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LXXVII Le voyage

On se mit en route.

Aurilly affectait avec Remy le ton de la plus parfaite égalité, et, avec Diane, les airs du plus profond respect.

Mais il était facile pour Remy de voir que ces airs de respect étaient intéressés.

En effet, tenir l'étrier d'une femme quand elle monte à cheval ou qu'elle en descend, veiller sur chacun de ses mouvements avec sollicitude, et ne laisser échapper jamais une occasion de ramasser son gant ou d'agrafer son manteau, c'est le rôle d'un amant, d'un serviteur ou d'un curieux.

En touchant le gant, Aurilly voyait la main; en agrafant le manteau, il regardait sous le masque; en tenant l'étrier, il provoquait un hasard qui lui fît entrevoir ce visage, que le prince, dans ses souvenirs confus, n'avait point reconnu, mais que lui, Aurilly, avec sa mémoire exacte, comptait bien reconnaître.

Mais le musicien avait affaire à forte partie; Remy réclama son service auprès de sa compagne, et se montra jaloux des prévenances d'Aurilly.

Diane elle-même, sans paraître soupçonner les causes de cette bienveillance, prit parti pour celui qu'Aurilly regardait comme un vieux serviteur et voulait soulager d'une partie de sa peine, et elle pria Aurilly de laisser faire à Remy tout seul ce qui regardait Remy.

Aurilly en fut réduit, pendant les longues marches, à espérer l'ombre et la pluie, pendant les haltes, à désirer les repas.

Pourtant il fut trompé dans son attente, pluie ou soleil n'y faisait rien, et le masque restait sur le visage; quant aux repas, ils étaient pris par la jeune femme dans une chambre séparée.

Aurilly comprit que, s'il ne reconnaissait pas, il était reconnu; il essaya de voir par les serrures, mais la dame tournait constamment le dos aux portes; il essaya de voir par les fenêtres, mais il trouva devant les fenêtres d'épais rideaux, ou, à défaut de rideaux, les manteaux des voyageurs.

Ni questions ni tentatives de corruption ne réussirent sur Remy; le serviteur annonçait que telle était la volonté de sa maîtresse et par conséquent la sienne.

– Mais ces précautions sont-elles donc prises pour moi seul? demandait Aurilly.

– Non, pour tout le monde.

– Mais enfin, M. le duc d'Anjou l'a vue; alors elle ne se cachait pas.

– Hasard, pur hasard, répondait Remy, et c'est justement parce que, malgré elle, ma maîtresse a été vue par M. le duc d'Anjou, qu'elle prend ses précautions pour n'être plus vue par personne.

Cependant les jours s'écoulaient, on approchait du terme, et, grâce aux précautions de Remy et de sa maîtresse, la curiosité d'Aurilly avait été mise en défaut.

Déjà la Picardie apparaissait aux regards des voyageurs.

Aurilly qui, depuis trois ou quatre jours, essayait de tout, de la bonne mine, de la bouderie, des petits soins, et presque des violences, commençait à perdre patience, et les mauvais instincts de sa nature prenaient peu à peu le dessus.

On eût dit qu'il comprenait que, sous le voile de cette femme, était caché un secret mortel.

Un jour il demeura un peu en arrière avec Remy, et renouvela sur lui ses tentatives de séduction, que Remy repoussa, comme d'habitude.

– Enfin, dit Aurilly, il faudra cependant bien qu'un jour ou l'autre je voie ta maîtresse.

– Sans doute, dit Remy, mais ce sera au jour qu'elle voudra, et non au jour que vous voudrez.

– Cependant si j'employais la force? dit Aurilly.

Un éclair qu'il ne put retenir jaillit des yeux de Remy.

– Essayez! dit-il.

Aurilly vit l'éclair, il comprit ce qui vivait d'énergie dans celui qu'il prenait pour un vieillard.

Il se mit à rire.

– Que je suis fou! dit-il, et que m'importe qui elle est? C'est bien la même, n'est-ce pas, que M. le duc d'Anjou a vue?

– Certes!

– Et qu'il m'a dit de lui amener à Château-Thierry?

– Oui.

– Eh bien, c'est tout ce qu'il me faut; ce n'es pas moi qui suis amoureux d'elle, c'est monseigneur, et pourvu que vous ne cherchiez pas à fuir, à m'échapper…

– En avons-nous l'air? dit Remy.

– Non.

– Nous en avons si peu l'air, et c'est si peu notre intention, que, n'y fussiez-vous pas, nous continuerions notre route pour Château-Thierry; si le duc désire nous voir, nous désirons le voir aussi, nous.

– Alors, dit Aurilly, cela tombe à merveille.

Puis, comme s'il eût voulu s'assurer du désir réel qu'avaient Remy et sa compagne de ne pas changer de chemin:

– Votre maîtresse veut-elle s'arrêter ici quelques instants? dit-il.

Et il montrait une espèce d'hôtellerie sur la route.

– Vous savez, lui dit Remy, que ma maîtresse ne s'arrête que dans les villes.

– Je l'avais vu, dit Aurilly, mais je ne l'avais pas remarqué.

– C'est ainsi.

– Eh bien, moi qui n'ai pas fait de vœu, je m'arrête un instant; continuez votre route, je vous rejoins.

Et Aurilly indiqua le chemin à Remy, descendit de cheval et s'approcha de l'hôte, qui vint au devant de lui avec de grands respects et comme s'il le connaissait.

Remy rejoignit Diane.

– Que vous disait-il? demanda la jeune femme.

– Il exprimait son désir ordinaire.

– Celui de me voir?

– Oui.

Diane sourit sous son masque.

– Prenez garde, dit Remy, il est furieux.

– Il ne me verra pas. Je ne le veux pas, et c'est te dire qu'il n'y pourra rien.

– Mais une fois que vous serez à Château-Thierry, ne faudra-t-il point qu'il vous voie à visage découvert?

– Qu'importe, si la découverte arrive trop tard pour eux? D'ailleurs le maître ne m'a point reconnue.

– Oui, mais le valet vous reconnaîtra.

– Tu vois que jusqu'à présent ni ma voix ni ma démarche ne l'ont frappé.

– N'importe, madame, dit Remy, tous ces mystères qui existent depuis huit jours pour Aurilly, n'avaient point existé pour le prince, ils n'avaient point excité sa curiosité, point éveillé ses souvenirs, au lieu que, depuis huit jours, Aurilly cherche, calcule, suppute; votre vue frappera une mémoire éveillée sur tous les points, il vous reconnaîtra s'il ne vous a pas reconnue.