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De temps en temps, Henri tressaillait, portait la main à son front, essuyait avec cette main la sueur glacée qui en dégouttait et se demandait:

– Est-elle vivante? est-elle morte?

Le duc faisait tous ses efforts et déployait toute son éloquence pour dérider ce front austère.

Remy, seul serviteur, car le duc avait éloigné tout le monde, servait ces deux personnes, et de temps en temps, frôlant avec le coude sa maîtresse lorsqu'il passait derrière elle, semblait la ranimer par ce contact, et la rappeler à la vie ou plutôt à la situation.

Alors un flot de vermillon montait au front de la jeune femme, ses yeux lançaient un éclair, elle souriait comme si quelque magicien avait touché un ressort inconnu de cet intelligent automate et avait opéré sur le mécanisme des yeux l'éclair, sur celui des joues le coloris, sur celui des lèvres le sourire.

Puis elle retombait dans son immobilité.

Le prince cependant se rapprocha, et par ses discours passionnés commença d'échauffer sa nouvelle conquête.

Alors Diane, qui, de temps en temps, regardait l'heure à la magnifique horloge accrochée au-dessus de la tête du prince, sur le mur opposé à elle, Diane parut faire un effort sur elle-même et, gardant le sourire sur les lèvres, prit une part plus active à la conversation.

Henri, sous son abri de feuillage, se déchirait les poings et maudissait toute la création, depuis les femmes que Dieu a faites, jusqu'à Dieu qui l'avait créé lui-même.

Il lui semblait monstrueux et inique que cette femme, si pure et si sévère, s'abandonnât ainsi vulgairement au prince, parce qu'il était doré en ce palais.

Son horreur pour Remy était telle, qu'il lui eût ouvert sans pitié les entrailles, afin de voir si un tel monstre avait le sang et le cœur d'un homme.

C'est dans ce paroxysme de rage et de mépris, que se passa pour Henri le temps de ce souper si délicieux pour le duc d'Anjou.

Diane sonna. Le prince, échauffé par le vin et par les galants propos, se leva de table pour aller embrasser Diane.

Tout le sang de Henri se figea dans ses veines. Il chercha à son côté s'il avait une épée, dans sa poitrine s'il avait un poignard.

Diane, avec un sourire étrange, et qui certes n'avait eu jusque-là son équivalent sur aucun visage, Diane l'arrêta en chemin.

– Monseigneur, dit-elle, permettez qu'avant de me lever de table, je partage avec Votre Altesse ce fruit qui me tente.

À ces mots, elle allongea la main vers la corbeille de filigrane d'or, qui contenait vingt pêches magnifiques, et en prit une.

Puis, détachant de sa ceinture un charmant petit couteau dont la lame était d'argent et le manche de malachite, elle sépara la pêche en deux parties et en offrit une au prince, qui la saisit et la porta avidement à ses lèvres, comme s'il eût baisé celles de Diane.

Cette action passionnée produisit une telle impression sur lui-même, qu'un nuage obscurcit sa vue au moment où il mordait dans le fruit.

Diane le regardait avec son œil clair et son sourire immobile.

Remy, adossé à un pilier de bois sculpté, regardait aussi d'un air sombre.

Le prince passa une main sur son front, y essuya quelques gouttes de sueur qui venaient de perler sur son front, et avala le morceau qu'il avait mordu.

Cette sueur était sans doute le symptôme d'une indisposition subite; car, tandis que Diane mangeait l'autre moitié de la pêche, le prince laissa retomber ce qui restait de la sienne sur son assiette, et, se soulevant avec effort, il sembla inviter sa belle convive à prendre avec lui l'air dans le jardin.

Diane se leva, et sans prononcer une parole prit le bras que lui offrait le duc.

Remy les suivit des yeux, surtout le prince que l'air ranima tout à fait.

Tout en marchant, Diane essuyait la petite lame de son couteau à un mouchoir brodé d'or, et le remettait dans sa gaîne de chagrin.

Ils arrivèrent ainsi tout près du buisson où se cachait Henri.

Le prince serrait amoureusement sur son cœur le bras de la jeune femme.

– Je me sens mieux, dit-il, et pourtant je ne sais quelle pesanteur assiège mon cerveau; j'aime trop, je le vois, madame.

Diane arracha quelques fleurs à un jasmin, une branche à une clématite et deux belles roses qui tapissaient tout un côté du socle de la statue, derrière laquelle Henri se rapetissait effrayé.

– Que faites-vous, madame? demanda le prince.

– On m'a toujours assuré, monseigneur, dit-elle, que le parfum des fleurs était le meilleur remède aux étourdissements. Je cueille un bouquet dans l'espoir que, donné par moi, ce bouquet aura l'influence magique que je lui souhaite.

Mais, tout en réunissant les fleurs du bouquet, elle laissa tomber une rose, que le prince s'empressa de ramasser galamment.

Le mouvement de François fut rapide, mais point si rapide cependant qu'il ne donnât le temps à Diane de laisser tomber, sur l'autre rose, quelques gouttes d'une liqueur renfermée dans un flacon d'or qu'elle tira de son sein.

Puis elle prit la rose que le prince avait ramassée et la mettant à sa ceinture:

– Celle-là est pour moi, dit-elle, changeons.

Et, en échange de la rose qu'elle recevait des mains du prince, elle lui tendit le bouquet.

Le prince le prit avidement, le respira avec délices et passa son bras autour de la taille de Diane. Mais cette pression voluptueuse acheva sans doute de troubler les sens de François, car il fléchit sur ses genoux et fut forcé de s'asseoir sur un banc de gazon qui se trouvait là.

Henri ne perdait pas de vue ces deux personnages, et cependant il avait aussi un regard pour Remy, qui, dans le pavillon, attendait la fin de cette scène, ou plutôt semblait en dévorer chaque détail.

Lorsqu'il vit le prince fléchir, il s'approcha jusqu'au seuil du pavillon. Diane, de son côté, sentant François chanceler, s'assit près de lui sur le banc.

L'étourdissement de François dura cette fois plus longtemps que le premier; le prince avait la tête penchée sur la poitrine. Il paraissait avoir perdu le fil de ses idées et presque le sentiment de son existence, et cependant le mouvement convulsif de ses doigts sur la main de Diane indiquait que d'instinct il poursuivait sa chimère d'amour.

Enfin, il releva lentement la tête, et ses lèvres se trouvant à la hauteur du visage de Diane, il fit un effort pour toucher celles de sa belle convive; mais comme si elle n'eût point vu ce mouvement, la jeune femme se leva.

– Vous souffrez, monseigneur? dit-elle, mieux vaudrait rentrer.