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Qui, en combattant pour la Foi du Christ, avait été mis en grand danger de mort. Le Saint lui enleva toute inquiétude, et lui promit de guérir entièrement Olivier. Se trouvant dépourvu d’onguent, ignorant du reste l’art de la médecine tel que le pratiquent les hommes, il alla à l’église; puis, après avoir prié le Sauveur, il en ressortit plein de confiance;

Et, au nom des trois Personnes éternelles, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, il donna la bénédiction à Olivier. Ô pouvoir que donne le Christ à qui croit en lui! le vieillard fit cesser complètement les souffrances du chevalier, et lui remit le pied en bon état et plus vigoureux, plus alerte que jamais. Sobrin fut témoin de ce miracle.

Sobrin souffrait tellement de ses blessures, que chaque jour il se sentait plus mal. À peine a-t-il vu le grand et manifeste miracle du saint moine, qu’il se décide à laisser de côté Mahomet et à confesser le Christ comme le Dieu vivant et tout-puissant. D’un cœur consumé par la foi, il demande à être initié à notre rite sacré.

L’homme juste le baptise et, par ses prières, lui rend toute sa vigueur première. Roland et les autres chevaliers ne montrent pas moins de joie d’une telle conversion, que de voir Olivier hors de péril. Roger en eut plus de joie que les autres, et sa foi et sa dévotion ne firent que s’en accroître.

Roger était resté sur cet écueil depuis le jour où il y avait abordé à la nage. Au milieu de ces guerriers, le pieux vieillard allait et venait plein de douceur, et les réconfortait entre temps dans le désir de traverser, purs de toute fange et de toute souillure, ce défilé mortel du monde qu’on appelle la vie, et qui plaît tant aux sots. Il leur disait d’avoir sans cesse les yeux fixés sur le chemin du ciel.

Roland envoya un de ses gens sur le navire, et en fit rapporter du pain, du bon vin, du fromage et du jambon, et à l’homme de Dieu qui en avait oublié le goût, habitué qu’il était à ne se nourrir que de fruits, on fit manger par charité de la viande, boire du vin, faire en un mot comme tous les autres. Quand ils se furent restaurés, ils causèrent entre eux de beaucoup de choses.

Et comme il arrive souvent qu’en parlant, une chose en amène une autre, Roger finit par être reconnu par Renaud, par Olivier, par Roland, pour être ce Roger si excellent sous les armes, et dont la vaillance était l’objet des éloges de tous. Renaud ne l’avait pas reconnu, bien qu’il se fût déjà mesuré avec lui dans la lice.

Le roi Sobrin l’avait bien reconnu dès qu’il l’avait vu venir avec le vieillard, mais, de peur de le compromettre, il avait cru devoir rester muet. Mais quand chacun eut appris que c’était lui ce Roger dont l’audace, la générosité et la grande vaillance étaient renommées dans le monde entier,

Quand ils surent qu’il était déjà chrétien, ils vinrent tous à lui, le visage joyeux et ouvert; qui lui serre la main, qui le baise, qui le serre dans ses bras. Le seigneur de Montauban lui fait plus de caresses, et lui témoigne plus de considération que tous les autres. Je me réserve de vous dire pourquoi dans l’autre chant, si vous voulez bien venir m’écouter.

Chant XLIV

ARGUMENT. – Les cinq guerriers se lient d’une fraternelle amitié. Renaud, tenant Roger en grande estime, et sur les conseils de l’ermite, lui promet la main de sa sœur Bradamante. De là, ils s’en vont à Marseille, où arrive en même temps Astolphe, qui a licencié son armée de Nubiens, et rendu sa flotte à son premier état de feuilles. Les paladins et Sobrin sont magnifiquement accueillis par Charles dans Paris, mais la joie générale est troublée par le refus du duc Aymon et de sa femme Béatrice de consentir à l’union de Roger et de Bradamante, celle-ci ayant été déjà fiancée par eux à Léon, fils de l’empereur des Grecs. Roger prend ses armes et, plein de haine contre Léon, il se transporte au camp des Bulgares qui sont en guerre avec les Grecs. Il défait ces derniers, puis va loger dans une hôtellerie qu’il ignore être située sur les terres de l’empire grec. Il y est dénoncé comme l’auteur du désastre éprouvé par les Grecs.

Souvent dans les pauvres demeures et sous le toit des petits, au milieu des calamités et des disgrâces, les âmes se lient plus étroitement d’amitié qu’au sein des cours et des palais splendides, d’où les richesses envieuses et les intrigues pleines d’embûches et de soupçons ont complètement banni la charité, et où l’on ne voit jamais qu’amitié feinte.

De là vient que les conventions et les traités entre les princes et seigneurs sont si fragiles. Aujourd’hui, rois, papes et empereurs font alliance; demain, ils seront ennemis mortels. Ils n’ont en effet que l’apparence extérieure de l’amitié; leurs cœurs, leurs âmes ne battent pas à l’unisson. Peu leur importe d’avoir tort ou raison; ils ne considèrent uniquement que leur intérêt.

Cependant, bien qu’ils soient peu capables d’amitié, habitués qu’ils sont à tout traiter avec dissimulation, les choses graves aussi bien que les choses légères, si la fortune acerbe et félonne les a par hasard rassemblés dans un lieu modeste, ils éprouvent en peu de temps les bienfaits de l’amitié, ce qui ne leur était jamais arrivé pendant de longues années.

Le saint vieillard eut bien moins de peine à enserrer d’un nœud d’amitié solide les hôtes de sa pauvre demeure, que s’ils eussent été à la cour d’un roi. Le lien dont il les unit fut tellement fort, qu’il ne se brisa qu’à leur mort. Le vieillard les trouva tous bons, et put comparer la blancheur de leur âme à la blancheur extérieure des cygnes.

Il les trouva tous affables et courtois, et fort éloignés de ce vice, dont je viens de vous parler, habituel à ceux qui ne disent jamais leur pensée véritable, mais vont toujours dissimulant. Le souvenir de toutes les offenses qu’ils avaient pu se faire jusque-là les uns les autres fut effacé entre eux, et ils auraient eu la même mère, qu’ils n’auraient pu s’aimer tous davantage.

Par-dessus tous les autres, le seigneur de Montauban était celui qui comblait le plus Roger de louanges et de caresses. Non seulement il avait déjà éprouvé les armes à la main sa force et sa vaillance, mais il le trouvait affable et bon plus que chevalier qui fût au monde. Il n’ignorait pas surtout qu’il lui avait de grandes obligations.

Il savait qu’il avait délivré d’un grave péril Richardet surpris la nuit par le roi d’Espagne dans le lit de sa fille; il savait aussi, comme je vous l’ai déjà raconté, qu’il avait tiré les deux fils du duc de Beuves des mains des Sarrasins et des malandrins aux ordres du Mayençais Bertolas.

Cette dette lui faisait un devoir de l’aimer et de l’honorer, et il avait un vrai chagrin de ne pas avoir pu le faire déjà quand ils étaient l’un à la cour du roi d’Afrique, l’autre au service du roi Charles. Maintenant qu’il l’a retrouvé, et qu’il est devenu chrétien, Renaud est heureux de faire ce qu’il n’a pu faire encore.

Le paladin courtois combla Roger d’offres et de caresses. L’ermite avisé saisit avec empressement l’occasion de cette affection naissante; il leur dit: «Il reste encore quelque chose à faire entre vous, et j’espère l’obtenir sans difficulté, maintenant que vous êtes amis. Les liens doivent encore se resserrer entre vous,

» Afin que de deux races illustres, et qui n’ont pas leur égale dans le monde, naisse une lignée qui jette encore plus d’éclat que le soleil quand il poursuit son cours, et qui, brillant toujours d’un lustre de plus en plus vif, durera – selon ce que Dieu, qui ne veut rien vous celer, me le dévoile – tant que les cieux rouleront dans leur orbite habituel.»