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Le notaire frissonna.

– Vous savez donc le crime de cette malheureuse fille, monsieur? demanda le prêtre étonné. Je ne vous croyais arrivé à Paris que depuis peu de jours?

– Sans doute, monsieur l’abbé; mais Jacques m’a tout raconté, comme à son ami, comme à son médecin; car il attribue presque à l’indignation que lui a fait éprouver le crime de Louise l’ébranlement nerveux dont il se ressent aujourd’hui… Ce n’est rien encore, mon pauvre ami devait, hélas! endurer de nouveaux coups, qui ont, vous le voyez, altéré sa santé… Une vieille servante, qui depuis bien des années lui était attachée par les sentiments de la reconnaissance…

– Mme Séraphin? dit le curé en interrompant Polidori, j’ai su la mort de cette infortunée, noyée par une malheureuse imprudence, et je comprends le chagrin de M. Ferrand; on n’oublie pas ainsi dix ans de loyaux services… de tels regrets honorent autant le maître que le serviteur.

– Monsieur l’abbé, dit le notaire, je vous en supplie, ne parlez pas de mes vertus… vous me rendez confus… cela m’est pénible.

– Et qui en parlera donc? Sera-ce toi? reprit affectueusement Polidori; mais vous allez avoir à le louer bien davantage, monsieur l’abbé: vous ignorez peut-être quelle est la servante qui a remplacé, chez Jacques, Louise Morel et Mme Séraphin? Vous ignorez enfin ce qu’il a fait pour cette pauvre Cecily… car cette nouvelle servante s’appelait Cecily, monsieur l’abbé.

Le notaire, malgré lui, fit un bond sur son siège; ses yeux flamboyèrent sous ses lunettes; une rougeur brûlante empourpra ses traits livides.

– Tais-toi… Tais-toi… s’écria-t-il en se levant à demi. Pas un mot de plus, je te le défends…

– Allons, allons, calmez-vous, dit l’abbé en souriant avec mansuétude, quelque généreuse action à révéler encore?… Quant à moi, j’approuve fort l’indiscrétion de votre ami… Je ne connais pas, en effet, cette servante, car c’est justement peu de jours après son entrée chez notre digne M. Ferrand, qu’accablé d’occupations il a été obligé, à mon grand regret, d’interrompre momentanément nos relations.

– C’était pour vous cacher la nouvelle bonne œuvre qu’il méditait, monsieur l’abbé; aussi, quoique sa modestie se révolte, il faudra bien qu’il m’entende, et vous allez tout savoir, reprit Polidori en souriant.

Jacques Ferrand se tut, s’accouda sur son bureau et cacha son front dans ses mains.

XIV La banque des pauvres

– Imaginez-vous donc, monsieur l’abbé, reprit Polidori en s’adressant au curé, mais en accentuant, pour ainsi dire, chaque phrase par un coup d’œil ironique jeté à Jacques Ferrand, imaginez-vous que mon ami trouva dans sa nouvelle servante, qui, je vous l’ai déjà dit, s’appelait Cecily, les meilleures qualités… une grande modestie… une douceur angélique… et surtout beaucoup de piété. Ce n’est pas tout. Jacques, vous le savez, doit à sa longue pratique des affaires une pénétration extrême; il s’aperçut bientôt que cette jeune femme, car elle était jeune et fort jolie, monsieur l’abbé, que cette jeune et jolie femme n’était pas faite pour l’état de servante, et qu’à des principes… vertueusement austères… elle joignait une instruction solide et des connaissances… très-variées.

– En effet, ceci est étrange, dit l’abbé fort intéressé. J’ignorais complètement ces circonstances… Mais qu’avez-vous, mon bon monsieur Ferrand? vous semblez plus souffrant…

– En effet, dit le notaire en essuyant la sueur froide qui coulait sur son front, car la contrainte qu’il s’imposait était atroce, j’ai un peu de migraine… mais cela passera.

Polidori haussa les épaules en souriant.

– Remarquez, monsieur l’abbé, ajouta-t-il, que Jacques est toujours ainsi lorsqu’il s’agit de dévoiler quelqu’une de ses charités cachées; il est si hypocrite au sujet du bien qu’il fait! Heureusement me voici: justice éclatante lui sera rendue. Revenons à Cecily. À son tour, elle eut bientôt deviné l’excellence du cœur de Jacques; et, lorsque celui-ci l’interrogea sur le passé, elle lui avoua naïvement qu’étrangère, sans ressources et réduite, par l’inconduite de son mari, à la plus humble des conditions, elle avait regardé comme un coup du ciel de pouvoir entrer dans la sainte maison d’un homme aussi vénérable que M. Ferrand. À la vue de tant de malheur, de résignation, de vertu, Jacques n’hésita pas; il écrivit au pays de cette infortunée pour avoir sur elle quelques renseignements, ils furent parfaits et confirmèrent la réalité de tout ce qu’elle avait raconté à notre ami; alors, sûr de placer justement son bienfait, Jacques bénit Cecily comme un père, la renvoya dans son pays avec une somme d’argent qui lui permettait d’attendre des jours meilleurs et l’occasion de trouver une condition convenable. Je n’ajouterai pas un mot de louange pour Jacques: les faits sont plus éloquents que mes paroles.

– Bien, très-bien! s’écria le curé attendri.

– Monsieur l’abbé, dit Jacques Ferrand d’une voix sourde et brève, je ne voudrais pas abuser de vos précieux moments, ne parlons plus de moi, je vous en conjure, mais du projet pour lequel je vous ai prié de venir ici, et à propos duquel je vous ai demandé votre bienveillant concours.

– Je conçois que les louanges de votre ami blessent votre modestie; occupons-nous donc de vos nouvelles bonnes œuvres, et oublions que vous en êtes l’auteur; mais avant, parlons de l’affaire dont vous m’avez chargé. J’ai, selon votre désir, déposé à la Banque de France, et sous mon nom, la somme de cent mille écus destinés à la restitution dont vous êtes l’intermédiaire, et qui doit s’opérer par mes mains. Vous avez préféré que ce dépôt ne restât pas chez vous, quoique pourtant il y eût été, ce me semble, aussi sûrement placé qu’à la banque.

– En cela, monsieur l’abbé, je me suis conformé aux intentions de l’auteur inconnu de cette restitution; il agit ainsi pour le repos de sa conscience. D’après ses vœux, j’ai dû vous confier cette somme, et vous prier de la remettre à Mme veuve de Fermont, née de Renneville (la voix du notaire trembla légèrement en prononçant ces noms), lorsque cette dame se présenterait chez vous en justifiant de sa possession d’état.

– J’accomplirai la mission dont vous me chargez, dit le prêtre.

– Ce n’est pas la dernière, monsieur l’abbé.

– Tant mieux, si les autres ressemblent à celle-ci; car sans vouloir rechercher les motifs qui l’imposent, je suis toujours touché d’une restitution volontaire; ces arrêts souverains, que la seule conscience dicte et qu’on exécute fidèlement et librement dans son for intérieur, sont toujours l’indice d’un repentir sincère, et ce n’est pas une expiation stérile que celle-là.

– N’est-ce pas, monsieur l’abbé? Cent mille écus restitués d’un coup, c’est rare; moi, j’ai été plus curieux que vous; mais que pouvait ma curiosité contre l’inébranlable discrétion de Jacques? Aussi, j’ignore encore le nom de l’honnête homme qui faisait cette noble restitution.

– Quel qu’il soit, dit l’abbé, je suis certain qu’il est placé très-haut dans l’estime de M. Ferrand.