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– Toi, Henri! toi, mon frère! s'écria l'autre cavalier.

Et au risque de dévier à droite ou à gauche, les deux chevaux partirent au galop, se dirigeant l'un vers l'autre; et bientôt, aux acclamations frénétiques des spectateurs de la chaussée et de la colline, les deux cavaliers s'embrassèrent longuement et tendrement.

Aussitôt, le bourg et la colline se dégarnirent: gendarmes et chevau-légers, gentilshommes huguenots et catholiques, se précipitèrent dans le chemin ouvert par les deux frères.

Bientôt les deux camps s'étaient joints, les bras s'étaient ouverts, et sur le chemin où tous avaient cru trouver la mort, on voyait trois mille Français crier merci au ciel et vive la France!

– Messieurs, dit tout à coup la voix d'un officier huguenot, c'est vive M. l'amiral qu'il faut crier, car c'est à M. le duc de Joyeuse et non à un autre que nous devons la vie cette nuit, et ce matin le bonheur d'embrasser nos compatriotes.

Une immense acclamation accueillit ces paroles.

Les deux frères échangèrent quelques mots trempés de larmes; puis le premier:

– Et le duc? demanda Joyeuse à Henri.

– Il est mort, à ce qu'il paraît, répondit celui-ci.

– La nouvelle est-elle sûre?

– Les gendarmes d'Aunis ont vu son cheval noyé et l'ont reconnu à un signe. Ce cheval tirait encore à son étrier un cavalier dont la tête était enfoncée sous l'eau.

– Voilà un sombre jour pour la France, dit l'amiral.

Puis, se retournant vers ses gens:

– Allons, messieurs, dit-il à haute voix, ne perdons pas de temps. Une fois les eaux écoulées, nous serons attaqués très probablement; retranchons-nous jusqu'à ce qu'il nous soit arrivé des nouvelles et des vivres.

– Mais, monseigneur, répondit une voix, la cavalerie ne pourra marcher; les chevaux n'ont point mangé depuis hier quatre heures, et les pauvres bêtes meurent de faim.

– Il y a du grain dans notre campement, dit l'enseigne; mais comment ferons-nous pour les hommes?

– Eh! reprit l'amiral, s'il y a du grain, c'est tout ce que je demande: les hommes vivront comme les chevaux.

– Mon frère, interrompit Henri, tâchez, je vous prie, que je puisse vous parler un moment.

– Je vais aller occuper le bourg, répondit Joyeuse, choisissez-y un logement pour moi et m'y attendez.

Henri alla retrouver ses deux compagnons.

– Vous voilà au milieu d'une armée, dit-il à Remy; croyez-moi, cachez-vous dans le logement que je vais prendre; il ne convient point que madame soit vue de qui que ce soit. Ce soir, lorsque chacun dormira, j'aviserai à vous faire plus libres.

Remy s'installa donc avec Diane dans le logement que leur céda l'enseigne des gendarmes, redevenu, par l'arrivée de Joyeuse, simple officier aux ordres de l'amiral.

Vers deux heures, le duc de Joyeuse entra, trompettes sonnantes, dans le bourg, fit loger ses troupes, donna des consignes sévères pour que tout désordre fût évité.

Puis il fit faire une distribution d'orge aux hommes, d'avoine aux chevaux, et d'eau à tout le monde, distribua aux blessés quelques tonneaux de bière et de vin que l'on trouva dans les caves, et lui-même, à la vue de tous, dîna d'un morceau de pain noir et d'un verre d'eau, tout en parcourant les postes.

Partout il fut accueilli comme un sauveur, par des cris d'amour et de reconnaissance.

– Allons, allons, dit-il, au retour, en se retrouvant seul avec son frère, viennent les Flamands, et je les battrai; et même, vrai Dieu! si cela continue, je les mangerai, car j'ai grand'faim; et, ajouta-t-il tout bas à Henri en jetant dans un coin son pain, dans lequel il avait paru mordre avec tant d'enthousiasme, voilà une exécrable nourriture.

Puis lui jetant le bras autour du cou:

– Ça, maintenant, ami, causons, et dis-moi comment tu te trouves en Flandre quand je te croyais à Paris.

– Mon frère, dit Henri à l'amiral, la vie m'était devenue insupportable à Paris, et je suis parti pour vous retrouver en Flandre.

– Toujours par amour? demanda Joyeuse.

– Non, par désespoir. Maintenant, je vous le jure, Anne, je ne suis plus amoureux; ma passion, c'est la tristesse.

– Mon frère, mon frère, s'écria Joyeuse, permettez-moi de vous dire que vous êtes tombé sur une misérable femme.

– Comment cela?

– Oui, Henri, il arrive qu'à un certain degré de méchanceté ou de vertu, les êtres créés dépassent la volonté du créateur et se font bourreaux et homicides, ce que l'Église réprouve également; ainsi, par trop de vertu, ne pas tenir compte des souffrances d'autrui, c'est de l'exaltation barbare, c'est une absence de charité chrétienne.

– Oh! mon frère, mon frère, s'écria Henri, ne calomniez point la vertu!

– Oh! je ne calomnie pas la vertu, Henri; j'accuse le vice, et voilà tout. Je le répète donc, cette femme est une misérable femme, et sa possession, si désirable qu'elle soit, ne vaudra jamais les tourments qu'elle te fait souffrir. Eh! mon Dieu, c'est dans un pareil cas qu'on doit user de ses forces et de sa puissance, car on se défend légitimement, bien loin d'attaquer, par le diable! Henri, je sais bien qu'à votre place, moi, je serais allé prendre d'assaut la maison de cette femme; je l'aurais prise elle-même comme j'aurais pris sa maison, et ensuite, lorsque, selon l'habitude de toute créature domptée, qui devient aussi humble devant son vainqueur qu'elle était féroce avant la lutte; lorsqu'elle serait venue jeter ses bras autour de votre cou en vous disant: Henri, je t'adore! alors je l'eusse repoussée en répondant: Vous faites bien, madame, c'est à votre tour, et j'ai assez souffert pour que vous souffriez aussi.

Henri saisit la main de son frère.

– Vous ne pensez pas un mot de ce que vous avancez là, Joyeuse, lui dit-il.

– Si, par ma foi.

– Vous si bon, si généreux!

– Générosité avec les gens sans cœur, c'est duperie, frère.

– Oh! Joyeuse, Joyeuse, vous ne connaissez point cette femme.

– Mille démons! je ne veux pas la connaître.

– Pourquoi cela?

– Parce qu'elle me ferait commettre ce que d'autres nommeraient un crime, et que je nommerais, moi, un acte de justice.

– Oh! mon bon frère, dit le jeune homme avec un angélique sourire, que vous êtes heureux de ne pas aimer! Mais, s'il vous plaît, monseigneur l'amiral, laissons là mon fol amour, et causons des choses de la guerre.