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Et enfonçant ses deux éperons dans le ventre du cheval blanc qui le portait, il devança cavalerie, infanterie et artillerie, et arriva à cent pas de la place, rouge du feu des batteries qui tonnaient du haut du rempart, pareil à un fracas de tempête, et qui se reflétait sur son armure comme les rayons d'un soleil couchant.

Là, il tint son cheval immobile pendant dix minutes, la face tournée vers la porte de la ville, et criant:

– Les fascines, ventre saint-gris, les fascines!

Mornay l'avait suivi, visière levée, épée au poing.

Chicot fit comme Mornay; il s'était laissé cuirasser, mais il ne tira point l'épée.

Derrière ces trois hommes, bondirent, exaltés par l'exemple, les jeunes gentilshommes huguenots criant et hurlant:

– Vive Navarre!

Le vicomte de Turenne marchait à leur tête, une fascine sur le cou de son cheval.

Chacun vint et jeta sa fascine; en un instant le fossé creusé sous le pont-levis fut comblé.

Les artilleurs s'élancèrent; en perdant trente hommes sur quarante, ils réussirent à placer leurs pétards sous la porte.

La mitraille et la mousqueterie sifflaient comme un ouragan de feu autour de Henri; vingt hommes tombèrent en un instant à ses yeux.

– En avant! en avant! dit-il; et il poussa son cheval au milieu des artilleurs.

Et il arriva au bord du fossé au moment où le premier pétard venait de jouer.

La porte s'était fendue en deux endroits.

Les artilleurs allumèrent le second pétard.

Il se fit une nouvelle gerçure dans le bois; mais aussitôt par la triple ouverture, vingt arquebuses passèrent, qui vomirent des balles sur les soldats et les officiers.

Les hommes tombaient autour du roi comme des épis fauchés.

– Sire, disait Chicot sans songer à lui, sire, au nom du ciel, retirez-vous.

Mornay ne disait rien, mais il était fier de son élève, et de temps en temps il essayait de se mettre devant lui; mais Henri l'écartait de la main par une secousse nerveuse.

Tout à coup Henri sentit que la sueur perlait à son front et qu'un brouillard passait sur ses yeux.

– Ah! nature maudite! s'écria-t-il, il ne sera pas dit que tu m'auras vaincu.

Puis, sautant à bas de son cheval:

– Une hache! cria-t-il, une hache!

Et d'un bras vigoureux il abattit canons d'arquebuses, lambeaux de chêne et clous de bronze. Enfin une poutre tomba, un pan de porte, un pan de mur, et cent hommes se précipitèrent par la brèche en criant:

– Navarre! Navarre! Cahors est à nous! Vive Navarre!

Chicot n'avait pas quitté le roi; il était avec lui sous la voûte de la porte où Henri était entré un des premiers; mais, à chaque arquebusade, il le voyait frissonner et baisser la tête.

– Ventre saint-gris! disait Henri furieux, as-tu jamais vu pareille poltronnerie, Chicot?

– Non, sire, répliqua celui-ci, je n'ai jamais vu de poltron pareil à vous; c'est effrayant.

En ce moment, les soldats de M. de Vezin tentèrent de déloger Henri et son avant-garde, établis sous la porte et dans les maisons environnantes.

Henri les reçut l'épée à la main.

Mais les assiégés furent les plus forts; ils réussirent à repousser Henri et les siens au-delà du fossé.

– Ventre saint-gris! s'écria le roi, je crois que mon drapeau recule; en ce cas-là, je le porterai moi-même.

Et d'un effort sublime, arrachant son étendard des mains de celui qui le portait, il le leva en l'air et le premier rentra dans la place, à moitié enveloppé dans ses plis flottants.

– Aie donc peur! disait-il, tremble donc maintenant, poltron!

Les balles sifflaient et s'aplatissaient sur ses armes avec un bruit strident, et trouaient le drapeau avec un bruit mat et sourd.

MM. de Turenne, Mornay et mille autres s'engouffrèrent dans cette porte ouverte, s'élançant à la suite du roi.

Le canon dut se taire à l'extérieur: c'était face à face, c'était corps à corps, qu'il fallait désormais lutter.

On entendit au-dessus du bruit des armes, du fracas des mousquetades, des froissements du fer, M. de Vezin qui criait:

– Barricadez les rues, faites des fossés, crénelez les maisons.

– Oh! dit M. de Turenne qui était assez proche pour l'entendre, le siège de la ville est fait, mon pauvre Vezin.

Et en manière d'accompagnement à ces paroles, il lui tira un coup de pistolet qui le blessa au bras.

– Tu te trompes, Turenne, tu te trompes, répondit M. de Vezin, il y a vingt sièges dans Cahors; donc, s'il y en a un de fait, il en reste encore dix-neuf à faire.

M. de Vezin se défendit cinq jours et cinq nuits de rue en rue, de maison en maison.

Par bonheur pour la fortune naissante de Henri de Navarre, il avait trop compté sur les murailles et la garnison de Cahors, de sorte qu'il avait négligé de faire prévenir M. de Biron.

Pendant cinq jours et cinq nuits, Henri commanda comme un capitaine et combattit comme un soldat; pendant cinq jours et cinq nuits, il dormit la tête sur une pierre et s'éveilla la hache au poing.

Chaque jour, on conquérait une rue, une place, un carrefour; chaque nuit la garnison essayait de reprendre la conquête du jour.

Enfin dans la nuit du quatrième au cinquième jour, l'ennemi harassé parut devoir donner quelque repos à l'armée protestante. Ce fut Henri qui l'attaqua à son tour; on força un poste retranché qui coûta sept cents hommes; presque tous les bons officiers y furent blessés; M. de Turenne fut atteint d'une arquebusade à l'épaule, Mornay reçut un grès sur la tête et faillit être assommé.

Le roi seul ne fut point atteint: à la peur qu'il avait éprouvée d'abord et qu'il avait si héroïquement vaincue, avait succédé une agitation fébrile, une audace presque insensée; toutes les attaches de son armure étaient brisées, autant par ses propres efforts que par les coups des ennemis; il frappait si rudement, que jamais un coup de lui ne blessait son homme; il le tuait. Quand ce dernier poste fut forcé, le roi entra dans l'enceinte, suivi de l'éternel Chicot, qui, silencieux et sombre, voyait, depuis cinq jours et avec désespoir, grandir à ses côtés le fantôme effrayant d'une monarchie destinée à étouffer la monarchie des Valois.

– Eh bien! qu'en penses-tu, Chicot? dit le roi, en haussant la visière de son casque, et comme s'il eût pu lire dans l'âme du pauvre ambassadeur.