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Le docteur promit à M. de Saint-Remy, de plus en plus intéressé à la Goualeuse, de revenir le soir même la visiter.

Martial partit pour Paris avec François et Amandine, la Louve n’ayant pas voulu quitter Fleur-de-Marie avant de la voir hors de danger.

L’île du Ravageur resta déserte.

Nous retrouverons bientôt ses sinistres habitants chez Bras-Rouge, où ils doivent se réunir à la Chouette pour le meurtre de la courtière en diamants.

En attendant, nous conduirons le lecteur au rendez-vous que Tom, le frère de Sarah, avait donné à l’horrible mégère complice du Maître d’école.

IV Le portrait

Moitié serpent et moitié chat…

WOLFGANG, livre II

Thomas Seyton, frère de la comtesse Sarah Mac-Gregor, se promenait impatiemment sur l’un des boulevards voisins de l’Observatoire, lorsqu’il vit arriver la Chouette.

L’horrible vieille était coiffée d’un bonnet blanc et enveloppée de son grand tartan rouge; la pointe d’un stylet rond comme une grosse plume et très-acéré ayant traversé le fond du large cabas de paille qu’elle portait au bras, on pouvait voir saillir l’extrémité de cette arme homicide qui avait appartenu au Maître d’école.

Thomas Seyton ne s’aperçut pas que la Chouette était armée.

– Trois heures sonnent au Luxembourg, dit la vieille. J’arrive comme mars en carême… j’espère.

– Venez, lui répondit Thomas Seyton. Et marchant devant elle il traversa quelques terrains vagues, entra dans une ruelle déserte située près de la rue Cassini, s’arrêta vers le milieu de ce passage barré par un tourniquet, ouvrit une petite porte, fit signe à la Chouette de le suivre, et, après avoir fait quelques pas avec elle dans une épaisse allée d’arbres verts, il lui dit:

– Attendez là.

Et il disparut.

– Pourvu qu’il ne me fasse pas droguer trop longtemps, dit la Chouette; il faut que je sois chez Bras-Rouge à cinq heures avec les Martial pour estourbir la courtière. À propos de ça, et mon surin ! Ah! le gueux! il a le nez à la fenêtre, ajouta la vieille en voyant la pointe du poignard traverser les tresses de son cabas. Voilà ce que c’est de ne lui avoir pas mis son bouchon…

Et, retirant du cabas le stylet emmanché d’une poignée de bois, elle le plaça de façon à le cacher complètement.

– C’est l’outil de Fourline, reprit-elle. Est-ce qu’il ne me le demandait pas, censé pour tuer les rats qui viennent lui faire des risettes dans sa cave?… Pauvres bêtes! plus souvent… Ils n’ont que le vieux sans yeux pour se divertir et leur tenir compagnie! C’est bien le moins qu’ils le grignotent un peu… Aussi je ne veux pas qu’il leur fasse du mal à ces ratons, et je garde le surin… D’ailleurs j’en aurai besoin tantôt pour la courtière peut-être… Trente mille francs de diamants!… Quelle part à chacun de nous! La journée sera bonne… c’est pas comme l’autre jour ce brigand de notaire que je croyais rançonner. Ah bien! oui… j’ai eu beau le menacer, s’il ne me donnait pas d’argent, de dénoncer que c’était sa bonne qui m’avait fait remettre la Goualeuse par Tournemine quand elle était toute petite, rien ne l’a effrayé. Il m’a appelé vieille menteuse et m’a mise à la porte… Bon, bon! je ferai écrire une lettre anonyme à ces gens de la ferme où était allée la Pégriotte pour leur apprendre que c’est le notaire qui l’a fait abandonner autrefois… Ils connaissent peut-être sa famille, et quand elle sortira de Saint-Lazare, ça chauffera pour ce gredin de Jacques Ferrand… Mais on vient… Tiens… c’est la petite dame pâle qui était déguisée en homme au tapis-franc de l’ogresse avec le grand de tout à l’heure, les mêmes que nous avons volés nous deux Fourline dans les décombres, près Notre-Dame, ajouta la Chouette en voyant Sarah paraître à l’extrémité de l’allée. C’est encore quelque coup à monter; ça doit être au compte de cette petite dame-là que nous avons enlevé la Goualeuse à la ferme. Si elle paie bien, pour du nouveau, ça me chausse encore.

En approchant de la Chouette, qu’elle revoyait pour la première fois depuis la scène du tapis-franc, la physionomie de Sarah exprima ce dédain, ce dégoût que ressentent les gens d’un certain monde, lorsqu’ils sont obligés d’entrer en contact avec les misérables qu’ils prennent pour instruments ou pour complices.

Thomas Seyton, qui jusqu’alors avait activement servi les criminelles machinations de sa sœur, bien qu’il les considérât comme à peu près vaines, s’était refusé de continuer ce misérable rôle, consentant néanmoins à mettre pour la première et pour la dernière fois sa sœur en rapport avec la Chouette, sans vouloir se mêler des nouveaux projets qu’elles allaient ourdir.

N’ayant pu ramener Rodolphe à elle en brisant les liens ou les affections qu’elle lui croyait chers, la comtesse espérait, nous l’avons dit, le rendre dupe d’une indigne fourberie, dont le succès pouvait réaliser le rêve de cette femme opiniâtre, ambitieuse et cruelle.

Il s’agissait de persuader à Rodolphe que la fille qu’il avait eue de Sarah n’était pas morte et de substituer une orpheline à cette enfant.

On sait que Jacques Ferrand, ayant formellement refusé d’entrer dans ce complot, malgré les menaces de Sarah, s’était résolu à faire disparaître Fleur-de-Marie, autant par crainte des révélations de la Chouette que par crainte des insistances obstinées de la comtesse. Mais celle-ci ne renonçait pas à son dessein, presque certaine de corrompre ou d’intimider le notaire, lorsqu’elle se serait assurée d’une jeune fille capable de remplir le rôle dont elle voulait la charger. Après un moment de silence, Sarah dit à la Chouette:

– Vous êtes adroite, discrète et résolue?

– Adroite comme un singe, résolue comme un dogue, muette comme une tanche, voilà la Chouette, telle que le diable l’a faite, pour vous servir, si elle en était capable… et elle l’est…, répondit allègrement la vieille. J’espère que nous vous avons fameusement empaumé la jeune campagnarde, qui est maintenant clouée à Saint-Lazare pour deux bons mois.

– Il ne s’agit plus d’elle, mais d’autre chose…

– À vos souhaits, ma petite dame! Pourvu qu’il y ait de l’argent au bout de ce que vous allez me proposer, nous serons comme les deux doigts de la main.

Sarah ne put réprimer un mouvement de dégoût.

– Vous devez connaître, reprit-elle, des gens du peuple… des gens malheureux?

– Il y a plus de ceux-là que de millionnaires… on peut choisir, Dieu merci; il y a une riche misère à Paris!

– Il faudrait me trouver une orpheline pauvre et surtout qui eût perdu ses parents étant tout enfant. Il faudrait de plus qu’elle fût d’une figure agréable, d’un caractère doux et qu’elle n’eût pas plus de dix-sept ans.

La Chouette regarda Sarah avec étonnement.

– Une telle orpheline ne doit pas être difficile à rencontrer, reprit la comtesse, il y a tant d’enfants trouvés…