de vous offrir aujourd’hui quelque chose de joyeux, de follement joyeux.

Pourquoi serais-je triste, après tout? Je vis à mille lieues des brouillards parisiens, sur une colline lumineuse, dans le pays des tambourins et du vin muscat. Autour de chez moi tout n’est que soleil et musique; j’ai des orchestres de culs-blancs, des orphéons de mésanges; le matin, les courlis qui font: «Coureli! coureli!»; à midi, les cigales; puis les pâtres qui jouent du fifre, et les belles filles brunes qu’on entend rire dans les vignes… En vérité, l’endroit est mal choisi pour broyer du noir; je devrais plutôt expédier aux dames des poèmes couleur de rose, et des pleins paniers de contes galants.

Eh bien, non! je suis encore trop près de Paris. Tous les jours, jusque dans mes pins, il m’envoie les éclaboussures de ses tristesses… A l’heure même où j’écris ces lignes, je viens d’apprendre la mort misérable du pauvre Charles Barbara, et mon moulin en est tout en deuil. Adieu les courlis et les cigales! Je n’ai plus le cœur à rien de gai… Voilà pourquoi, madame, au lieu du joli conte badin que je m’étais promis de vous faire, vous n’aurez encore aujourd’hui qu’une légende mélancolique.

Il était une fois un homme qui avait une cervelle d’or; oui, madame, une cervelle toute en or. Lorsqu’il vint au monde, les médecins pensaient que cet enfant ne vivrait pas, tant sa tête était lourde et son crâne démesuré. Il vécut cependant et grandit au soleil comme un beau plant d’olivier; seulement sa grosse tête l’entraînait toujours, et c’était pitié de le voir se cogner à tous les meubles en marchant… Il tombait souvent. Un jour, il roula du haut d’un perron et vint donner du front contre un degré de marbre, où son crâne sonna comme un lingot. On le crut mort; mais, en le relevant, on ne lui trouva qu’une légère blessure, avec deux ou trois gouttelettes d’or caillées dans ses cheveux blonds. C’est ainsi que les parents apprirent que l’enfant avait une cervelle en or.

La chose fut tenue secrète; le pauvre petit lui-même ne se douta de rien. De temps en temps, il demandait pourquoi on ne le laissait plus courir devant la porte avec les garçonnets de la rue.

«On vous volerait, mon beau trésor!» lui répondait sa mère.

Alors le petit avait grand-peur d’être volé; il retournait jouer tout seul, sans rien dire, et se trimbalait lourdement d’une salle à l’autre…

A dix-huit ans seulement, ses parents lui révélèrent le don monstrueux qu’il tenait du Destin; et, comme ils l’avaient élevé et nourri jusque-là, ils lui demandèrent en retour un peu de son or. L’enfant n’hésita pas; sur l’heure même – comment? par quels moyens? la légende ne l’a pas dit – il s’arracha du crâne un morceau d’or massif, un morceau gros comme une noix, qu’il jeta fièrement sur les genoux de sa mère… Puis tout ébloui des richesses qu’il portait dans la tête, fou de désirs, ivre de sa puissance, il quitta la maison paternelle et s’en alla par le monde en gaspillant son trésor.

Du train dont il menait sa vie, royalement, et semant l’or sans compter, on aurait dit que sa cervelle était inépuisable… Elle s’épuisait cependant, et à mesure on pouvait voir les yeux s’éteindre, la joue devenir plus creuse. Un jour, enfin, au matin d’une débauche folle, le malheureux, resté seul parmi les débris du festin et les lustres qui pâlissaient, s’épouvanta de l’énorme brèche qu’il avait déjà faite à son lingot: il était temps de s’arrêter.

Dès lors, ce fut une existence nouvelle. L’homme à la cervelle d’or s’en alla vivre à l’écart, du travail de ses mains, soupçonneux et craintif comme un avare, fuyant les tentations, tâchant d’oublier lui-même ces fatales richesses auxquelles il ne voulait plus toucher… Par malheur, un ami l’avait suivi dans sa solitude, et cet ami connaissait son secret.

Une nuit, le pauvre homme fut réveillé en sursaut par une douleur à la tête, une effroyable douleur; il se dressa éperdu, et vit, dans un rayon de lune, l’ami qui fuyait en cachant quelque chose sous son manteau…

Encore un peu de cervelle qu’on lui emportait!…

A quelque temps de là, l’homme à la cervelle d’or devint amoureux, et cette fois tout fut fini… Il aimait du meilleur de son âme une petite femme blonde, qui l’aimait bien aussi, mais qui préférait encore les pompons, les plumes blanches et les jolis glands mordorés battant le long des bottines.

Entre les mains de cette mignonne créature – moitié oiseau, moitié poupée – les piécettes d’or fondaient que c’était un plaisir. Elle avait tous les caprices; et lui ne savait jamais dire non; même, de peur de la peiner, il lui cacha jusqu’au bout le triste secret de sa fortune.

«Nous sommes donc bien riches?» disait-elle.

Le pauvre homme répondait:

«Oh! oui… bien riches!»

Et il souriait avec amour au petit oiseau bleu qui lui mangeait le crâne innocemment. Quelquefois cependant la peur le prenait, il avait des envies d’être avare; mais alors la petite femme venait vers lui en sautillant, et lui disait:

«Mon mari, qui êtes si riche! achetez-moi quelque chose de bien cher…»

Et il lui achetait quelque chose de bien cher.

Cela dura ainsi pendant deux ans; puis, un matin, la petite femme mourut, sans qu’on sût pourquoi, comme un oiseau… Le trésor touchait à sa fin; avec ce qui lui en restait, le veuf fit faire à sa chère morte un bel enterrement. Cloches à toute volée, lourds carrosses tendus de noir, chevaux empanachés, larmes d’argent dans le velours, rien ne lui parut trop beau. Que lui importait son or maintenant?… Il en donna pour l’église, pour les porteurs, pour les revendeuses d’immortelles: il en donna partout.