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«Bonjour, braves gens! je suis l’ami de Maurice.»

Oh! alors, si vous l’aviez vu, le pauvre vieux, si vous l’aviez vu venir vers moi les bras tendus, m’embrasser, me serrer les mains, courir égaré dans la chambre, en faisant:

«Mon Dieu! mon Dieu!…»

Toutes les rides de son visage riaient. Il était rouge. Il bégayait:

«Ah! monsieur… ah! monsieur…»

Puis il allait vers le fond en appelant:

«Mamette!»

Une porte qui s’ouvre, un trot de souris dans le couloir… c’était Mamette. Rien de joli comme cette petite vieille avec son bonnet à coques, sa robe carmélite, et son mouchoir brodé qu’elle tenait à la main pour me faire honneur, à l’ancienne mode… Chose attendrissante! ils se ressemblaient. Avec un tour et des coques jaunes, il aurait pu s’appeler Mamette, lui aussi. Seulement, la vraie Mamette avait dû beaucoup pleurer dans sa vie, et elle était encore plus ridée que l’autre. Comme l’autre aussi, elle avait près d’elle une enfant de l’orphelinat, petite garde en pèlerine bleue, qui ne la quittait jamais; et de voir ces vieillards protégés par ces orphelines, c’était ce qu’on peut imaginer de plus touchant.

En entrant, Mamette avait commencé par me faire une grande révérence, mais d’un mot le vieux lui coupa sa révérence en deux:

«C’est l’ami de Maurice…»

Aussitôt la voilà qui tremble, qui pleure, perd son mouchoir, qui devient rouge, toute rouge, encore plus rouge que lui… Ces vieux! ça n’a qu’une goutte de sang dans les veines, et à la moindre émotion, elle leur saute au visage…

«Vite, vite, une chaise… dit la vieille à sa petite.

– Ouvre les volets…», crie le vieux à la sienne.

Et, me prenant chacun par une main, ils m’emmenèrent en trottinant jusqu’à la fenêtre, qu’on a ouverte toute grande pour mieux me voir. On approche les fauteuils, Je m’installe entre les deux sur un pliant, les petites bleues derrière nous, et l’interrogatoire commence:

«Comment va-t-il? Qu’est-ce qu’il fait? Pourquoi ne vient-il pas? Est-ce qu’il est content?…»

Et patati! et patata! Comme cela pendant des heures.

Moi, je répondais de mon mieux à toutes leurs questions, donnant sur mon ami les détails que je savais, inventant effrontément ceux que je ne savais pas, me gardant surtout d’avouer que je n’avais jamais remarqué si ses fenêtres fermaient bien ou de quel couleur était le papier de sa chambre.

«Le papier de sa chambre il est bleu, madame, bleu clair, avec des guirlandes…

– Vraiment?» faisait la pauvre vieille attendrie; et elle ajoutait en se tournant vers son mari:

«C’est un si brave enfant!

– Oh! oui, c’est un brave enfant!» reprenait l’autre avec enthousiasme.

Et, tout le temps que je parlais, c’étaient entre eux des hochements de tête de petits rires fins, des clignements d’yeux, des airs entendus, ou bien encore le vieux qui se rapprochait pour me dire.

«Parlez plus fort… Elle a l’oreille un peu dure.»

Et elle de son côté:

«Un peu plus haut, je vous prie!… Il n’entend pas très bien…»

Alors j’élevais la voix – et tous deux me remerciaient d’un sourire; et dans ces sourires fanés qui se penchaient vers moi, cherchant jusqu’au fond de mes yeux l’image de leur Maurice, moi, j’étais tout ému de la retrouver cette image, vague, voilée, presque insaisissable, comme si je voyais mon ami me sourire, très loin, dans un brouillard.

Tout à coup, le vieux se dresse sur son fauteuil:

«Mais j’y pense, Mamette… il n’a peut-être pas déjeuné!»

Et Mamette, effarée, les bras au ciel:

«Pas déjeuné!… Grand Dieu!»

Je croyais qu’il s’agissait encore de Maurice, et j’allais répondre que ce brave enfant n’attendait jamais plus tard que midi pour se mettre à table. Mais non, c’était bien de moi qu’on parlait; et il faut voir quel branle-bas quand j’avouai que j’étais encore à jeun:

«Vite le couvert, petites bleues! La table au milieu de la chambre, la nappe du dimanche, les assiettes à fleurs. Et ne rions pas tant, S’il vous plaît! et dépêchons-nous…»

Je crois bien qu’elles se dépêchaient. A peine le temps de casser trois assiettes, le déjeuner se trouva servi.

«Un bon petit déjeuner! me disait Mamette en me conduisant à table; seulement, vous serez tout seul… Nous autres, nous avons déjà mangé ce matin.»

Ces pauvres vieux! à quelque heure qu’on les prenne, ils ont toujours mangé le matin.

Le bon petit déjeuner de Mamette, c’était deux doigts de lait, des dattes et une barquette, quelque chose comme un échaudé; de quoi la nourrir elle et ses canaris au moins pendant huit jours… Et dire qu’à moi seul je vins à bout de toutes ces provisions!… Aussi quelle indignation autour de la table! Comme les petites bleues chuchotaient en se poussant du coude, et là-bas, au fond de leur cage, comme les canaris avaient l’air de se dire:

«Oh! ce monsieur qui mange toute la barquette

Je la mangeait toute, en effet, et presque sans m’en apercevoir, occupé que j’étais à regarder autour de moi dans cette chambre claire et paisible où flottait comme une odeur de choses anciennes… Il y avait surtout deux petits lits dont je ne pouvais pas détacher mes yeux. Ces lits, presque deux berceaux, je me les figurais le matin, au petit jour, quand ils sont encore enfouis sous leurs grands rideaux à franges. Trois heures sonnent. C’est l’heure où tous les vieux se réveillent:

«Tu dors, Mamette?

– Non, mon ami.

– N’est-ce pas que Maurice est un brave enfant?

– Oh! oui, c’est un brave enfant.»

Et j’imaginais comme cela toute une causerie, rien que pour avoir vu ces deux petits lits de vieux, dressés l’un à côté de l’autre…

Pendant ce temps, un drame terrible se passait à l’autre bout de la chambre, devant l’armoire. Il s’agissait d’atteindre là-haut, sur le dernier rayon, certain bocal de cerises à l’eau-de-vie qui attendait Maurice depuis dix ans et dont on voulait me faire l’ouverture. Malgré les supplications de Mamette, le vieux avait tenu à aller chercher ses cerises lui-même; et, monté sur une chaise un grand effroi de sa femme, il essayait d’arriver là-haut… Vous voyez le tableau d’ici, le vieux qui tremble et qui se hisse, les petites bleues cramponnées à sa chaise, Mamette derrière lui haletante, les bras tendus, et sur tout cela un léger parfum de bergamote qui s’exhale de l’armoire ouverte et des grandes piles de linge roux… C’était charmant.