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Elle n’était plus qu’à quelques pas de la comtesse.

– Savez-vous écrire? lui dit tout à coup celle-ci.

Et repoussant de la main le coffre et les bijoux elle ouvrit un buvard placé devant un encrier.

– Non, madame, je ne sais pas écrire, répondit la Chouette à tout hasard…

– Je vais donc écrire sous votre dictée… Dites-moi toutes les circonstances de l’abandon de cette petite fille.

Et Sarah, s’asseyant dans un fauteuil devant le bureau, prit une plume et fit signe à la Chouette de venir auprès d’elle.

L’œil de la vieille étincela.

Enfin… elle était debout, à côté du siège de Sarah.

Celle-ci, courbée sur la table, se préparait à écrire…

– Je vais lire tout haut, et à mesure, dit la comtesse, vous rectifierez mes erreurs.

– Oui, madame, reprit la Chouette en épiant les moindres mouvements de Sarah.

Puis elle glissa sa main droite dans son cabas, pour pouvoir saisir son stylet sans être vue.

La comtesse commença d’écrire:

– «Je déclare que…»

Mais s’interrompant et se tournant vers la Chouette, qui touchait déjà le manche de son poignard, Sarah ajouta:

– À quelle époque cette enfant vous a-t-elle été livrée?

– Au mois de février 1827.

– Et par qui? reprit Sarah, toujours tournée vers la Chouette.

– Par Pierre Tournemine, actuellement au bagne de Rochefort… C’est Mme Séraphin, la femme de charge du notaire, qui lui avait donné la petite.

La comtesse se remit à écrire et lut à haute voix:

– «Je déclare qu’au mois de février 1827, le nommé…» La Chouette avait tiré son stylet.

Déjà elle le levait pour frapper sa victime entre les deux épaules…

Sarah se retourna de nouveau.

La Chouette, pour n’être pas surprise, appuya prestement sa main droite armée sur le dossier du fauteuil de Sarah et se pencha vers elle afin de répondre à sa nouvelle question.

– J’ai oublié le nom de l’homme qui vous a confié l’enfant, dit la comtesse.

– Pierre Tournemine, répondit la Chouette.

– «Pierre Tournemine», répéta Sarah en continuant d’écrire, «actuellement au bagne de Rochefort m’a remis un enfant qui lui avait été confié par la femme de charge du…»

La comtesse ne put achever…

La Chouette, après s’être doucement débarrassée de son cabas en le laissant couler à ses pieds, s’était jetée sur la comtesse avec autant de rapidité que de furie, de sa main gauche l’avait saisie à la nuque, et, lui appuyant le visage sur la table, lui avait, de sa main droite, planté le stylet entre les deux épaules…

Cet abominable meurtre fut exécuté si brusquement que la comtesse ne poussa pas un cri, pas une plainte.

Toujours assise, elle resta le haut du corps et le front sur la table. Sa plume s’échappa de sa main.

– Le même coup que Fourline… au petit vieillard de la rue du Roule, dit le monstre. Encore une qui ne parlera plus… son compte est fait.

Et la Chouette, s’emparant à la hâte des pierreries, qu’elle jeta dans son cabas, ne s’aperçut pas que sa victime respirait encore.

Le meurtre et le vol accomplis, l’horrible vieille ouvrit la porte vitrée, disparut rapidement dans l’allée d’arbres verts, sortit par la petite porte de la ruelle et gagna les terrains déserts.

Près de l’Observatoire, elle prit un fiacre qui la conduisit chez Bras-Rouge, aux Champs-Élysées. La veuve Martial, Nicolas, Calebasse et Barbillon avaient, on le sait, donné rendez-vous à la Chouette dans ce repaire pour voler et tuer la courtière en diamants.

V L’agent de sûreté

Le lecteur connaît déjà le cabaret du Cœur-Saignant, situé aux Champs-Élysées, proche le Cours-la-Reine, dans l’un des vastes fossés qui avoisinaient cette promenade il y a quelques années.

Les habitants de l’île du Ravageur n’avaient pas encore paru.

Depuis le départ de Bradamanti, qui avait, on le sait, accompagné la belle-mère de Mme d’Harville en Normandie, Tortillard était revenu chez son père.

Placé en vedette en haut de l’escalier, le petit boiteux devait signaler l’arrivée des Martial par un cri convenu, Bras-Rouge étant alors en conférence secrète avec un agent de sûreté nommé Narcisse Borel que l’on se souvient peut-être d’avoir vu au tapis-franc de l’ogresse, lorsqu’il y vint arrêter deux scélérats accusés de meurtre.

Cet agent, homme de quarante ans environ, vigoureux et trapu, avait le teint coloré, l’œil fin et perçant, la figure complètement rasée, afin de pouvoir prendre divers déguisements nécessaires à ses dangereuses expéditions; car il lui fallait souvent joindre la souplesse de transfiguration du comédien au courage et à l’énergie du soldat pour parvenir à s’emparer de certains bandits contre lesquels il devait lutter de ruse et de détermination. Narcisse Borel était, en un mot, l’un des instruments les plus utiles, les plus actifs de cette Providence au petit pied, appelée modestement et vulgairement la Police.

Revenons à l’entretien de Narcisse Borel et de Bras-Rouge… Cet entretien semblait très-animé.

– Oui, disait l’agent de sûreté, on vous accuse de profiter de votre position à double face pour prendre impunément part aux vols d’une bande de malfaiteurs très-dangereux, et pour donner sur eux de fausses indications à la police de sûreté… Prenez garde, Bras-Rouge, si cela était découvert, on serait sans pitié pour vous.

– Hélas! je sais qu’on m’accuse de cela, et c’est désolant, mon bon monsieur Narcisse, répondit Bras-Rouge en donnant à sa figure de fouine une expression de chagrin hypocrite. Mais j’espère qu’aujourd’hui enfin on me rendra justice et que ma bonne foi sera reconnue.

– Nous verrons bien!

– Comment peut-on se défier de moi? Est-ce que je n’ai pas fait mes preuves? Est-ce moi, oui ou non, qui, dans le temps, vous ai mis à même d’arrêter en flagrant délit Ambroise Martial, un des plus dangereux malfaiteurs de Paris? Car, comme on dit, bon chien chasse de race, et la race des Martial vient de l’enfer, où elle retournera si le bon Dieu est juste.

– Tout cela est bel et bon, mais Ambroise était prévenu qu’on allait venir l’arrêter: si je n’avais pas devancé l’heure que vous m’aviez indiquée, il m’échappait.

– Me croyez-vous capable, monsieur Narcisse, de lui avoir secrètement donné avis de votre arrivée?

– Ce que je sais, c’est que j’ai reçu de ce brigand-là un coup de pistolet à bout portant, qui heureusement ne m’a traversé que le bras.