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Au-dessus de cette cellule s’élève une petite chapelle tournée du côté de l’Orient, fort bien distribuée et très belle. Au-dessous, un bois de lauriers, de genévriers, de myrtes et de palmiers chargés de fruits, descend jusqu’à la mer. Ce bois est arrosé par un ruisseau toujours limpide, qui tombe en murmurant du sommet de la montagne.

Il y avait près de quarante ans que l’ermite s’était établi sur l’écueil. Le Sauveur lui avait indiqué ce lieu comme très favorable à une vie solitaire et sainte. Les fruits des divers arbres et l’eau pure avaient soutenu sa vie, et il était parvenu à sa quatre-vingtième année en se conservant valide et robuste, et sans avoir jamais été malade.

Rentré dans la cellule, le vieillard alluma le feu, et chargea sa table de fruits variés avec lesquels Roger restaura un peu ses forces, après avoir fait sécher ses vêtements et ses cheveux. Là il apprit plus commodément tous les grands mystères de notre Foi, et, le jour suivant, il fut baptisé avec l’eau pure du ruisseau, par le vieillard lui-même.

Roger se trouvait très satisfait de ce séjour, d’autant plus que le bon serviteur de Dieu lui avait annoncé son intention de le renvoyer au bout de quelques jours là où il avait le plus grand désir d’aller. En attendant, il l’entretenait souvent de beaucoup de choses, tantôt du royaume de Dieu, tantôt de ses propres aventures, tantôt enfin de ses futurs descendants.

Le Seigneur, qui entend et qui voit tout, avait révélé au saint ermite que Roger, à partir du jour où il embrasserait la Foi, devait vivre sept années encore, et non davantage, et qu’à cause de la mort que sa dame avait donnée à Pinabel, mort qu’on lui attribuait, et aussi à cause du meurtre de Bertolas, il serait assassiné par les Mayençais impitoyables et malfaisants;

Et que cet acte de trahison resterait si caché, que le bruit n’en transpirerait pas au dehors, la victime devant être enterrée sur le lieu même où elle serait tombée sous les coups de la race félonne. C’est pourquoi la mort de Roger ne serait vengée que fort tard par sa sœur et par son épouse fidèle, après que celle-ci, portant un enfant dans son sein, aurait longuement cherché son époux.

Entre l’Adige et la Brenta, au pied des collines qui plurent tant au Troyen Anténor avec leurs veines de soufre, leurs douces rives, leurs gras sillons et leurs prairies agréables, qu’il oublia pour elles le sublime Ida, son regretté Ascagne et son cher Xante, Bradamante accoucherait au milieu des forêts voisines du froid Ateste.

L’enfant mis par elle au monde, et nommé aussi Roger, croîtrait en beauté et en vaillance, serait reconnu par ces Troyens comme étant de leur sang, et élu par eux pour leur prince. Plus tard, ayant prêté son concours à Charles contre les Lombards, il recevrait, malgré sa jeunesse, le gouvernement de ce beau pays, et serait honoré du titre de marquis.

Et Charles, au moment où il octroierait cette faveur, ayant dit en latin: Este seigneurs là, ce beau lieu serait depuis ce temps appelé Este, en supprimant les deux premières lettres de son ancien nom d’Ateste. Dieu avait encore prédit à son serviteur l’âpre vengeance que l’on tirerait de la mort de Roger.

Il lui avait révélé que Roger apparaîtrait dans une vision à sa fidèle épouse, qu’il lui dirait par qui il avait été mis à mort, et lui montrerait l’endroit où gisait son corps. Qu’alors Bradamante, accompagnée de sa vaillante belle-sœur, détruirait par le fer et le feu tous ceux de la maison de Poitiers, et que son fils Roger, parvenu à un certain âge, en ferait autant pour les Mayençais.

Il lui avait parlé des Azzons, des Alberti, des Obbizons et de leur belle postérité, jusqu’à Nicolo, Leonello, Borso, Hercule, Alphonse, Hippolyte et Isabelle. Mais le saint vieillard, qui sait retenir sa langue, ne dit pas tout ce qu’il connaît; il ne raconte à Roger que ce qu’il doit lui raconter, et retient ce qu’il doit garder pour lui.

Cependant Roland, Brandimart et le marquis Olivier, la lance basse, se précipitent à la rencontre du Mars sarrasin. C’est ainsi qu’on peut nommer Gradasse. Du côté opposé, leurs deux autres adversaires ont mis leurs bons destriers au galop, je veux parler du roi Agramant et du roi Sobrin. Le bruit de leur course fait retentir le rivage et la mer prochaine.

Quand ils en vinrent à s’entrechoquer, les lances volèrent en éclats jusqu’au ciel, et l’on vit la mer se soulever sous cette effroyable rumeur que l’on entendit jusqu’en France. Roland et Gradasse étaient en face l’un de l’autre. La balance aurait été égale entre eux, si la possession de Bayard n’eût constitué pour Gradasse un avantage qui le faisait paraître plus vaillant.

Bayard heurte le destrier de moindre force que monte Roland, avec une violence telle qu’il le fait ployer sur ses jarrets, et rouler tout de son long sur le sol. Roland s’efforce à trois ou quatre reprises de le relever avec les éperons et avec la bride. Quand il voit qu’il ne peut y parvenir, il met pied à terre, embrasse son écu, et tire Balisarde.

Olivier se rencontre avec le roi d’Afrique; l’avantage reste égal pour tous les deux. Quant à Brandimart, il fait vider les arçons à Sobrin, mais on n’a jamais su bien clairement si ce fut la faute du cheval ou du cavalier, car désarçonner Sobrin était chose rare. Que ce fût la faute de son destrier ou la sienne, Sobrin se trouva à bas de son cheval.

Brandimart, voyant le roi Sobrin par terre, ne le pressa pas davantage, et se porta contre le roi Gradasse qui avait aussi abattu Roland. Entre le marquis et Agramant, le combat continue dans les mêmes conditions où il avait été commencé. Après avoir rompu leurs lances sur les écus, ils sont revenus à la charge l’épée nue à la main.

Roland, qui voit Gradasse dans l’impossibilité de revenir sur lui, tellement Brandimart le serre et le harcèle, regarde autour de lui, et aperçoit Sobrin qui n’a personne à combattre. Il s’avance à sa rencontre, et sa démarche, son aspect terrible, font trembler le ciel.

Sobrin, qui voit venir l’attaque d’un tel guerrier, assure ses armes et s’apprête à le recevoir. De même que le nocher, menacé par les flots énormes qui se précipitent sur lui en mugissant, leur oppose la proue de son navire, et, voyant la mer s’élever si haut, regrette de n’être point à l’abri sur le rivage, Sobrin oppose son bouclier aux coups de l’épée de Falérine.

Balisarde est d’une trempe tellement fine, qu’aucune arme ne peut l’arrêter. Puis elle est entre les mains d’un guerrier si vaillant, entre les mains de Roland, unique au monde! Elle fend l’écu de Sobrin sans être arrêtée par les cercles d’acier dont cet écu est protégé; elle fend l’écu et retombe sur l’épaule du vieux chevalier.

Elle retombe sur l’épaule, et bien qu’elle rencontre le double obstacle de la cuirasse et de la cotte de mailles, elle continue sa route et ouvre dans l’épaule une large plaie. Sobrin riposte, mais c’est en vain qu’il essaye de blesser Roland auquel, par grâce spéciale, le Moteur du ciel et des étoiles a accordé le don de ne pouvoir jamais avoir la peau trouée.

Le valeureux comte porte un second coup à Sobrin dans l’intention de lui enlever la tête des épaules. Sobrin qui connaît la vigueur du prince de Clermont, et qui sait combien peu lui servirait de lui opposer son écu, se recule vivement, mais pas assez pour éviter de recevoir sur le front le coup de Balisarde. Le coup tombe à plat, mais d’une telle force, qu’il aplatit le casque de Sobrin, et étourdit le malheureux chevalier.