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– Ventre de biche! s'écria Chicot.

– Mon doux bourgeois!

– Mon révérend père!

– Avec cette salade!

– Sous ce buffle!

– C'est merveille pour moi de vous voir!

– C'est satisfaction pour moi de vous rejoindre!

Et les deux fiers à bras se regardèrent pendant quelques secondes avec l'hésitation hostile de deux coqs qui vont se quereller et qui, pour s'intimider l'un l'autre, se dressent sur leurs ergots.

Borromée fut le premier qui passa du grave au doux.

Les muscles de son visage se détendirent, et avec un air de franchise guerrière et d'aimable urbanité:

– Vive Dieu! dit-il, vous êtes un rusé compère, maître Robert Briquet!

– Moi, mon révérend! répondit Chicot, à quelle occasion me dites-vous cela, je vous prie?

– À l'occasion du couvent des Jacobins, où vous m'avez fait croire que vous n'étiez qu'un simple bourgeois. Il faut, en vérité, que vous soyez dix fois plus retors et plus vaillant qu'un procureur et un capitaine tout ensemble.

Chicot sentit que le compliment était fait des lèvres, et non du cœur.

– Ah! ah! répondit-il avec bonhomie, et que devons-nous dire de vous, seigneur Borromée?

– De moi?

– Oui, de vous.

– Et pourquoi?

– Pour m'avoir fait croire que vous n'étiez qu'un moine. Il faut, en vérité, que vous soyez dix fois plus retors que le pape lui-même; et, compère, je ne vous déprécie point en disant cela, car le pape d'aujourd'hui est, convenez-en, un rude éventeur de mèches.

– Pensez-vous ce que vous dites? demanda Borromée.

– Ventre de biche! est-ce que je mens jamais, moi?

– Eh bien! touchez là.

Et il tendit la main à Chicot.

– Ah! vous m'avez malmené au convent, frère capitaine, dit Chicot.

– Je vous prenais pour un bourgeois, mon maître, et vous savez bien le souci que nous avons des bourgeois, nous autres gens d'épée.

– C'est vrai, dit Chicot en riant, c'est comme des moines, et cependant vous m'avez pris au piège.

– Au piège?

– Sans doute; car, sous ce déguisement vous tendiez un piège. Un brave capitaine comme vous ne troque point, sans grave raison, sa cuirasse contre un froc.

– Avec un homme d'épée, dit Borromée, je n'aurai pas de secrets. Eh bien! oui, j'ai certains intérêts personnels dans le couvent des Jacobins; mais vous?

– Et moi aussi, dit Chicot; mais chut!

– Causons un peu de tout cela, voulez-vous?

– Sur mon âme, j'en brûle.

– Aimez-vous le bon vin?

– Oui, quand il est bon.

– Eh bien! je connais un petit cabaret sans rival, selon moi, dans Paris.

– Eh! j'en connais un aussi, dit Chicot; comment s'appelle le vôtre?

– La Corne d'Abondance.

– Ah! ah! fit Chicot en tressaillant.

– Eh bien! que se passe-t-il donc?

– Rien.

– Avez-vous quelque chose contre ce cabaret?

– Non pas, au contraire.

– Vous le connaissez?

– Pas le moins du monde, et je m'en étonne.

– Vous plaît-il que nous y marchions, compère?

– Comment donc! tout de suite.

– Allons donc.

– Où est-ce?

– Du côté de la porte Bourdelle. L'hôte est un vieux dégustateur, et qui sait parfaitement apprécier la différence qu'il y a entre le palais d'un homme comme vous et le gosier d'un passant altéré.

– C'est-à-dire que nous y pourrons causer à l'aise.

– Dans la cave, si nous voulons.

– Et sans être dérangés?

– Nous fermerons les portes.

– Allons, dit Chicot, je vois que vous êtes l'homme de ressource, et aussi bien vu dans les cabarets que dans les couvents.

– Croiriez-vous que j'ai des intelligences avec l'hôte?

– Cela m'en a tout l'air.

– Ma foi non, et cette fois vous êtes dans l'erreur; maître Bonhomet me vend du vin quand je veux, et je le paie quand je peux, voilà tout.

– Bonhomet? dit Chicot. Sur ma parole, voilà un nom qui promet.

– Et qui tient. Venez, compère, venez.

– Oh! oh! se dit Chicot en suivant le faux moine, c'est ici qu'il faut faire un choix parmi tes meilleures grimaces, ami Chicot; car si Bonhomet te reconnaît tout de suite, c'est fait de toi, et tu n'es qu'un sot.

LXXXI La corne d'abondance

Le chemin que Borromée faisait suivre à Chicot, sans se douter que Chicot le connaissait aussi bien que lui, rappelait à notre Gascon les beaux jours de l'âge de sa jeunesse.

En effet, combien de fois, la tête vide, les jambes souples, les bras pendants ou ballants, comme dit l'admirable argot populaire, combien de fois Chicot, sous un rayon de soleil d'hiver ou dans l'ombre fraîche de l'été, avait-il été trouver cette maison de la Corne d'Abondance vers laquelle un étranger le conduisait en ce moment!

Alors quelques pièces d'or, et même d'argent sonnant dans son escarcelle, le faisaient plus heureux qu'un roi; il se laissait aller au savoureux bonheur de fainéantiser, autant que bon lui semblerait, à lui qui n'avait ni maîtresse au logis, ni enfant affamé sur la porte, ni parents soupçonneux et grondants derrière la fenêtre.

Alors Chicot s'asseyait insoucieux sur le banc de bois ou l'escabeau du cabaret; il attendait Gorenflot, ou plutôt le trouvait exact aux premières fumées du repas préparé.

Alors Gorenflot s'animait à vue d'œil, et Chicot, toujours intelligent, toujours observateur toujours anatomiste, Chicot étudiait chacun de degrés de son ivresse, étudiant cette curieuse nature à travers la vapeur subtile d'une émotion raisonnable; et sous l'influence du bon vin, de la chaleur et de la liberté, la jeunesse remontait splendide, victorieuse et pleine de consolations à son cerveau.

Chicot, en passant devant le carrefour Bussy, se haussa sur les pointes pour tâcher d'apercevoir la maison qu'il avait recommandée aux soins de Remy, mais la rue était sinueuse, et s'arrêter n'eût pas été d'une bonne politique; il suivit donc le capitaine Borromée avec un petit soupir.