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– Mais que de risques vous avez courus… vous courez encore!

– Qu’est-ce que je risquais? De n’être pas conduit à la Force, où vous étiez, c’est vrai… Mais je comptais sur la protection de M. Rodolphe pour me faire changer de prison et vous rejoindre; un seigneur comme lui, ça peut tout. Et une fois que j’aurais été coffré, il aurait autant aimé que ça vous serve à quelque chose.

– Mais au jour de votre jugement?

– Eh bien! je prierai M. Murph de m’envoyer la malle; je reprendrai devant le juge ma perruque noire, mes lunettes bleues, ma bosse, et je redeviendrai M. Grégoire pour le portier qui m’a loué la chambre, pour les marchands qui m’ont vendu, voilà pour le volé… Si on veut revoir le voleur, je quitterai ma défroque, et il sera clair comme le jour que le voleur et le volé ça fait, au total, le Chourineur, ni plus ni moins. Alors que diable voulez-vous qu’on me fasse, quand il sera prouvé que je me volais moi-même?

– En effet, dit Germain plus rassuré. Mais puisque vous me portiez tant d’intérêt, pourquoi ne m’avez-vous rien dit en entrant dans la prison?

– J’ai tout de suite su le complot qu’on avait fait contre vous, j’aurais pu le dénoncer avant que Pique-Vinaigre eût commencé ou fini son histoire; mais dénoncer même des bandits pareils, ça ne m’allait pas… j’ai mieux aimé ne m’en fier qu’à ma poigne… pour vous arracher des pattes du Squelette. Et puis quand je l’ai vu, ce brigand-là, je me suis dit: «Voilà une fameuse occasion de me rappeler la grêle de coups de poing de M. Rodolphe, auxquels j’ai dû l’honneur de sa connaissance.»

– Mais si tous les détenus avaient pris parti contre vous seul, qu’auriez-vous pu faire?

– Alors j’aurais crié comme un aigle et appelé au secours! Mais ça m’allait mieux de faire ma petite cuisine moi-même, pour pouvoir dire à M. Rodolphe: «Il n’y a que moi qui me suis mêlé de la chose… j’ai défendu et je défendrai votre jeune homme, soyez tranquille.»

À ce moment le gardien rentra brusquement dans la chambre.

– Monsieur Germain, venez vite, vite chez M. le directeur… il veut vous parler à l’instant même. Et vous, Chourineur, mon garçon, descendez à la Fosse-aux -lions… Vous serez prévôt, si cela vous convient; car vous avez tout ce qu’il faut pour remplir ces fonctions… et les détenus ne badineront pas avec un gaillard de votre espèce.

– Ça me va tout de même… autant être capitaine que soldat pendant qu’on y est.

– Refuserez-vous encore ma main? dit cordialement Germain au Chourineur.

– Ma foi non… monsieur Germain, ma foi non; je crois que maintenant je peux me permettre ce plaisir-là, et je vous la serre de bon cœur.

– Nous nous reverrons… car me voici sous votre protection… je n’aurai plus rien à craindre, et de ma cellule je descendrai chaque jour au préau.

– Soyez calme: si je le veux, on ne vous parlera qu’à quatre pattes. Mais j’y songe, vous savez écrire… mettez sur le papier ce que je viens de vous raconter, et envoyez l’histoire à M. Rodolphe; il saura qu’il n’a plus à être inquiet de vous, et que je suis ici pour le bon motif, car s’il apprenait autrement que le Chourineur a volé et qu’il ne connaisse pas le dessous des cartes… tonnerre!… ça ne m’irait pas…

– Soyez tranquille… ce soir même je vais écrire à mon protecteur inconnu; demain vous me donnerez son adresse et la lettre partira. Adieu encore, merci, mon brave!

– Adieu, monsieur Germain; je vas retourner auprès de ces tas de gueux… dont je suis prévôt… il faudra bien qu’ils marchent droit, ou sinon, gare dessous!…

– Quand je songe qu’à cause de moi vous allez vivre quelque temps encore avec ces misérables…

– Qu’est-ce que ça me fait? Maintenant il n’y a pas de risque qu’ils déteignent sur moi… M. Rodolphe m’a trop bien lessivé; je suis assuré contre l’incendie.

Et le Chourineur suivit le gardien.

Germain entra chez le directeur.

Quelle fut sa surprise!… Il y trouva Rigolette…

Rigolette pâle, émue, les yeux baignés de larmes, et pourtant souriant à travers ses pleurs… Sa physionomie exprimait un ressentiment de joie, de bonheur inexprimable.

– J’ai une bonne nouvelle à vous apprendre, monsieur, dit le directeur à Germain. La justice vient de déclarer qu’il n’y avait pas lieu à suivre contre vous. Par suite du désistement et surtout des explications de la partie civile, je reçois l’ordre de vous mettre immédiatement en liberté.

– Monsieur… que dites-vous? Il serait possible!

Rigolette voulut parler; sa trop vive émotion l’en empêcha; elle ne put que faire à Germain un signe de tête affirmatif en joignant les mains.

– Mademoiselle est arrivée ici peu de moments après que j’ai reçu l’ordre de vous mettre en liberté, ajouta le directeur. Une lettre de toute-puissante recommandation, qu’elle m’apportait, m’a appris le touchant dévouement qu’elle vous a témoigné pendant votre séjour en prison, monsieur. C’est donc avec un vif plaisir que je vous ai envoyé chercher, certain que vous serez très-heureux de donner votre bras à mademoiselle pour sortir d’ici!

– Un rêve!… non, c’est un rêve! dit Germain. Ah! monsieur… que de bontés!… Pardonnez-moi si la surprise… la joie… m’empêchent de vous remercier comme je le devrais…

– Et moi donc, monsieur Germain, je ne trouve pas un mot à dire, reprit Rigolette; jugez de mon bonheur: en vous quittant, je trouve l’ami de M. Rodolphe qui m’attendait.

– Encore M. Rodolphe! dit Germain étonné.

– Oui, maintenant on peut tout vous dire, vous saurez cela; M. Murph me dit donc: «Germain est libre, voilà une lettre pour M. le directeur de la prison; quand vous arriverez, il aura reçu l’ordre de mettre Germain en liberté et vous pourrez l’emmener.» Je ne pouvais croire ce que j’entendais et pourtant c’était vrai. Vite, vite, je prends un fiacre… j’arrive… et il est en bas qui nous attend.

Nous renonçons à peindre le ravissement des deux amants lorsqu’ils sortirent de la Force, la soirée qu’ils passèrent dans la petite chambre de Rigolette, que Germain quitta à onze heures pour gagner un modeste logement garni.

Résumons en peu de mots les idées pratiques ou théoriques que nous avons tâché de mettre en relief dans cet épisode de la vie de prison.

Nous nous estimerions très-heureux d’avoir démontré:

L’insuffisance, l’impuissance et le danger de la réclusion en commun…

Les disproportions qui existent entre l’appréciation et la punition de certains crimes (le vol domestique, le vol avec effraction) et celle de certains délits (les abus de confiance)…

Et enfin l’impossibilité matérielle où sont les classes pauvres de jouir du bénéfice des lois civiles [41].