Изменить стиль страницы

Ainsi dit Bovdug, et il se tut; et tous les Cosaques se réjouirent de ce que le vieux les avait ainsi mis dans la bonne voie. Tous jetèrent leurs bonnets en l'air, en criant:

– Merci, père! il s'est tu, il s'est tu longtemps; et voilà qu'enfin il a parlé. Ce n'est pas en vain qu'au moment de se mettre en campagne il disait qu'il serait utile à la chevalerie cosaque. Il l'a fait comme il l'avait dit.

– Eh bien? consentez-vous à cela? demanda le kochévoï.

– Nous consentons tous! crièrent les Cosaques.

– Ainsi l'assemblée est finie?

– L'assemblée est finie! crièrent les Cosaques.

– Écoutez donc maintenant l'ordre militaire, enfants, dit le kochévoï.

Il s'avança, mit son bonnet, et tous les Zaporogues, ôtant leur bonnet, demeurèrent tête nue, les yeux baissés vers la terre, comme cela se faisait toujours parmi les Cosaques lorsqu'un ancien se préparait à parler.

– Maintenant, seigneurs frères, divisez-vous. Que celui qui veut partir, passe du côté droit; que celui qui veut rester, passe du côté gauche. Où ira la majeure partie d'un kourèn, tout le reste suivra; mais si la moindre partie persiste, qu'elle s'incorpore à d'autres kouréni.

Et ils commencèrent à passer, l'un à droite, l'autre à gauche. Quand la majeure partie d'un kourèn passait d'un côté, l'ataman du kourèn passait aussi; quand c'était la moindre partie, elle s'incorporait aux autres kouréni. Et souvent il s'en fallut peu que les deux moitiés ne fussent égales. Parmi ceux qui voulurent demeurer, se trouva presque tout le kourèn de Nésamaïko, une grande moitié du kourèn de Popovitcheff, tout le kourèn d'Oumane, tout le kourèn de Kaneff, une grande moitié du kourèn de Steblikoff, une grande moitié du kourèn de Fimocheff. Tout le reste préféra aller à la poursuite des Tatars. Des deux côtés il y avait beaucoup de bons et braves Cosaques. Parmi ceux qui s'étaient décidés à se mettre à la poursuite des Tatars, il y avait Tchérévety, le vieux Cosaque Pokotipolé, et Lémich, et Procopovitch, et Choma. Démid Popovitch était passé avec eux, car c'était un Cosaque du caractère le plus turbulent; il ne pouvait rester longtemps à une même place; ayant essayé ses forces contre les Polonais, il eut envie de les essayer contre les Tatars. Les atamans des kouréni étaient Nostugan, Pokrychka, Nevymsky; et bien d'autres fameux et braves Cosaques encore avaient eu envie d'essayer leur sabre et leurs bras puissants dans une lutte avec les Tatars. Il n'y avait pas moins de braves et de bien braves Cosaques parmi ceux qui voulurent rester, tels que les atamans Demytrovitch, Koukoubenko, Vertichvits, Balan, Boulbenko, Ostap. Après eux, il y avait encore beaucoup d'autres illustres et puissants Cosaques: Vovtousenko, Tchénitchenko, Stepan Couska, Ochrim Gouska, Mikola Gousty, Zadorojny, Métélitza, Ivan Zakroutygouba, Mosy Chilo, Degtarenko, Sydorenko, Pisarenko, puis un second Pisarenko, puis encore un Pisarenko, et encore une foule d'autres bons Cosaques. Tous avaient beaucoup marché à pied, beaucoup monté à cheval; ils avaient vu les rivages de l'Anatolie, les steppes salées de la Crimée, toutes les rivières, grandes et petites, qui se versent dans le Dniepr, toutes les anses et toutes les îles de ce fleuve. Ils avaient foulé la terre moldave, illyrienne et turque; ils avaient sillonné toute la mer Noire sur leurs bateaux cosaques à deux gouvernails; ils avaient attaqué, avec cinquante bateaux de front, les plus riches et les plus puissants vaisseaux; ils avaient coulé à fond bon nombre de galères turques, et enfin brûlé beaucoup de poudre en leur vie. Plus d'une fois ils avaient déchiré, pour s'en faire des bas, de précieuses étoffes de Damas; plus d'une fois ils avaient rempli de sequins en or pur les larges poches de leurs pantalons. Quant aux richesses que chacun d'eux avait dissipées à boire et à se divertir, et qui auraient pu suffire à la vie d'un autre homme, il n'eût pas été possible d'en dresser le compte. Ils avaient tout dissipé à la cosaque, fêtant le monde entier, et louant des musiciens pour faire danser tout l'univers. Même alors il y en avait bien peu qui n'eussent quelque trésor, coupes et vases d'argent, agrafes et bijoux, enfouis sous les joncs des îles du Dniepr, pour que le Tatar ne pût les trouver, si, par malheur, il réussissait à tomber sur la setch. Mais il eût été difficile au Tatar de dénicher le trésor, car le maître du trésor lui-même commençait à oublier en quel endroit il l'avait caché. Tels étaient les Cosaques qui avaient voulu demeurer pour venger sur les Polonais leurs fidèles compagnons et la religion du Christ. Le vieux Cosaque Bovdug avait aussi préféré rester avec eux en disant:

– Maintenant mes années sont trop lourdes pour que j'aille courir le Tatar; ici, il y a une place où je puis m'endormir de la bonne mort du Cosaque. Depuis longtemps j'ai demandé à Dieu, s'il faut terminer ma vie, que je la termine dans une guerre pour la sainte cause chrétienne. Il m'a exaucé. Nulle part une plus belle mort ne viendra pour le vieux Cosaque.

Quand ils se furent tous divisés et rangés sur deux files, par kourèn, le kochévoï passa entre les rangs, et dit:

– Eh bien! seigneurs frères, chaque moitié est-elle contente de l'autre?

– Tous sont contents, père, répondirent les Cosaques.

– Embrassez-vous donc, et dites-vous adieu l'un à l'autre, car Dieu sait s'il vous arrivera de vous revoir en cette vie. Obéissez à votre ataman, et faites ce que vous savez vous-mêmes; vous savez ce qu'ordonne l'honneur cosaque.

Et tous les Cosaques, autant qu’il y en avait, s'embrassèrent réciproquement, ce furent les deux atamans qui commencèrent; après avoir fait glisser dans les doigts leurs moustaches grises, ils se donnèrent l'accolade sur les deux joues; puis, se prenant les mains avec force, ils voulurent se demander l'un à l'autre:

– Eh bien! seigneur frère, nous reverrons-nous ou non?

Mais ils se turent, et les deux têtes grises s'inclinèrent pensives. Et tous les Cosaques, jusqu'au dernier, se dirent adieu, sachant qu'il y aurait; beaucoup de besogne à faire pour les uns et pour les autres. Mais ils résolurent de ne pas se séparer à l'instant même, et d'attendre l'obscurité de la nuit pour ne pas laisser voir à l'ennemi la diminution de l'armée. Cela fait, ils allèrent dîner, groupés par kouréni. Après dîner, tous ceux qui devaient se mettre en route se couchèrent et dormirent d'un long et profond sommeil, comme s'ils eussent pressenti que c'était peut-être le dernier dont ils jouiraient aussi librement. Ils dormirent jusqu'au coucher du soleil; et quand le soir fut venu, ils commencèrent à graisser leurs chariots. Quand tout fut prêt pour le départ, ils envoyèrent les bagages en avant; eux-mêmes, après avoir encore une fois salué leurs compagnons de leurs bonnets, suivirent lentement les chariots; la cavalerie marchant en ordre, sans crier, sans siffler les chevaux, piétina doucement à la suite des fantassins, et bientôt ils disparurent dans l'ombre. Seulement le pas des chevaux retentissait sourdement dans le lointain, et quelquefois aussi le bruit d'une roue mal graissée qui criait sur l'essieu.